Attribuer un logement social en fonction de la nationalité, la religion ou l'ethnie du demandeur, une pratique totalement illégale mais qui a pourtant eu cours pendant plusieurs années au sein d'Habitat Toulouse, selon Mediapart qui publie des documents internes accablants.
Sans cet ancien salarié d'Habitat Toulouse, toujours scandalisé plusieurs années après avoir découvert de telles pratiques, on n'aurait sans doute jamais rien su de cette discrimination mise en place au début des années 2010 au sein du plus important des 12 bailleurs sociaux de Haute-Garonne. C'est lui qui a contacté Mediapart. Le site d'information s'appuie aujourd'hui sur des notes et des documents internes du bailleur social pour prouver un véritable système de discrimination, facilité par un outil interne instauré pour garantir "une mixité sociale" dans les logements.
Une gigantesque discrimination organisée
"Demander de refuser les Tziganes sur ce secteur", "Famille religieusement très marquée", "Attention, Monsieur est Ivoirien", "Pas d’étrangers"... Ces notes figurent en en marge de certaines demandes de logement traitées par Habitat Toulouse. "Bien loin des critères officiels" note Mediapart. Des critères totalement illégaux : l'attribution d'un logement en France ne peut en aucun cas être soumise à la nationalité ou à l'origine du demandeur. La loi est claire pour bénéficier d'un logement social, il faut soit être français soit, si on est étranger, être admis à séjourner régulièrement en France, c’est à dire être titulaire d’un titre de séjour en cours de validité. D'autres critères très précis permettent ensuite d'établir des priorités dans l'attribution d'un logement : personnes bénéficiaires du droit au logement opposable, souffrant d'un handicap, mal logées...
Des faits prescrits
Le délai pour porter plainte en cas de discrimination à la location est de six ans, mais il n'était que de trois ans en 2011, date des faits révélés par Mediapart. L'allongement de ce délai, acté l'an dernier, n'étant pas rétroactif, ces faits sont aujourd'hui prescrits.Des pratiques qui posent question
Le site d'information révèle aussi qu'Habitat Toulouse avait aussi mis en place un système interne de sélection des dossiers. Instauré en 2003, le dispositif de gestion des "projets locatifs résidentiels" (PLR), devait garantir la mixité sociale dans les résidences gérées par le bailleur. Là aussi, des notes sur des documents posent question quant à l'interprétation des critères fixés par le PLR et leur légalité: "j'ai sélectionné les personnes qui correspondent au plr (travail, nationalité)", "comme vu avec X.Y ce jour, merci de ne plus positionner de candidats hors Union européenne sur la résidence Z"... Selon Mediapart, ces pratiques avaient toujours cours en 2017... De quoi poser des questions quant à "l'interprétation" des critères d'attribution des logements en fonction de l'origine des candidats.Des pratiques inacceptables pour la Ligue des droits de l'homme
Ces pratiques sont inacceptables pour Pascal Nakache, avocat et représentant der la Ligue des Droits de l'Homme à Toulouse, rencontré par France 3. "C'est fait dans une véritable opacité et avec des termes qui ne sont pas acceptables", dit-il. "Evoquer une famille qui est religieusement très marquée n'est pas quelque chose que l'on peut accepter. Au final, on peut douter réellement de l'objectif de mixité sociale et se demander si en réalité il n'y a pas une volonté d'éviter qu'un certain nombre de populations aient accès au logement social. Tout cela est fait d'une manière qui me paraît totalement innacceptable et relever d'une infraction pénale".Habitat Toulouse se défend
De son côté, Habitat Toulouse se défend de telles pratiques : "ce sont vraiment des critères qui sont complètement illégaux" explique Daniel Ferré, directeur général adjoint de Toulouse Métropole Habitat, "et c'est ça qui est choquant, surprenant et très décevant dans les révélations qui ont été faites. Nous les condamnons et si jamais nous avions connaissance de ces pratiques encore actuellement ou si les collaborateurs qui les ont mises en place étaient encore présents, nous serions amenés à prendre des sanctions".Sceptique, l'association Droit au logement (31) appelle d'ores et déjà à une manifestation demain mercredi à 10h30 devant les locaux d'Habitat Toulouse dans le quartier Bagatelle.
Une plainte déposée
Suite aux révélations de Mediapart, l'association la Maison des Potes- Maison de l'égalité a décidé de porter plainte. "Les documents publiés par Mediapart établissent l'existence de délits de subordination d'offre locative à un critère de nationalité, d'origine, d'ethnie, de couleur de peau et de délits de mise en mémoire informatisée de données nominatives faisant apparaître sans l'accord exprès de l'intéressée ses origines ethniques ou nationales supposée ou sa religion" dit son vice-président, Samuel Thomas. Dans un communiqué, il indique que son association réclame "que des investigations soient diligentées en enquête de flagrance ou suite à l'ouverture d'une information judiciaire par le biais d'une commission rogatoire".Le reportage de Corinne Lebrave et Jack Levé