2 cas de Covid en 15 jours, des gestes barrières compliqués à mettre en oeuvre, des retenus maintenus enfermés alors que les frontières sont souvent fermées, la justice rendue dans des conditions ubuesques par visio-conférence : les usagers du centre en dénoncent le fonctionnement.
Même chez les fonctionnaires de police, le mécontentement monte face à une situation sanitaire "compliquée à gérer", au centre de rétention administratif de Cornebarrieu, situé en bout de piste de l'aéroport de Toulouse Blagnac.
"On porte le masque pendant toute notre vacation avec la peur au ventre d'être contaminés", explique le délégué du syndicat SGP Police. "Nous ne comprenons pas que l'on continue à nous faire transporter des retenus potentiellement porteurs du virus, et même positifs comme ça a été le cas mardi".
Ce mardi, c'est en effet dans l'escorte, avec 4 policiers, qui le transportait à Toulouse vers le Tribunal, chez le juge de la liberté et de la détention qu'un ressortissant algérien a appris qu'il était positif au Covid-19. Aussitôt la voiture a fait demi-tour pour revenir au centre de rétention, qui vient ainsi de connaître son deuxième cas en quinze jours, après celui d'une retenue le 13 août dernier. Et une nouvelle fois, tous les cas contacts chez les fonctionnaires de police ont dû être testés et placés en quatorzaine. Le retenu testé positif avait été également en contact avec d'autres retenus et des intervenants au CRA.
Un protocole sanitaire aux nombreuses failles
Un protocole sanitaire a bien été mis en place à l'intérieur, mais il semble comporter de nombreuses failles. Ainsi, il est proposé à l'arrivée des retenus un test PCR facultatif lors d'un examen médical sommaire. Ceux qui l'acceptent sont dirigés vers une zone tampon, l'ancien secteur des familles réquisitionné à cet effet, comprenant trois places. Un test négatif vaut alors au détenu de rester dans cette zone où 7 jours plus tard est pratiqué un second test, qui, si il s'avère également négatif, envoie le retenu rejoindre un secteur où sont regroupés les autres retenus ayant accepté de faire le test et réputés être négatifs. Sauf qu'un tel système n'a pas été mis en place pour les femmes. Qu'elles acceptent ou pas de faire le test, toutes sont regroupées dans un même secteur."Pour les femmes au centre de rétention, c'est pertes et profits", s'indigne Léo Clauss. Les bras du juriste de la Cimade, qui assiste les retenus sur place, lui en tombent lorsqu'il évoque les mesures sanitaires. "Les mesures barrières dans un univers de privation de liberté, où il n'y a rien à faire et où les retenus se regroupent pour discuter à quatre ou cinq assis sur un lit, c'est de la foutaise", assure-t-il. "Ils n'ont pas de matériel, pas de lingettes virucide pour nettoyer les poignées et les portes", ajoute-t-il.
Des personnes retenues sans possibilité d'expulsion alors que les frontières sont fermées
Mais plus que le protocole sanitaire, c'est le "non sens total du maintien en détention de personnes que l'on ne peut pas reconduire à leurs frontières" qui l'interroge. Depuis la mi-mars, soit le début du confinement, seules 38 personnes sur les 350 retenues ont été reconduites à la frontière, dont ce mercredi une famille avec 5 enfants, vers des pays européens, principalement dans les cadre du protocole de Dublin. En revanche, les frontières des pays tiers du Maghreb, d'Afrique ou d'Asie étant fermées, aucune reconduite vers ces destinations n'a eu lieu. "Je voudrais qu'on m'explique la logique. A moins que la nature des centres de rétention ait changé et que ce soit devenu quelque chose de purement punitif, pourquoi garde-t-on des personnes dont on ne peut rien faire et qui finalement sortent au compte-goutte ?", se demande le juriste de la Cimade.Seuls 10% des retenus ont été expulsés depuis le début du confinement
Au plus fort du Covid, il y avait 60 personnes retenues à Cornebarrieu. Il en restait ce jeudi 28. Ces personnes, dont la rétention a été pour la plupart plusieurs fois prolongée, devraient être libérées au terme d'un enfermement maximal de 90 jours. "Tout ça pour ça ?, s'interroge encore Léo Clauss. Pour 28 sans-papiers qui sont là et qu'on ne pourra pas reconduire. Sans parler du coût humain et du coût financier, c'est de l'absurdité".Des conditions indignes d'exercice de la Justice
Dernier libéré du centre, le ressortissant algérien, testé positif au Covid, qui devait comparaître devant le juge "en présentiel". Il a finalement été ramené à Cornebarrieu pour une séance de justice en visio-conférence du type de celles qui se sont tenues pendant tout le confinement, puis jusqu'au mois de juin, et lorsqu'un justiciable positif au Covid devait comparaître. Le retenu est placé devant un écran dans une petite salle du centre. Moment peu solennel de Justice, à l'autre bout d'une liaison de médiocre qualité, se trouve le juge généralement sans robe, en habits civils, accompagné d'un représentant de la préfecture, d'un avocat, et dans le meilleur des cas d'un interprète. Seul devant son écran, et une pieuvre téléphonique, le retenu aperçoit des personnes de dos, ne sait pas qui est le juge et ne comprend généralement pas ce qui se passe. "Pour l'audience chez le juge mardi, il n'y avait même pas d'interprète alors que mon client comprend très mal le Français", témoigne l'avocat du ressortissant algérien finalement libéré sur une question de procédure. "Il faut le voir pour le croire, assure Me Benjamin Francos, et se rendre compte de la médiocrité de la qualité sonore. On était plusieurs à parler en même temps. Le champ de la caméra n'est pas suffisant pour filmer tout le monde. Le retenu entend des voix mais ne sait pas qui parle. Le procédé est assez calamiteux".Sa consoeur Me Anita Bouix, membre comme son confrère d'"Avocat.e.s pour la Défense des étranger.e.s (ADE) dénonce "la tenue de visio-audiences au CRA de Cornebarrieu (...) entièrement illégales car la salle d'audience et les conditions de publicité ne sont pas assurées et en tout état de cause le recours à la visio-audience vise à protéger les juges et le personnel judiciaire mais pas les retenus qui restent sacrifiés à un risque de contamination que seule la fermeture du Centre de Rétention Administratif peut permettre d'éviter. ". C'est ce que demande aussi la Cimade. L'association estime que sa fermeture serait "le seul moyen de conjuguer la préservation des libertés fondamentales des personnes retenues avec l’impératif constitutionnel de santé publique."