Alcool chez les jeunes. "Ce qui nous préoccupe, ce sont les mélanges de médicaments dans les cocktails", Nicolas Franchitto, addictologue

Au fil des années, les faits divers de jeunes gens alcoolisés s'accumulent dans la région de Toulouse. Les moins de 30 ans toulousains auraient-ils un problème avec l'alcool ? France 3 Occitanie a rencontré Nicolas Franchitto, chef du service d'addictologie du CHU de Toulouse.

Mathis avait-il trop bu ? La question se pose après la mort tragique du jeune homme de 21 ans dans une cuve d'eau chaude du marché Victor Hugo à Toulouse (Haute-Garonne), samedi 4 novembre. Les analyses toxicologiques diligentées par la justice dans cette affaire apporteront une réponse. Mais cette triste histoire en rappelle d'autres au cours des dix dernières années.

Il y a celle d'Étienne Mary, lui aussi âgé de 21 ans, décédé alors qu'il était rentré dans un container à poubelles de la rue Bayard, après une soirée arrosée en centre-ville le 30 août 2019. Neuf ans plus tôt, c'est un légionnaire de 18 ans ayant écumé les bars qui perdra la vie étouffé dans une gaine d'aération du siège du Crédit Agricole, place Jeanne d'Arc à Toulouse. Les bagarres dans un état avancé d'ébriété, les altercations, les violences, dans le centre-ville de la Ville rose sont monnaie courante.

Les moins de 30 ans toulousains auraient-ils un problème avec l'alcool ? Des éléments de réponse avec Nicolas Franchitto, chef du service d'addictologie du CHU de Toulouse.

France 3 Occitanie : Ces derniers temps, nous avons pu observer plusieurs épisodes de jeunes personnes alcoolisées dont l'issue a parfois été dramatique. Est-ce que, selon vous, il y a un souci d'alcoolisme chez les jeunes à Toulouse ? 

Nicolas Franchitto : Alcoolisme, c'est plutôt stigmatisant comme terme. Chez les jeunes, il y a une consommation festive d'alcool en fonction des périodes. Ce sera plutôt le cas pendant les périodes de rentrée universitaire, de festivals, les jours de match de foot ou de rugby ou encore les événements sportifs. Mais oui, il y a de la consommation d'alcool, on le sait.

La question, c'est la mise en danger de ces jeunes sur des consommations d'alcool qui sont festives, mais qui sont massives et qui peuvent être mélangées à d'autres substances. Ces moments peuvent entraîner la réalisation de défis, de bagarres et, d'une façon générale, de comportements qui peuvent les mettre en danger. Ça, c'est pour le premier groupe.

Le deuxième groupe, ce sont ceux qui consomment de l'alcool comme un médicament, et pas de façon festive. Mais la mise en danger est la même. Parce qu'ils ne vont pas bien, qu'ils sont isolés, ils consomment de l'alcool à visée thérapeutique.

France 3 Occitanie : Est-ce que faire la fête et boire chaque semaine est un signe d'addiction ?Nicolas Franchitto : Ce n'est pas très clair. Si effectivement c'est un comportement qui se répète pendant plusieurs années, tout le temps, toute la semaine. À un moment donné, il va entraîner des dommages sur la santé, comme quelqu'un qui va consommer régulièrement, en réalité.

Le problème, c'est qu'il est très difficile de les prendre en charge parce qu'ils ont des alcoolisations massives. Alors, nous, on les voit arriver aux urgences quand il y a une problématique accidentelle, ou de bagarre, ou de coma. Et donc là, c'est assez compliqué puisqu'ils disent que c'est un événement ponctuel, et que ça ne leur est jamais arrivé. Il n'empêche que c'est quelque chose qui nous interroge. cette répétition tout en disant que c'est quelque chose de plutôt festif et que tout va bien.

France 3 Occitanie : Justement il s'agit d'un public jeune, mais qui tend vers l'âge adulte. Comment vous les prenez en charge ?

Nicolas Franchitto : Nous avons plusieurs modes d'entrée. Soit sur de l'alcoolisation aiguë ou par les urgences. Et là, on a une équipe de liaisons addictologiques qui les rencontrent. Le but est de faire le point, pas uniquement sur l'événement aigu, mais aussi sur de possibles autres mises en danger antérieures. Il s'agit aussi de vérifier qu'il n'y a pas un trouble psychiatrique ou une maladie en dessous, comme l'épilepsie, par exemple. Ce premier contact permet d'accéder à de l'information. Ça permet de les accrocher aux soins s'ils sont d'accord pour venir, ce qui s'avère assez compliqué. On est particulièrement vigilants lorsque nous avons des récidivistes. Grâce aux fichiers informatisés, nous avons la possibilité de savoir qu'ils sont déjà venus. 

Après, il ne faut pas stigmatiser : il n'y a pas que les jeunes qui font des alcoolisations ponctuelles. On a tout âge. Par exemple, les 45-55 ans, il y en a aussi. En tout cas, on essaye de leur proposer des soins qui soient les mêmes pour tout le monde.

France 3 Occitanie : Pourriez-vous nous donner des exemples de soins dont peuvent bénéficier vos patients ?

Nicolas Franchitto : Quand il n'y a pas de maladie en dessous et que c'est un événement ponctuel, c'est difficile. Donc, ça repose sur des rencontres avec des psychologues, des entretiens qu'on appelle "motivationnels". L'enjeu est de leur faire prendre conscience de la mise en danger.

Quand il y a une pathologie en dessous, c'est plus simple. Pour certains, c'est une prise en charge ambulatoire, en consultation, voire en hôpital de jour. Pour d'autres, ça peut être une hospitalisation pour une mise à distance des produits.

Il n'y a pas une prise en charge unique, ça dépend des cas. Certains vont accrocher avec des soins immédiatement parce qu'ils sentent qu'ils en ont besoin. Pour d'autres, il va leur falloir un peu plus de temps.

En tout cas, on n'est pas des ayatollahs de l'abstinence. Parce que ça ne marche pas. Il ne s'agit pas d'être dans la répression, mais de travailler avec un regard non jugeant et professionnel sur une conduite à risque.

France 3 Occitanie : Comment faire de la prévention sur l'alcool auprès des jeunes ?

Nicolas Franchitto : Dans les collèges et lycées, les infirmières scolaires font un travail extraordinaire. Le problème, c'est qu'elles ne peuvent avoir que des visions instantanées. Il leur est difficile de faire du suivi. Ce problème n'est pas seulement lié à l'alcool. On l'a vu avec la puff (cigarette électronique mono-usage) et le cannabis.

Il faut dire que la loi Évin qui est censée interdire la publicité d'alcool, est constamment bafouée. Quand on voit des politiques, quelle que soit la couleur politique, capables de boire de l'alcool à la télévision, c'est compliqué, pour nous, de faire passer des messages de prévention sur le terrain.

France 3 Occitanie : Comment fonctionne la prévention sur les réseaux sociaux ? Y a-t-il des règles établies sur la promotion de l'alcool ? 

Nicolas Franchitto : Pour les jeunes notamment, les réseaux sociaux sont un vecteur de mode. Les images sont très importantes, mais elles nous échappent. On s'est beaucoup moqué de Ronaldo qui avait remplacé les bières et le Coca-Cola par de l'eau pendant la coupe du Monde de football. Mais c'est un message important qui est envoyé à ceux qui le regardent. Par rapport aux footballeurs professionnels qui avaient été vus en train de prendre des ballons de protoxyde d'azote, ça envoie un autre message. Il y a aussi des fausses idées présentées comme des vérités scientifiques qui circulent. Par exemple, que le vin, c'est bon pour le cœur. On a beaucoup de chance dans le Sud-Ouest, entre la graisse de canard, le vin, la bière et le bien-être sportif avec le Stade Toulousain, on devrait vivre longtemps. Mais à Marseille, ils disent pareil avec le pastis, l'huile d'olive et le romarin.

Si la répression sur Internet est impossible, il faut renforcer la prévention. C'est là que les associations, comme l'Association Addiction France, interviennent notamment pour faire de la veille et lutter contre les faux messages. Il y a également le service sanitaire des étudiants en santé aussi. Ce sont des groupes d'étudiants en médecine, pharmacie, dentaire, kiné, sage-femme et infirmière qui ont pour mission de faire de la prévention chez les plus jeunes. Et la thématique addiction, elle est bien suivie.

Cette idée d'aller à la rencontre des jeunes fonctionne mieux que d'attendre qu'ils arrivent d'eux-mêmes. Quand, par exemple, une infirmière scolaire repère quelqu'un qui boit dans son établissement, et qu'elle lui donne un numéro de téléphone à appeler pour être aidée, on sait pertinemment que ça ne fonctionne pas. En revanche, si elle inscrit le jeûne au projet pédagogique de l'établissement et demande une intervention, ça fonctionne beaucoup mieux

France 3 Occitanie : Est-ce qu'il est pertinent d'aller à la source, c'est-à-dire à la rencontre de celles et ceux qui proposent de l'alcool, comme les bars ? Y a-t-il des solutions à aller chercher de ce côté-là ? 

Nicolas Franchitto : Il existe déjà un dispositif piloté par la mairie de Toulouse "Fêtons Plus, Risquons Moins" qui installe des bus de prévention en fonction des soirées et qui interviennent notamment au moment des rentrées universitaires. Certains patrons d'établissements de nuit jouent le jeu et nous ont demandé les dangers, et quelles étaient leurs responsabilités.

Durant l'épisode des piqûres à Toulouse, tout le monde était concerné, que ce soit le patron de l'établissement de nuit, au serveur, au portier à l'entrée, aux médecins, aux associations dans la rue, au groupe d'étudiants. On leur enseigne à repérer le risque de coma éthylique ou de savoir faire dire stop à quelqu'un. Mais ça nous permet aussi d'avoir une espèce de background avec des personnes qui viennent nous chercher chez nous. C'est une sorte de toile d'araignée ou de matelas. Si les jeunes tombent dedans, on peut les récupérer avant qu'ils s'écrasent. 

France 3 Occitanie : Outre l'alcool, y a-t-il d'autres substances auxquelles les jeunes sont exposés qui sont préoccupantes ? 

Nicolas Franchitto : Aujourd'hui, il y a de plus en plus de cannabinoïdes de synthèse et amphétamines de synthèse. Mais c'est assez différent de l'alcool, car ce sont des substances pour lesquelles il faut être initié pour en trouver. Ce qui nous préoccupe et qui revient beaucoup chez les jeunes, ce sont notamment les mélanges de médicaments dans les cocktails. On en parle un peu moins, mais on continue à en voir. Des fois, ils ne savent pas ce qu'ils prennent. Donc, c'est encore plus compliqué.

Propos recueillis par Rémi Surrans

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