Les sans-abri ont droit à un véritable enterrement. C'est le crédo de l'association "Gouttes de vie" qui en organise plusieurs dizaines chaque année à Toulouse (Haute-Garonne). Une cérémonie pour leur redonner la place qu'ils ont perdue.
Les sans-abri meurent souvent seuls, loin de leur famille et dans l'indifférence la plus totale. Pour briser ce silence, l'association "Gouttes de vie", organise à Toulouse des obsèques pour ces oubliés de la rue.
Un véritable enterrement
Il n'y a pas foule dans le cimetière toulousain de Cornebarrieu balayé par le vent d'autan en ce vendredi 17 mars. Benjamin est mort à 46 ans devant le foyer où il passait ses nuits dans le quartier toulousain de Saint-Cyprien. Il était d'origine hongroise.
Ses obsèques sont organisées par les bénévoles de "Goutte de vies". Depuis 2008, cette association se démène "pour offrir aux sans-abri et aux isolés un véritable enterrement, et prendre soin de la vie jusqu'au bout", explique Michèle Guilmin, membre du bureau.
L'hommage de la rue
Des bougies sont allumées sur le cercueil de Benjamin. Des amis du défunt, les yeux rougis, prennent tour à tour la parole, en hongrois, anglais ou français : "Ca a été une amitié brève et intense, vraiment intense", déclare ému "Zorro", un copain de la rue. "Avec l'émotion j'arrive pas trop à dire les mots que je voudrais trouver, mais je pourrais vous en dire plein, plein, plein sur Benjamin."
Béatrice Coletti, infirmière d'une équipe mobile de rue qui s'était liée avec lui se souvient "C'était un monsieur qui avait beaucoup, beaucoup d'humour. On l'appelait le pêcheur".
L'image de Benjamin, toujours joyeux , aux abords d'un supermarché, faisant la manche dans son fauteuil, roulant avec une canne à pêche au bout de laquelle il avait fixé une canette plane sur la cérémonie funéraire. Pour clore la célébration, chacun est invité à écrire un mot sur le cercueil.
Peur de la mort
Tout ce rituel s'est mis en place au fil de l'existence de "Goutte de vies" qui compte aujourd'hui une vingtaine de membres : "les SDF ne supportent pas la mort, ils ont du mal à venir aux enterrements de leurs copains", raconte Michèle Guilmin. "Du coup quand ils y vont, ils y vont en force, et pour s'aider, c'est je bois ou je me drogue. Ca peut être agité, mais c'est merveilleux quand ils sont là, il y a une fraternité incroyable!"
D'autres fois, les bénévoles se retrouvent face aux cercueils seuls, avec les agents des pompes funèbres. Certains sans-abri meurent totalement isolés, sous un pont ou dans un bois, en ayant rompu tout lien avec l'extérieur.
Reconstituer une vie
Pour ceux-là, comme pour les autres, l'association mène l'enquête pour tenter de retrouver des morceaux de vie qui permettent de donner à leur enterrement toute l'humanité qu'ils méritent.
Ces enterrements "refont une place à ces personnes qui sont dans une altérité que l'on stigmatise, que l'on rejette ou que l'on ne veut pas voir", résume Thierry Marmet, ancien chef d'un service de soins palliatifs qui a rejoint l'association. Bernard Soulé, inspecteur de police à la retraite, s'occupe lui des recherches : "au bout de 35 ans dans la police, j'ai de la méthode quand même. J'aide "Gouttes de vie" et moi, ça me fait du bien, comme ça, mon logiciel, il continue à fonctionner. Je suis un homme de liens, j'y peux rien"
Registres d'état-civil, contacts avec ses anciens collègues ou les travailleurs sociaux lui permettent d'en savoir plus sur les défunts et parfois de retrouver leur famille.
Chaque année, l'association organise les obsèques d'une trentaine de personnes qui ont connu la rue. Toutes n'y meurent pas, cela peut être en foyer, dans un logement d'accueil ou un établissement de soins.
(Avec AFP - Eloi ROUYER)