Crise de la santé mentale. "Ce n'est que la partie visible de l'iceberg" : personnels, familles, cliniques privées critiquent les propos du ministre

Les "dysfonctionnements inacceptables" pointés par le ministre de la santé Frédéric Valletoux en visite au CHU de Purpan à Toulouse en Haute-Garonne, le 20 février 2024, entraînent de vives réactions notamment des cliniques privées mais aussi des salariés qui espèrent un réel sursaut.

Après la visite de Frédéric Valletoux, ministre de la Santé et de la Prévention au CHU de Purpan à Toulouse en Haute-Garonne, les réactions sont vives. Sa visite a fait suite à une série d'événements graves en quelques jours : une agression sexuelle d'une patiente, un viol d'une autre patiente, le suicide d'un père de famille de 49 ans laissé sur un brancard depuis dix jours dans un bureau du service des consultations des urgences psychiatriques, de multiples agressions du personnel et un incendie. Des "dysfonctionnements inacceptables", a jugé le membre du gouvernement, en soulignant un manque de coopération entre les huit cliniques privées psychiatriques et l'hôpital public, accusant ces premières "de ne pas prendre leur part", alors qu'elles concentrent 75 % des lits dans le département.

Démenti de la FHP

Des critiques vivement démenties par Lamine Gharbi, le président de la Fédération de l'hospitalisation privée qui regroupe 1 030 établissements privés, qui appelle l'Etat à leur donner plus de moyens. "Je tiens à redire que l’hospitalisation privée prend toute sa part, sans aucune sélection de patients. Au-delà, faisons en sorte que les événements dramatiques de Toulouse permettent de refonder notre système de santé sur la base d’une reconnaissance égale de ses acteurs, à égalité de droits et de devoirs, dans un cadre de complémentarité. Il revient à l’Etat d’en être le garant sur les territoires", rétorque-t-il dans un communiqué diffusé sur X ce jeudi 22 février 2024, plaidant pour une coopération entre public et privé. 

La partie visible de l'iceberg

Ce n'est pourtant pas ce qu'en disent personnel et syndicat du CHU de Purpan. "Le privé fait son travail comme il l'entend, ils ne prendront que les cas les plus "convenables", jamais les gens qui cassent les chambres, les patients qui n'ont pas de mutuelle, les sans-abris, etc"...réaffirme pourtant Rachel*, infirmière, qui a travaillé dans de nombreux services de la psychiatrie à Purpan depuis 2006, où elle œuvre désormais en extra-hospitalier.

Pour le personnel et les syndicats, les propos du ministre de la Santé fraîchement nommé ne livrent pas une "vision périphérique" du mal-être de la psychiatrie publique."Il s'est focalisé sur les derniers événements, mais cela fait 20 ans que nous dénonçons ces dysfonctionnements, martèle la professionnelle. Zoomer sur ce qui s'est passé récemment, n'est que la partie visible de l'Iceberg."

Rachel observe la dégradation de la qualité de l'offre de soins à l'hôpital public depuis de nombreuses années : "Le personnel n'est plus assez nombreux pour accompagner par exemple les patients vers l'extérieur pour leur permettre de retrouver son autonomie. Ce sont des soins intensifs. Et je ne vous parle même pas de la pédopsychiatrie ! Le ministre dit : "je suis le Ministre des patients avant tout", sous-entendu, nous, on ne fait que de se plaindre, alors que nous sommes les premiers à nous battre pour que les patients soient pris en charge correctement, c'est évident !"

De son côté, le syndicat Sud Santé et sociaux du CHU de Purpan qui a déclenché une procédure pour "danger grave et imminent" avec la CGT, regrette des admissions très contraintes : "Si on décide d'admettre un patient après examen en hospitalisation et que nous n'avons pas la place faute de lit, on doit appeler les cliniques privées à 14h. Et on doit l'envoyer avant 16h, relate Edith Vauclare, représentante Sud santé et Sociaux. S'il arrive après 16h parce qu'il y a des bouchons ou autres, il peut arriver qu'on nous le renvoie. Or, souvent, les patients que l'on fait hospitaliser, c'est pour des risques suicidaires ! Et quid du suivi des patients quand on a réussi à les faire hospitaliser ?" 

"On sait pourtant que lorsque l'on donne accès aux soins, ça marche ! Les gens vont mieux !"

Edith Vauclare, représentante Sud santé et sociaux en psychiatrie au CHU de Purpan

L'UNAFAM demande que la santé mentale soit cause naturelle en 2025

Le problème de l''accès aux soins", c'est aussi ce que met en lumière l’UNAFAM, l'Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques, dans une lettre ouverte qu'elle vient d'adresser ce 22 février à Frédéric Valletoux. Elle alerte, elle aussi, sur "l'état d'extrême urgence de la psychiatrie en France". 13 millions de Français sont concernés par des pathologies psychiatriques.  

Marie-Jeanne Richard, sa présidente rappelle que le "suicide de ce patient bipolaire, laissé dix jours sur un brancard", intervenu le 14 février à Toulouse "qui aurait pu, qui aurait dû être évité, reflète les graves manquements de notre système de santé en psychiatrie. Quotidiennement, des situations critiques nous sont partagées par nos adhérents, et plus globalement par les familles ou les proches de personnes concernées par un trouble ou une maladie psychique". Aux côtés de nombreuses autres associations, l'Union demande que "la santé mentale soit une véritable grande cause nationale pour 2025, afin de déployer les moyens nécessaires, humains et financiers, pour faire face à cette situation désastreuse". 

Si lors de sa visite, le ministre a annoncé une "mission de l'Igas, l'Inspection générale des affaires sociales, dans les prochains jours pour, à la fois, pointer la nature des dysfonctionnements, les responsabilités, mais aussi aider les acteurs du territoire pour une meilleure coopération," la représente de Sud santé et sociaux, Edith Vauclare regrette que le ministre n'ait pas davantage parlé des moyens ou de l'attractivité pour rendre les recrutements possibles à nouveau : "Il manque 19 aides-soignants et 19 infirmières aux urgences psychiatriques". Pas un mot non plus sur l'ouverture possible de lits, pourtant annoncé vendredi 9 février par Didier Jaffre, le directeur de l'Agence régionale de santé d'Occitanie.   

Un fort taux d'arrêt-maladie 

Au mardi 20 février 2024, 35 salariés travaillant aux urgences psychiatriques étaient en arrêt-maladie sur 66.  Au total, 15 % de l'effectif des quatre unités d'hospitalisation est absent. Les personnels de psychiatrie au CHU de Purpan mènent une grève illimitée depuis le 16 janvier dernier. En plein mouvement social, la direction vient pourtant de déclencher un plan blanc, le 20 février, permettant de réquisitionner du personnel. Un suivi hebdomadaire des mesures annoncées par la direction de l'établissement et la direction de l'ARS a été mis en place selon la direction du CHU de Toulouse.

*Prénom d'emprunt

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