On l'appelle mademoiselle Henriette parce qu'elle ne s'est jamais mariée. Tous les jours, à 102 ans, elle ouvre encore les portes de son magasin de photos et cartes postales à Luchon. Elle nous raconte ses souvenirs.
Dans la rue principale de la commune de Luchon, une petite boutique de photographies résiste à l'épreuve du temps. Sur la devanture abîmée, on peut lire "studio Alix", du nom du propriétaire de l'époque, le patron de mademoiselle Henriette. L'employée a fini par reprendre le magasin et dans la ville tout le monde l'appelle "madame Alix". "Mais mon nom à moi c'est Ardouin, Henriette Ardouin" tache de rappeler la centenaire. Rouge à lèvre rouge, vernis de la même couleur, toujours aussi coquette, Henriette sourit face aux journalistes : « j’aurais dû prendre des talons ! »
"C'était épouvantable les guerres"
En entrant et en sortant de la boutique, une forte sonnerie se fait entendre. Henriette vit juste au dessus de son magasin, qu'elle ouvre encore tous les jours "du lundi au dimanche" annonce-t-elle fièrement. "Parfois on doit lui rappeler qu'il faut fermer à 18 heures parce qu'elle oublie qu'il y a un couvre feu" explique la commerçante du magasin d'à côté. "A mon âge, je n'ai pas vraiment peur du Covid" avoue celle qui est née à la fin de la première guerre mondiale, en septembre 1918.
J’ai travaillé longtemps à Saintes, chez moi, en Charente-Maritime. On avait les Autrichiens, les Allemands. Ma soeur venait me chercher après le travail et on rentrait ensemble, on avait deux kilomètres et demi de marche. Et on était accompagné par eux car on ne pouvait pas circuler seules dans les rues à cette époque. C’était épouvantable les guerres.
"Il était interdit de skier"
Henriette fait d'abord les saisons d'hiver à Bagnères-de-Luchon, avant de s'y installer définitivement à presque 30 ans. Elle monte alors tous les dimanches à la station de Superbagnères pour prendre des photos. Pour autant, la centenaire n'a jamais skié de sa vie. "C'était interdit" explique-t-elle, le sourire aux lèvres. "Nos patrons avaient trop besoin de nous pour risquer de nous voir nous casser une jambe!" Elle raconte tout de même avec passion les paysages de la station de ski, qu'elle adorait photographier. Dans sa boutique, des milliers de photos. "Au moins les trois-quarts sont de moi" précise-t-elle fièrement. "Je n'en fais plus maintenant parce que j'en ai déjà trop à vendre !" Et en plus, mademoiselle Henriette constate moins de clients et de touristes à Luchon depuis quelques années.
Quand je suis arrivée, dans les années 1946, 1947, avant-hier quoi, il y avait beaucoup de distance entre les gens. Les personnes de qualité n'adoraient pas tout le monde. Il fallait aller vers eux pour les servir, il fallait aller leur demander ce qu’ils désiraient. Il ne fallait pas les faire attendre trop longtemps. C’était une autre clientèle, très agréable mais très distante. Aujourd'hui c'est différent. Mais Luchon aura toujours sa côte parce que c'est très beau. Superbagnères est magnifique, la chaîne de montagne est splendide quand il fait beau et quand il y a la neige.
La mort d'une profession ?
Dans l'arrière boutique, un studio photo encore intact. L'appareil photo est en place, sur un trépied, face à un mur blanc. En haut du mur, un vieux fond photo est enroulé, il ne sert plus. Les éclairages sont encore en place et fonctionnent toujours. "Il faut que le soleil ou la lumière soit à droite, ou à gauche de la personne, mais jamais derrière" conseille la photographe. "Ca fait alors un peu d’ombre sur le visage et ça donne du relief. Autrement c’est tout plat et c’est pas beau".
Maintenant tout le monde fait ses photos, tout le monde a son appareil. On n'a plus besoin du photographe. La photo ça devient automatique. Les portraits, on ne les fait plus. Et les photos se vendent de moins en moins.
La porte de l'arrière boutique mène sur deux autres très grandes pièces jadis utilisées pour développer les photos.
Le noir et blanc
Une cliente entre dans le magasin. « Je voudrais envoyer une carte à ma grand mère, qui a 93 ans. Elle fait de l’aquarelle, j'aimerais l’inspirer » explique-t-elle. La vendeuse commente alors quelques unes de ses photos, toutes signées Alix, le nom de son ancien patron. Chaque cliché est associé à un souvenir intact. « Saint-Bertrand-de-Comminges vous connaissez ? C’est à 25 kilomètres, c'est magnifique. Et ce jour-là j’avais eu la chance de croiser un berger sur la route » détaille Henriette en montrant l'une de ses photos. « Le noir et blanc c'est ce qui marche le mieux en ce moment » confie-t-elle.
Voici quelques uns de ses clichés :
Alors il a beau neiger de moins en moins à Superbagnères, constate Henriette ; elle sera toujours là. Les touristes et la montagne aussi, parce que "rien, absolument rien ne remplace Superbagnères" conclut l'amoureuse des Pyrénées. Et juste avant de partir, elle confie sa recette de jouvence : "bien manger, bien boire et bien dormir".