Haute-Garonne : face à l'autre et à soi avec "Shift", une exposition du peintre Emmanuel Bornstein au Château de Laréole

Le peintre Emmanuel Bornstein expose ses toiles dans le magnifique cadre du château de Laréole, en Haute-Garonne. Son œuvre bouleverse autant qu’elle questionne sur l'autre, mais aussi sur soi-même. Un événement.

C'est un peintre témoin, qui se définit comme un "chasseur de traces" qui expose cet été au château de Laréole en Haute-Garonne. Emmanuel Bornstein, né à Toulouse, installé depuis de nombreuses années à Berlin livre avec l'exposition "Shift"* une forme de rétrospective sur ses dix dernières années de travail.

Au fil des salles, le spectateur a l'occasion d'une découverte intime de l'oeuvre du peintre. Avec des toiles saisissantes, parfois crues et terribles dans ce qu'elles donnent à voir de la noirceur et de la cruauté de l'âme humaine, Emmanuel Bornstein questionne l’histoire mais aussi l’intime en chacun de nous.

Dualité

Son œuvre interpelle, ses personnages, leurs visages, leurs regards tout comme le mouvement que l'artiste imprime à leur corps. C'est le cas avec l'oeuvre inspirée d'un personnage de Samuel Beckett "Vladimir und Estragon". "Ce qu'on ressent, c'est toute l'ambiguité que j'essaie de travailler, l'ambiguité entre ces deux figures : l'une pourrait extraire l'autre ou tenter de la sauver. Et on peut le voir de manière beaucoup plus négative, beaucoup plus tragique : une figure, un corps mort qui viendrait à être déplacé ou assassiné".

"C'est toute cette ambiguïté-là qui me travaille, poursuit Emmanuel Bornstein. C'est un peu cette dualité qui m'habite, qui nous habite et avec laquelle on est en permanence en lutte, même au sein de notre propre personne je pense".

L'œuvre d'Emmanuel Bornstein fait référence à l’histoire contemporaine. Sa grand-mère était résistante, juive. Elle a été déportée dans les camps d'extermination où toute sa famille a été assassinée. "Quand je peins un tableau, je pars de quelque chose de très intime parce que quand on veut créer quelque chose qui touche l'autre, il faut d'abord être soi-même traversé par une émotion. La peinture évolue mais la charge émotionnelle et ce que je questionne est toujours là".

"Il y a des choses intimes qui ont traversé ma propre histoire ou l'histoire de ma famille, qui sont des prismes qui me permettent aujourd'hui de regarder le monde contemporain et c'est à travers ce prisme-là que je questionne le monde dans lequel on vit aujourd'hui" explique le peintre.

Ce qui importe à l'artiste n'est pas donner des réponses mais de poser des questions. Le tableau, c’est soi, c’est l’autre. Comme ces visages, des autoportraits qui nous renvoient à nous-mêmes, nous interrogent. Ces regards puissants s’adressent directement au cœur.

Des êtres énigmatiques peuplent certaines oeuvres d'Emmanuel Bornstein. "Cette idée de ces corps fantômes avec lesquels on habite et qui sont présents, sont dans les tableaux et nous regardent malgré l'absence de visages (...). Ces présences ou ces figures d'entre-deux-mondes, disons que je les écoute".

Vivre la peinture

Ces êtres luttent pour leur existence. "C'est une forme de lutte pour leur survie comme si ces corps étaient là...  est-ce qu'ils étaient en train de disparaître complètement et on les laissait s'évanouir ou est-ce qu' on cherchait à les rattraper et que eux-mêmes étaient en devenir et qu'un visage allait nous apparaître". 

La peinture dans sa texture, ses cicatrices, ses douleurs touche. Plus que jamais, le spectateur gagne à voir les oeuvres exposées pour ressentir sa puissance, la vivre. Elle interroge mais elle est là pour donner vie, pour guérir aussi. "Le tableau c'est soi mais c'est aussi l'autre. Peindre un visage c'est se peindre soi aussi, il y a toujours un autoportrait et en même temps, c 'est l'autre. C'est toujours chercher à comprendre l'autre" affirme l'artiste. 

Une forme d'altérité

"Et dans les figures qui jouent un rôle dans la société, je me mets moi-même à la place de la personne que je peins et c'est ce que je demande ou que j'exige du spectateur. Finalement je dis "l'effort est à vous de juger qui je regarde". C'est comme dans la vraie vie, quand on rencontre une personne... est-ce que cette personne-là a des intentions positives ou négatives ? On ne sait jamais. C'est cet effort-là qui est demandé par les tableaux. C'est une forme d'altérité".

Emmanuel Bornstein reconnaît se nourrir de questionnements. "A partir du moment où on n'est plus dans le questionnement, on n'est plus dans la vie. Et je pense que dans la période que l'on vit, c'est important de se questionner. Je vis en Allemagne depuis plusieurs années et mon nom est Bornstein. Et il y a un texte qui m'a beaucoup inspiré, sur lequel je me suis beaucoup appuyé, c'est "L'Allemagne et les Allemands " de Thomas Mann. C'est un discours qu'il a fait au Washington Library, lui-même étant naturalisé américain au lendemain de la capitulation allemande".

"Dans ce discours, il dit : il n'y a pas une bonne et une mauvaise Allemagne. La mauvaise Allemagne, c'est celle qui a périclité comme un fruit pourri. Cette continuité entre les deux Allemagne... il demande à chaque Allemand de faire son introspection. On est au lendemain de la guerre, c'est une autre époque. Mais je pense qu'aujourd'hui et de tous temps, c'est important de faire sa propre introspection, de ne jamais se placer d'un côté ou de l'autre et de toujours être dans le questionnement".

Emmanuel Bornstein est une figure montante dans l'art contemporain. Deux de ses oeuvres, présentées au château de Laréole, font désormais partie d'une des collections les plus prestigieuses de la scène internationale. L'exposition "Shift" est à voir jusqu'au 26 septembre. Cliquez ici pour voir le reportage de Christine Ravier, Virgine Beaulieu et Anne Amsili sur France 3 Occitanie.

*Shift signifie changement, glissement.

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