"Cette situation est intenable, il faut qu'on réagisse" : l'alerte d'une députée au centre de rétention de Toulouse

En visite au centre de rétention administrative de Cornebarrieu, la députée de l'Ariège, Bénédicte Taurine, s'émeut du sort des sans-papiers retenus. En pleine crise sanitaire, ils sont enfermés sans expulsion possible, certaines frontières étant fermées à cause de la pandémie. 

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C'est sa quatrième visite au centre de rétention admnistrative (CRA) de Cornebarrieu, près de Toulouse. Mais cette fois-ci, la députée de l'Ariège, Bénédicte Taurine (LFI), a tenu à être accompagnée de journalistes pour, dit-elle, "faire remonter les situations des personnes retenues dans le centre". Comme la Cimade le fait depuis de longs mois maintenant, Bénédicte Taurine dénonce "une situation intenable" au CRA où des étrangers sans papiers sont retenus sans expulsion possible, soit à cause de la fermeture des frontières liée à la pandémie de Covid-19, soit parce qu'ils ne sont pas reconnus dans le pays où on veut les expulser. Le monde d'Ubu au pied des pistes de l'aéroport de Blagnac, dans une ambiance de crise sanitaire qui inquiète tout le monde, aussi bien les personnes retenues que celles chargées de les retenir. 

Des frontières fermées à cause de la pandémie

La visite de Bénédicte Taurine s'arrête d'abord dans les bureaux de la Cimade, à l'intérieur du centre. L'association y tient des permanences pour assister les personnes retenues. Et elle a fait les comptes, comme l'explique Elsa Putelat. 

Il y a eu 513 personnes enfermées au CRA depuis le mois de mars alors qu'on est dans un contexte quand même très compliqué de pandémie, de crise sanitaire. Sur toutes ces personnes, il y en a eu 65 qui ont été expulsées ou renvoyées hors de France et parmi ces 65, il y en a 36 qui ont été renvoyées dans des pays de l'Union européenne. Donc on voit que c'est énormément de coûts, de risques sanitaires et d'atteinte aux droits pour quelques personnes qui vont être renvoyées dans l'union européenne.

Elsa Putelat, bénévole à la Cimade

Car depuis le début de la pandémie, plusieurs pays ont de nouveau fermé leurs frontières. "On a énormément de nationalités ici mais les trois principales viennent des pays du Maghreb et, en l'occurrence, de l'Algérie et du Maroc" explique Leo Claus, coordinateur de la Cimade. "Aucun Algérien, aucun Marocain n'est reparti depuis maintenant le mois de mars et pourtant, le centre en est plein. Les gens restent ici, coincés deux mois, alors que tout le monde sait, l'administration et les magistrats, qu'on ne pourra pas les reconduire à la frontière."
Appuyée par l'association de défense des étrangers, la Cimade a saisi la justice début novembre pour dénoncer ce qu'elle considère comme une privation de liberté abusive. Et elle continue de dénoncer la décision du gouvernement de passer le taux maximal d'occupation des CRA à 60% pour ce deuxième confinement contre 50% lors du premier. "A contre-courant des mesures sanitaires imposées au reste de la population" et dans des lieux où la promiscuité empêche un respect strict des gestes barrières. 

Il y a eu assez d'alertes, lancées par la Cimade mais aussi par d'autres, pour dire "stop, on arrête les dégâts, c'est ridicule". Pour reconduire un nombre extrêmement faible de personnes à la frontière, on met tout le monde en danger. On met en danger pour rien les personnes retenues, les fonctionnaires de police, tous les intervenants qui travaillent en rétention et ça coûte une petite fortune.

Léo Claus, coordinateur de la Cimade 

Des situations compliquées, aggravées par la crise sanitaire

Contrairement à d'autres, le CRA de Cornebarrieu n'a pas connu de cluster. Il dénombre quand même 8 cas de Covid-19 depuis le premier confinement. En tout cas, le stress lié à l'épidémie y est bien présent. Pour Bénédicte Taurine, la situation, "déjà complexe" est devenue "beaucoup plus problématique et enkystée". "La crise sanitaire pose des problèmes à tout le monde, les personnels, comme les retenus. On sent qu'il y a une peur". 
A cela s'ajoutent des problématiques particulières, pour chacune des personnes retenues. Et celles que la députée a rencontrées ce lundi n'auront fait que renforcer sa conviction que la situation est pour elles "intenable".
Il y a d'abord ce jeune homme de 22 ans. Originaire de l'Angola, il est arrivé en France à quelques mois. Maternelle, primaire, collège, lycée... Il y a fait toute sa scolarité mais n'a pas de papiers. "Un jour, j'ai reçu une convocation au commissariat" dit-il. "J'y suis allé et les policiers m'ont fait signer un papier. J'ai signé, ils ne m'ont pas donné de récepissé."
Le papier qu'il a signé est en fait une obligation de quitter le territoire français (OQTF). "Je me suis fait arrêter une autre fois, on m'a dit que j'avais une obligation de quitter le territoire." Il se retouve en rétention et doit maintenant fournir des preuves de sa présence en France. En attendant que l'Angola se prononce sur un ressortissant qu'il ne reconnaît à priori pas, d'après ce que lui a dit le consulat. Lui-même ne connaît que la France.

J'ai jamais mis les pieds de toute ma vie là-bas. Je connais pas la langue, je connais pas le pays, je connais rien. Si j'arrive là-bas, je vais être un touriste.

Plus loin, un petit groupe interpelle vivement la députée. Ils sont plusieurs autour d'elle. Tous dans la même situation, en attente d'une expulsion vers des pays aux frontières fermées. "Il faut trouver une solution" leur répond-elle. "C'est pour ça qu'on est là aujourd'hui".
Dans le quartier des femmes, elle s'inquiète du sort d'une jeune Bosniaque, enceinte, rencontrée il y a dix jours. Elle a été libérée après une audience devant le juge. Ce n'est pas le cas de sa belle-soeur, toujours en rétention. Ni de cette autre femme, Rom de Bosnie, en attente d'une expulsion vers un pays qui ne la reconnaît pas.
"Je suis en France depuis presque 30 ans, j'ai toute ma famille, mes enfants. Je veux pas retourner en Bosnie parce que là-bas, j'ai rien, j'ai personne. C'est pas un pays que je connais, c'est pas mon pays.

"Les personnes présentes ici, on n'a pas les moyens qu'elles sortent et qu'elles soient renvoyées vers un pays-tiers parce que leur situation administrative fait qu'elles n'y seront pas reconnues" dit la députée. "Pour les autres, c'est pareil, les frontières étant fermées. ils sont coincés ici."

Le centre de rétention, sa vocation, ce n'est pas de garder des gens enfermés sans perspective d'être renvoyés donc, il me semble qu'on n'est pas dans le rôle d'un centre de rétention aujourd'hui.

Bénédicte Taurine, députée (LFI) de l'Ariège

L'incompréhension d'une élue

"Au premier confinement, on avait diminué le nombre de retenus, il y avait bien une raison" dit encore la députée de l'Ariège. "Pourquoi là, on enferme des gens sachant qu'on ne va pas pouvoir les libérer avec en plus le risque sanitaire ? Je ne comprends pas."
Avec ses collègues de l'opposition, elle dit avoir "beaucoup oeuvré", notamment au moment de la loi "sécurité globale" , "pour dire aux collègues que c'est pas parce qu'on va rallonger le délai de maintien en rétention que ça va améliorer quoi que ce soit". 

C'est de la communication. On va communiquer sur le fait qu'on les laisse enfermés 90 jours pour protéger, soi-disant, la population mais ce n'est pas le cas. Ce que je voudrais, c'est que mes collègues parlementaires viennent un peu plus souvent dans les centres de rétention, même si certains le font déjà. Parce que c'est nous qui faisons la loi. C'est nous qui mettons les gens ici et il faut y venir plus régulièrement parce qu'il y a une souffrance ici, aussi bien pour les personnes retenues que pour les personnels.

Bénédicte Taurine, députée (LFI) de l'Ariège

Actuellement, 44 hommes et 9 femmes sont retenus au CRA de Cornebarrieu. Le centre est à 60% de sa capacité selon la police aux frontières. Exactement les préconisations du gouvernement.
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