En signant une convention judiciaire d'intérêt public (CJIP), en novembre 2022, Airbus a reconnu des faits de corruption dans plusieurs marchés, mais échappe à une condamnation. Impossible pour deux associations anticorruption pour qui les faits reprochés à l'avionneur basé à Toulouse (Haute-Garonne) sont "gravissimes".

En validant la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) conclue entre Airbus et le Parquet national financier (PNF), le 18 novembre, le tribunal judiciaire de Paris offre à l'avionneur européen une opportunité qu'il ne pouvait pas ne pas saisir : payer une amende de 15,9 millions d’euros et ne jamais être reconnu coupable de faits de corruption dans le cadre de la vente d’appareils en Libye et au Kazakhstan entre 2006 et 2011.

Le caractère répété des agissements corruptifs

Les magistrats du PNF ont défendu une amende "équitable, juste, adaptée", relevant, d’un côté, le "caractère répété des agissements corruptifs" de l’entreprise et, de l’autre, l’époque "ancienne" des faits reprochés et la "coopération" du groupe lors de l’enquête. Mais la décision ne passe pas auprès des associations anticorruption, Sherpa et Anticor.

"Ce sont des faits extrêmement graves, estime Inès Bernard, juriste d' Anticor. Airbus dit "oui, nous avons corrompu des agents publics d’une force étrangère." Pour autant, ils n’auront pas de condamnation pénale. Airbus ne sera pas jugé coupable et peut continuer à répondre aux marchés publics. L'entreprise sort les mains propres de cette affaire. Il n’y a pas de reconnaissance de culpabilité, il n’y a pas d’inscription au casier judiciaire. Il n’y a rien. Aucune conséquence si ce ne sont des conséquences financières. C’est ça qui est assez incroyable avec cette CJIP."

Airbus et le PNF ont échangé et se sont mis d'accord sur une convention, dans les locaux feutrés de l'entreprise ou dans les bureaux du Parquet. Pour Chanez Mensous, juriste de l'ONG Sherpa : "la CJIP, c’est une occultation des faits. Airbus reconnaît, en signant cette convention, la véracité des faits qui lui sont reprochés, mais sans être sanctionné. Cela montre une conception judiciaire hautement problématique. Le juge a une place très marginale d’enregistrement avec d'un côté, un dialogue fermé et protégé de l’intérêt privé d'Airbus et de l'autre, il y a l’intérêt général, limité, du Parquet financier. Où est l’intérêt général dans cette procédure pour des faits extrêmement graves ?"

Le financement libyen de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy

Ces pratiques ont été révélées dans le cadre de plusieurs informations judiciaires et donc reconnues par le géant européen de l'aviation.

Le premier volet concerne les soupçons de financement libyen de la campagne présidentielle 2007 de Nicolas Sarkozy, ouverte en 2013. Les investigations ont mis en lumière les conditions de vente, fin 2006, de douze avions Airbus au régime de Mouammar  Kadhafi.  "Ce qui ressort de l’enquête, explique Chenez Mensous, ce sont deux versements, respectivement de deux millions d’euros et de quatre millions d’euros, à des facilitateurs corrompus de l’entourage de Mouammar Khadafi, dans le cadre de la vente par Airbus (à l’époque EADS) entre 2004 et 2009 de 12 avions à la compagnie nationale libyenne." Des sommes ayant bénéficié, comme le révèle Médiapart, à l'homme d'affaires, proche des milieux sarkozystes, Alexandre Djouhri et à un intime de l'un des fils du dictateur libyen.

Le Kazakgate et un ancien sénateur du Gers

Le second se situe au Kazakhstan. "Ce sont des faits qui ont été commis entre 2009 et 2011, rapporte Inès Bernard. En 2009, Airbus a conclu différents contrats qui avaient trait à la conception d’un centre d’assemblage d’intégration et d’essais destinés aux satellites et aux engins spatiaux. Il y avait aussi la vente de deux satellites d’observation de la Terre. Ce qui sort de l’information judiciaire est que des agents publics étrangers ont été corrompus, notamment un intermédiaire commercial payé par Airbus engagé pour ses liens avec un homme d’affaires influent au Kazakhstan."

45 hélicoptères, EC 145, vendus en 2010 et  2011, sont aussi au cœur d'une affaire de pots-de-vin. Selon le membre de Sherpa : "c’est passé par l’intermédiaire d’un député français qui a organisé et tenu des réunions entre les officiels du Kazakhstan et Airbus. Il devait faciliter la conclusion du contrat." Comme le souligne, Médiapart, le nom de l'élu français n'a pas été prononcé lors de l'audience du 30 novembre. Il s'agit de l'ancien sénateur du Gers et toujours maire de  Marsan, Aymeri de Montesquiou . Toujours selon le site d'investigation, le notable gersois de 80 ans a reçu " des centaines de millions d'euros de commission occulte versés par des structures discrètes immatriculées dans des paradis fiscaux, sans que l'on sache précisément à ce jour qui lui a versé l'argent."

Une "rupture d'égalité" vis-à-vis du droit ?

Des pratiques d'Airbus d'un autre temps ? Devant le Tribunal judiciaire de Paris, l'entreprise a indiqué qu’elle avait véritablement changé et qu’elle s’était mise en conformité. Un argument avancé par le Parquet national financier pour justifier la convention judiciaire d’intérêt public. En janvier 2020, une autre CJIP d’un montant record de 3,6 milliards d'euros avait déjà été conclue entre Airbus et le PNF pour des "agissements  corruptifs systémiques".

"Airbus a-t-elle modifié ses pratiques ? Son adoption de "bonnes pratiques" est sous le contrôle de l’Agence française anticorruption. Le PNF reçoit des rapports tous les ans à ce sujet. Nous, nous n’y avons pas accès. Nous n’en savons rien. Nous sommes obligés de le croire", constate Inès Bernard.

Les associations anticorruption dénoncent "une rupture d'égalité" vis-à-vis du droit, en permettant la signature d'une  CJIP entre Airbus et le  PNF.  L'ONG Sherpa, partie civile dans le dossier Sarkozy-Kadhafi, a décidé de déposer une Question prioritaire de constitutionnalité  ( QPC)  contre cette mesure de justice "négociée" et de permettre aux associations de pouvoir contester ces conventions judiciaires avec les entreprises .

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