Des dizaines de mineurs hospitalisés pour des intoxications à la cocaïne entre 2010 et 2020 dont la moitié a moins de 6 ans. C’est l’édifiant bilan dressé par une récente étude menée par la pédiatre Isabelle Claudet, du CHU de Toulouse.
C’est une réalité qui avait inspiré le scénario du film "Mais vous êtes fous", réalisé par Audrey Diwan et sorti en 2019. Un père cocaïnomane, qui contamine malgré lui sa fille, sauvée in extremis à l’hôpital. Un récit loin d'être une fiction s'alarment les professionnels de santé. De plus en plus d’enfants sont en effet testés positifs à cette drogue.
Selon une étude qui doit être publiée prochainement dans la revue Clinical Toxicology, et menée par la professeur Isabelle Claudet, cheffe du Pôle Enfants et des Urgences pédiatriques au CHU de Toulouse, ces intoxications chez les jeunes de moins de quinze ans ont été multipliées par huit entre 2010 et 2020, avec une nette accélération ces trois dernières années.
Même en 2020, année marquée par la pandémie de Covid-19, les empoisonnements ont continué de progresser. Cette année-là, le taux d'admission aux urgences pédiatriques pour ce motif était de 3,3 pour 100 000 admissions contre 2,8 pour 100 000 en 2019. 46% des enfants intoxiqués avaient moins de 6 ans, 16% de 6 à 13 ans, 38% plus de 14 ans.
Des données qui ont été mises en parallèle avec les appels reçus dans les centres antipoison et de toxicovigilance sur la même période. Leurs données confirment cette tendance. En 10 ans, 48% des cas d'intoxication se sont produits les trois dernières années de l'étude entre 2017 et 2020. Le nombre total d'appels liés à une prise accidentelle de cocaïne par des enfants a été multiplié par 32.
Les cas les plus graves se sont produits les trois dernières années
Des enfants qu'il a fallu hospitaliser, douze d'entre eux ont même dû être admis en soins intensifs ou en réanimation. Accélération du rythme cardiaque, agitation, convulsion, élévation ou chute de la pression artérielle, les symptômes sont essentiellement neurologiques et/ou cardiovasculaires. "Les problèmes cardio-vasculaires, c’est vrai surtout chez les grands, développe Isabelle Claudet. Chez les petits enfants, il y a surtout des problèmes neurologiques."
83% des cas les plus graves recensés dans cette étude ont eu lieu entre 2017 et 2020. La majorité de ces enfants a été hospitalisée. "La plupart du temps, ce sont des enfants qui sont admis via les urgences, explique la pédiatre. On hospitalise que ceux qui sont symptomatiques, il y en a qui ne le sont pas du tout, heureusement. Et ensuite, ils sont hospitalisés en pédiatrie générale, en réanimation s’il y a des signes de gravité." Selon l’étude, douze enfants ont dû être admis en soins intensifs ou en réanimation.
Des cas de plus en plus graves qui seraient directement liés à l'évolution de la consommation des drogues et à leur constitution. "La cocaïne a une pureté qui a augmenté, donc elle est de meilleure qualité ", explique Isabelle Claudet.
Autre cause : la simultanéité de la cocaïne avec des substances diverses. "Soit les produits de coupe, les adultérants (comme le levamisole ou la lidocaïne) soit d’autres drogues qui trainent, déclare Isabelle Claudet. Un certain nombre d’enfants étaient positifs aussi pour le cannabis." Sur les enfants intoxiqués répertoriés dans cette étude, les analyses toxicologiques mettent en évidence jusqu'à 18 autres substances chez 46 enfants hospitalisés suite à une prise de cocaïne, essentiellement des adolescents.
Une drogue plus accessible
Pour Isabelle Claudet, cette augmentation d’enfants intoxiqués s’explique par la hausse de la consommation par les parents. "C’est beaucoup plus disponible qu’avant, ça circule beaucoup plus, avec une pureté qui a augmenté. La cocaïne est de meilleure qualité, pour un prix qui reste stable, voire a baissé. " Elle est aussi beaucoup plus accessible, sa livraison s’étant "ubérisée" via "des centres d’appel dédiés."
Aujourd’hui, la cocaïne est la seconde drogue la plus consommée d'Europe. En 2019, 213 tonnes ont été saisies sur le marché européen, signe d'une forte progression. Cette expansion se mesure aussi en France, les douanes françaises ont saisies 26,5 tonnes de cocaïne en 2021, contre à peine 643 kilos en 2015.
L'Occitanie, l'une des régions les plus exposée
Notre région l'Occitanie appartient aux régions les plus exposées avec l'Ile de France. Ces deux régions cumulent " la moitié de la cohorte ", indique Isabelle Claudet, qui ajoute que celle-ci est "de 74 patients (entre 2010 et 2020)." "On s’en partage 50 avec l’Ile-de-France et Montpellier, donc on en a une petite trentaine, et surtout sur les deux dernières années", développe la pédiatre. En effet, notre proximité avec l'Espagne en fait une base pour les trafiquants d'Amérique latine.
Les enfants seraient donc des victimes collatérales de ces trafics et de cette hausse de la consommation. Les intoxications, elles, surviendraient majoritairement au domicile pour les plus jeunes. "Comme toute consommation de stupéfiants, quand les parents ne sont plus en capacité de surveiller, les enfants s’intoxiquent, les plus petits accidentellement, en inhalant de la poudre ou en l’ingérant ", complète Isabelle Claudet.
Les adolescents consommateurs sont souvent "des mineurs isolés" selon la pédiatre, qui précise que ces intoxications se produisent plus par "sniffing" ou en fumant du crack, base libre de la cocaïne.
La moitié des enfants intoxiqués a moins de 6 ans
Dans cette étude médicale, la moitié des enfants intoxiqués ont moins de 6 ans. "Je trouve inquiétant qu’en 2023, on ait autant de jeunes enfants qu’on retrouve dans nos unités intoxiqués à la cocaïne", alerte Isabelle Claudet. Plus des deux-tiers de leurs parents ont d'ailleurs avoué être des consommateurs réguliers.
Un tiers de ces enfants a donc fait l'objet d'un placement judiciaire selon l’étude. Les enfants intoxiqués "sont des enfants qu’on garde pour faire un bilan du contexte socio-familial, et prendre des mesures", souffle la pédiatre, qui affirme que "la plupart du temps, il y a un signalement qui est fait au Parquet." "Après, en fonction de l’évaluation de la situation de la famille, ça peut aboutir à des placements des enfants, ou à des mises d’assistance des parents."
L'importance de la prévention pour les parents
Ce risque émergent de santé publique inquiète les autorités sanitaires, qui insistent sur le besoin d’informer les parents consommateurs. "Moi je peux pas faire grand-chose sur la consommation des parents, regrette Isabelle Claudet, mais il faudrait qu’ils soient bien au courant des risques encourus pour leurs propres enfants". La cheffe du Pôle Enfants insiste. "Quand on dit aux parents le cannabis, qui est très banalisé, peut mettre leur enfant dans le coma, ils ne s’attendent pas du tout à ce que cela entraine des symptômes aussi importants chez leurs enfants. Pour la cocaïne, je pense qu’ils sont aussi à 10 000 lieux d’imaginer que cela puisse être dangereux pour un petit enfant."
Aujourd’hui au CHU de Toulouse, face à ce problème très récent, le service de pédiatrie ne travaille "pas forcément avec des associations". "Jusque-là, c’était surtout un problème de consommation du jeune adulte, à partir de 17,18 ans, ce qui est toujours le cas, explique Isabelle Claudet. En pédiatrie, c’est quelque chose qu’on découvre de façon beaucoup plus fréquente depuis deux ou trois ans." D’où l’importance de la prévention.