ENQUETE - Harcèlement sexuel : la parole se libère à l'Université Toulouse Jean Jaurès

Pas moins de quatre enseignants et un bibliothécaire sont actuellement suspendus à l'université Toulouse Jean Jaurès, soupçonnés de violences sexistes ou sexuelles. Effet d'une parole longtemps occultée, et qui se libère...enfin. Mais qui a du mal à être prise en compte par l'Institution.

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Année universitaire chargée pour la commission disciplinaire de l'Université Toulouse Jean Jaurès (UT2). Traditionnellement, cette instance se cantonnait plutôt à des affaires de triche aux examens ou de plagiat.


Des procédures disciplinaires d'une ampleur inédite

Il y avait bien eu ce prof de l'IUT de Figeac, établissement rattaché à l'UT2, suspendu en 2017 pendant un an pour avoir pris l'habitude de convoquer ses étudiantes à 21 heures, de les "faire travailler nuit et jour" pour "épouser le rythme de l'entreprise" et de leur envoyer nuitamment des sms particulièrement salaces.

Mais depuis quelques mois, les procédures lancées connaissent une ampleur inédite. Pas moins d'un bibliothécaire et de quatre enseignants, accusés de violences sexistes ou sexuelles et de harcèlement, ont eux aussi été suspendus à l'UT2.

Sauf dans le cas d'un éminent chercheur en sociologie du CNRS chargé d'enseignement, soupçonné de poursuivre les garçons jusque dans les toilettes et de visionner des vidéos pornographiques, il s'agit d'hommes, accusés de s'en prendre aux étudiantes ou à leurs collègues femmes.

Tous sont présumés innocents et tous contestent les faits qui leur sont reprochés. Le bibliothécaire, soupçonné d'agresser sexuellement ses collègues et les étudiantes, a tout de même été exclu. Il a fait appel.

Un lecteur d'anglais aurait forcé des étudiantes à l'embrasser et leur aurait envoyé des messages très insistants. Il a été remercié.


Une quinzaine d'étudiantes témoignent de harcèlement moral ou sexuel de la part de deux professeurs en Arts Plastiques

Dernière affaire en date, au mois de mai, deux professeurs du département Arts Plastiques ont été suspendus. Une commission disciplinaire instruit le dossier de ces deux enseignants, qui dispensaient régulièrement leurs cours ensemble, et dans lequel une quinzaine d'étudiantes les accusent de harcèlement moral et sexuel. Nous avons rencontré trois de ces étudiantes.

L'une d'entre elle raconte que l'étude de la sexualité, voire de la pornographie, dans l'Art était un prétexte pour explorer la vie intime et sexuelle des étudiantes. "On m'a demandé de raconter mon histoire intime, mes ébats sexuels avec mon copain", assure-t-elle.

Une autre décrit des regards insistants par dessus l'épaule, ou un visage qui s'approche d'un peu trop près.

Il est aussi question de fesses touchées par l'intermédiaire d'une pomme, lors de ..."pratiques performatives" (exercices artistiques souvent basés sur le corps entrepris par une ou plusieurs personnes). Des consignes auraient aussi été données aux étudiants pour sexualiser ces exercices : "tiens, tu pourrais lui caresser l'épaule, lui soulever la jupe".

En "cours de performance", témoigne encore une étudiante, je portais un bermuda et au bout d'une demi-heure du travail que je présentais, je n'ai eu droit pour seul commentaire devant 40 autres étudiants qu'à : "vous avez de belles jambes". Une autre affirme que l'un des deux professeurs lui aurait proposé de l'accompagner sur une plage naturiste où il aurait ses habitudes. 

Florilège non exhaustif d'accusations portées dans ce dossier :

Sans cesse, il fallait parler de notre vie personnelle. On était notées sur ça, et on se pliait aux consignes parce que derrière, il y avait notre licence. Je me suis sentie humiliée, utilisée comme un objet. J'avais l'impression de me faire martyriser par un grand enfant. On n'avait plus envie d'apprendre. On avait peur de se mettre en scène comme des animaux. Celles et ceux qui les faisaient rire obtenaient des 19. Il essayait de sexualiser notre relation. J'ai éloigné cette sexualisation et il est devenu très violent. Je ne suis plus allée en cours, j'avais peur, peur de le voir, peur de le croiser. Nous avions cette horrible impression que plus nous montrions notre corps et notre intimité lors des performances, plus la note était élevée.


Des pratiques qui seraient basées sur la peur et le chantage à la note selon l'Union des Etudiant.e.s de Toulouse

De telles pratiques, qui seraient basées sur la peur et un chantage à la note, auraient ainsi prospéré pendant des années dans l'omerta la plus totale.

"Beaucoup ont arrêté la licence à cause de ces deux profs", assure Cynthia de l'Union des Etudiant.e.s de Toulouse, qui résume : "ils exigeaient une soumission totale à l'Art et donc à eux-même puisqu'ils estimaient en être les acteurs".

Une cabale ourdie par un groupe d'étudiantes selon les avocates des deux professeurs

Les avocates des deux enseignants suspendus contestent tout acte de harcèlement. Leurs clients ont récemment été entendus par la commission de discipline de l'Université. 

Selon Maitres Agnès Souleau Travers et Emmanuelle de la Morena :

Une parole qui se libère n'est pas forcément sincère et loyale, ce dossier est une cabale montée contre ces deux professeurs, déclenchée par une parole souvent anonyme et malveillante.


"Les témoignages tiennent en grande majorité du ressenti par des étudiantes qui parlent pour le compte d'autres étudiantes", ajoutent les avocates. Elles affirment avoir de leur côté réuni "très rapidement" des dizaines de témoignages. Des étudiants, actuels ou plus anciens, ainsi que des enseignants, qui évoquent "la bienveillance, le souci de l'étudiant, la générosité et l'écoute" des deux professeurs incriminés. 

Une étudiante assure ainsi que : 

tous les sujets abordés l'ont été dans le respect de l'intimité de chacun et toujours dans le cadre de la recherche plastique

Elle indique que les témoignages à charge dénotent, selon elle, " d'une incompréhension de la part de mes camarades de la recherche plastique (...) peut être que nous n'avons pas tous l'ouverture d'esprit que les études d'arts plastiques requièrent pour son apprentissage".

Les deux avocates disent aussi se réserver le droit de porter plainte.
 

Me too gagne l'Université

A l'Université Jean Jaurès de Toulouse, comme dans beaucoup d'autres Universités françaises (voir l'enquête menée par Mediapart), tout se passe comme si le phénomène MeToo arrivait dans l'Enseignement Supérieur, où jusqu'alors la parole avait été contenue, voire occultée. Parvenu en France dans le sillage de l'affaire Weinstein, en octobre 2017, il avait abouti sur les réseaux sociaux à la version francophone #balancetonporc, brisant l'omerta et dénonçant des comportements allant du sexisme quotidien au harcèlement, jusqu'aux agressions sexuelles.

Ce n'est sans doute pas un hasard si un collectif de 500 chercheurs, dont quelques Toulousains, a publié le 23 mai dans le journal Le Monde une tribune pour dénoncer l'ampleur des violences sexistes et sexuelles à l'Université, mais aussi les "stratégies d’évitement pour décourager les victimes et protéger les agresseurs".

A l'Université Jean Jaurès, la cellule de lutte contre les violences sexuelles dispose en tout et pour tout...d'une adresse internet

Si à l'Université Toulouse Jean Jaurès, comme ailleurs, les procédures pour harcèlement sexuel atteignent une ampleur inédite, les moyens mis en place par l'Institution ne sont clairement pas à la hauteur de l'ampleur du phénomène.

Ainsi, à l'UT2, présidée pour la première fois de son histoire par une femme, une chargée de mission "égalité et lutte contre les discriminations de genre et le harcèlement sexuel" a beau être en poste depuis 2016, elle ne dispose encore que...d'une adresse internet.

Cette professeure demeure pourtant optimiste. "Je vois bien que la mise en place est lente. Il y a une crainte de l'installation d'une telle cellule, qui peut faire sauter des verrous. Mais les choses vont dans le bon sens", dit-elle. Ce mardi, le Conseil d'administration devrait voter pour sa cellule un budget et l'attribution d'une salle, d'une ligne téléphonique et de quelques moyens humains.

Pour autant, reconnaît la chargée de mission, même si la parole se libère, "ça reste compliqué de venir parler du harcèlement sexuel. Ce n'est pas sans conséquence pour l'étudiant qui a peur des représailles".

Seules "6 ou 7 personnes", sur une population de près de 30.000 étudiants à l'UT2, sont ainsi venues aborder cette thématique depuis la rentrée universitaire avec la chargée de mission. Laquelle prévoit de "traiter le problème par la prévention, la formation et la communication". "La culture patriarcale machiste est très présente dans la société française et donc à l'Université", analyse-t-elle. "Et très souvent, des attitudes déplacées ne sont pas perçues comme telles, y compris parfois par les femmes elles-mêmes".


Une législation durcie

La loi relative au harcèlement sexuel a pourtant été durcie. Depuis le 6 août 2012, la caractérisation du harcèlement ne nécessite plus excusivement la répétition. Est ainsi assimilé au harcèlement sexuel "le fait, même non répété, d’user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers". Sont visés des "propos ou comportements répétés à connotation sexuelle" qui ont pour effet de "porter atteinte à la dignité d'une personne ou bien de créer à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante", soit au moins une "pression grave" même non répétée "dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuel". Peine encourrue : jusqu'à deux ans d'emprisonnement et 30.000 euros d'amende. 


"Des lâchetés institutionnelles qui mettent en place des stratégies d'évitement"

Mais peu de victimes déposent des plaintes. Un passage au commissariat donne le plus souvent lieu à une simple main courante. Reste alors l'ouverture d'une procédure disciplinaire administrative, laissée à la discrétion de la présidence de l'Université. Dans leur tribune au Monde, les 500 chercheurs  dénoncent des procédures "encore trop rares au regard de l'ampleur des phénomènes de violence". Ils évoquent des "lâchetés institutionnelles", et mettent en cause des "stratégies d'évitement" de la part des universités telles que des "réponses dilatoires", des "tergiversations", ou encore des "ouvertures d'enquêtes administratives internes au fonctionnement opaque" et des "accusations de diffamation" pour "refuser d'ouvrir ces procédures disciplinaires". "les procédures fonctionnent structurellement en défaveur des victimes, souvent "considérées comme des témoins" et qui "ne peuvent pas faire appel des décisions", expliquent les signataires.


"Le disciplinaire c'est toujours très compliqué"

"Le disciplinaire, c'est toujours très compliqué", renchérit un universitaire. Sauf à vouloir règler des comptes avec un collègue, aucun enseignant n'a envie de juger l'un de ses pairs. Difficile d'éviter "l'entre soi" et les jugements de complaisance entre collègues", ajoute un autre enseignant.

Les présidences des Universités sont-elles pour autant prêtes à saisir la justice des délits présumés examinés par les commissions de discipline et à se constituer parties civiles en matière de harcèlement sexuel ? Selon nos informations, chaque fois qu'une commission universitaire de discipline est saisie en matière de harcèlement sexuel, le dossier serait désormais transmis au procureur de la République. Charge à lui de donner ou pas une suite. 

Le juge pénal dispose en tous cas de moyens d'investigation sans commune mesure avec ceux d'une commission d'enquête universitaire.

L'Union des Etudiant.e.s de Toulouse est d'autant plus favorable à la contitution de partie civile de la part de l'Université qu'étudiants et enseignants ne sont pas logés à la même enseigne sur le plan disciplinaire.

Aucun étudiant n'est présent dans ces commissions. Par ailleurs, les victimes étudiantes présumées ne disposent pas des mêmes droits que les enseignants agresseurs présumés.

Le Statut de la Fonction publique accorde en effet à ses agents (victimes ou accusés) à leur demande, une protection fonctionnelle. Celle-ci génère pour l'employeur public des obligations telles que la prise en charge des frais de justice.

Une victime étudiante n'en bénéficie pas. 







 
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