"Greenwashing", c'est le titre d'un ouvrage publié par des chercheurs de l'Atécopol, un collectif qui planche sur la question écologique. Ce "manuel pour dépolluer le débat public" donne des clés de compréhension précieuses. Laure Teulières, l'une de ses auteures, répond à nos questions.
Le réchauffement climatique est un enjeu décisif, une priorité pour un nombre de plus en plus important de personnes, si ce n'est de responsables politiques. Pour clarifier le débat sur le sujet et le rendre accessible, des chercheurs de l'Atécopol viennent de publier "Greenwashing", manuel pour dépolluer le débat public".
"Greenwashing" signifie écoblanchiment, une technique marketing utilisée par des organisations pour suggérer ou exprimer un positionnement écologique vertueux alors qu'en pratique, elles contribuent à polluer l'environnement.
Laure Teulières, maîtresse de conférence en histoire contemporaine à l'université Toulouse Jean-Jaurès, a participé à sa rédaction. Grâce aux prismes de nombreux chercheurs, il permet de comprendre là où le débat sur l'écologie est biaisé et d'entrevoir les vraies solutions à mettre en oeuvre d'urgence sur le plan sociétal.
Quel est votre objectif avec ce manuel ?
Il est de plus en plus connu que l'enjeu écologique est absolument crucial, du coup il est de plus en plus saisi dans le débat public par les acteurs sociaux de tous types, de l'Etat jusqu'aux acteurs économiques en passant par la société civile, avec des propositions pour faire face à la situation.
Or, nous il nous semble qu'il y a encore beaucoup d'éléments qui s'apparentent à du greenwashing. En donnant à ce mot un sens un peu extensif... Ca ne se résume pas à une opération de com' un peu cynique pour essayer de se donner une image verte. Ce qu'on essaie de montrer c'est que le greenwashing, au sens plus large, est en fait une mauvaise manière de répondre à l'enjeu écologique et qu'il est extrêmement présent dans la société.
Il est présent pour différentes raisons qui vont évidemment de défenses d'intérêts privés, de type corporatiste, voire de stratégies d'enfumage à des choses beaucoup plus larges qui sont une mauvaise façon de poser les enjeux. Et donc, évidemment, d'y répondre. Voire, aussi, une tendance générale de notre société à se masquer la réalité des transformations nécessaires, soit parce qu'on n'a pas trop envie d'y faire face... c'est presque même un trait culturel. Mais aussi parce que notre société est organisée, structurée de par sa forme socio-économique par un certain nombre de logique qui empêchent de traiter correctement la question écologique. une question qui est pourtant cruciale.
Quels sont ces logiques qui bloquent la prise en compte de la question écologique ?
Pour donner une idée des trois points qui nous paraissent essentiels, c'est l'économisme : le primat d'une vision économiste à courte vue qui ne prend pas en compte la dimension environnementale qui est le substrat de nos sociétés et de leur développement économique.
Deuxièmement, le techno-solutionisme. Et ça c'est constant, notamment dans les médias, sans faire un procès des médias qui aujourd'hui essaient aussi de participer à donner l'alerte, rendre ces sujets plus intelligibles. Mais souvent on annonce une bonne nouvelle d'une solution technologique qui va résoudre tel ou tel enjeu. parfois c'est juste, ce sont des solutions intéressantes. Mais si elles ne sont pas repensées dans une transformation globale, il peut y avoir des effets rebond et de toutes façons, ça n'est jamais une solution miracle.
Troisièmement, la pensée en silo, c'est-à-dire qu'on a des grandes annonces du type "l'aviation va se décarboner", "la cimenterie va se décarboner", ceci-celà va se décarboner" et en vérité, quand on met tout bout à bout, on s'aperçoit que ça ne suffit pas. Un secteur ne peut pas prendre toutes les ressources de décarbonation, d'énergie propre au détriment des autres. Il faut une pensée globale et là, ça révèle toujours un changement d'orientation de modèle beaucoup plus profond avec, au coeur, la sobriété.
Pourquoi n'y a-t-il pas d'autres solutions que la sobriété ?
Il y a plein de solutions à mettre en oeuvre, y compris des solutions technologiques. Mais, sans sobriété, sans socle de sobriété, ça ne marchera jamais. Scientifiquement on est fondé à le dire parce que le problème écologique est multi-factoriel, multi-dimensionnel. Il n'y a pas que la question du climat et de l'énergie. il y a aussi la fertilité des sols, l'érosion, la pollution qui vire à une contamination généralisée si on pense au plastique, il y a la biodiversité qui est un enjeu énorme.
Donc c'est la généralité de nos usages et de nos rapports à la nature qui pose problème. Pourquoi ? Parce que nos sociétés sont dans des dynamiques de croissance qui s'appuient sur une prédation et un usage démultiplié des ressources.
Donc, même si on met en place un certain nombre de transformations vers des énergies propres, des technologies moins impactantes, etc, si on ne règle pas l'effet rebond, on déplace les enjeux. C'est un phénomène connu en sciences. On résout un problème quelque part, mais on en crée un autre ou on en démultiplie l'effet ailleurs.
Très simplement par exemple, on sait que la transition énergétique indispensable pour sortir des énergies fossiles va générer une demande de minéraux pour les nouvelles technologies, que ce soit le solaire, évidemment le nucléaire avec l'uranium ou les éoliennes, et ça crée d'autre dommages.
Et tout simplement, on voit qu'il n'y a pas d'énergie miracle. C'est-à-dire que si on reste avec des besoins énergétiques colossaux, à moins de recouvrir notre sol de panneaux solaires, on a très peu de moyens de produire autant.
Quel type de solution envisagez-vous concrètement ?
Quand on dit sobriété, tout le monde peut comprendre que ça va être dur. Il y a déjà toute une catégorie sociale qui a du mal à boucler les fins de mois, qui a l'impression déjà d'être exclue de la consommation... C'est là que nous, même si nous ne sommes pas des prescripteurs politique, on se dit que pour que ça passe, on est bien obligé de se poser des questions politiques, à savoir : où on va faire porter la charge et comment on va répartir les usages et la charge financière que ça peut représenter.
Donc forcément ça demande de repenser notre modèle social pour que ce ne soit pas un facteur supplémentaire d'exclusion. Mais peut-être si on veut être optimiste, de résilience et d'inclusion dans une société plus égalitaire. Des valeurs de plus grande égalité, de justice et d'inclusion sont indispensables à une transition réussie.
Les solutions, il y en a. Le problème c'est qu'elles sont compliquées à mettre en oeuvre parce qu'elles exigent de grands changements. Donc notre livre, il est destiné à faire prendre conscience aux gens, et on l'espère aussi aux relais d'opinion comme les médias, qu'il faut maintenant être cohérent dans la manière d'aborder ces problèmes. Il faut partager la compréhension de l'ampleur de ce qu'il faut mettre en oeuvre.
Il faut que les peuples se saisissent de la compréhension des enjeux de manière à ce que de tout côté ça puisse peser. Bien sûr l'échelle politique, c'est important, mais au point où on en est, ça ne se fera que si, de tous côtés, dans les milieux professionnels, chez nous dans l'enseignement, la recherche, on y travaille, mais que chacun dans son domaine, essaie de peser pour dire : mais attention il faut qu'on sorte de cette vision "business as usual", aujourd'hui on n'a plus que quelques années pour prendre un tournant majeur.