ENTRETIEN. Le climatologue Christophe Cassou s'insurge contre un député du Gers qui dénigre le GIEC

Christophe Cassou est climatologue au Cerfacs à Toulouse. Il fait partie du GIEC, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Il est choqué que le député Jean-René Cazeneuve ait qualifié de "posture" les données évaluées par le GIEC. 

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Christophe Cassou est directeur de recherche au CNRS affilié au CERFACS, (Centre européen de recherche et de formation avancée en calculs scientifiques). Il vient de travailler pendant cinq années au dernier rapport du GIEC qui sera publié en juillet 2021 et réagit vivement sur Twitter aux propos du député LREM du Gers, Jean-René Cazeneuve, qualifiant les travaux du GIEC de "posture".

Vous avez qualifié de "méconnaissance totale" les propos du député LREM du Gers sur les recommandations du GIEC qui l'estime dans une "posture". Pourquoi cela vous choque-t-il ?

Je suis assez surpris qu'en 2021, on parle de "posture" du GIEC comme s'il exprimait une opinion. Le GIEC procède à une évaluation rigoureuse, la plus exhaustive, de faits scientifiques. Ce n'est pas le GIEC qui énonce qu'on arrive à la neutralité carbone en 2050, si on veut maintenir le réchauffement climatique à 2°. Le climat impose ses contraintes, c'est de la physique. C'est incontournable. Il ne s'agit en rien d'une posture.

Il ne s'agit pas de mettre un peu de climat dans les lois. Il faut partir des 2°C et aligner les lois. La contrainte physique nous dit ce qu'il faut faire, ce n'est pas le GIEC. Le GIEC décrit les contraintes physiques qui permettent de limiter le réchauffement à 2°C. 

Quel est votre sentiment face à ce type de réaction ?

Cela m'attriste. J'aurais imaginé que la représentation nationale soit au courant de la façon dont fonctionne le GIEC. Ce n'est pas possible de ne pas le savoir après 30 ans de travail. Je ne pense pas qu'il s'agisse d'une manipulation volontaire. Je me demande si c'est du déni ou simplement le fait que les politiques n'assument pas leurs positions, incompatibles avec le seuil de réchauffement global à +2°C. Ils reportent ça sur le GIEC.

Les choix politiques, ils se discutent. C'est démocratique. Mais ne pas les assumer et accuser le Haut conseil pour le climat ou le GIEC est inacceptable. On va publier notre 6ème rapport en juillet et je suis blessé quand on ne reconnait pas l'énorme travail d'évaluation des connaissances effectué et son intégrité. Ce sont plus de 720 auteurs de 90 nationalités qui ont travaillé à une évaluation commune et plurielle. Rien à voir avec une posture. Le mot est choquant.

Vos alertes passent pour un parti pris...

Oui, or l'urgence climatique est dictée par les contraintes physiques encore une fois. Le GIEC ne décide pas de l'excès d'énergie dans l'atmosphère que l'homme introduit via ses émissions de CO2. Le chiffre n'est pas questionnable. C'est de la physique. On sait depuis la fin du XIXème siècle que la molécule de CO2 a un pouvoir de réchauffement via le processus d'effet de serre. 

Le seuil de température de +1,5°C sera franchi avec une très grande probabilité dans la décennie 2030. Donc l'enjeu est dans la stabilisation du réchauffement global a une valeur inférieure à  +2°C à partir de 2050. Mais ce qu'il faut comprendre, c'est que 2040-2050, ça se joue aujourd'hui. C'est une question de responsabilité parce qu'on est face à des certitudes. C'est pourquoi ce type de propos est désarmant.

C'est une façon de dire qu'on ne sait pas vraiment, alors qu'on sait non ?

Oui. On peut l'expliquer très clairement en se servant de la distinction que fait le philosophe des sciences Etienne Klein. Il différencie science et recherche. La science est un corpus de connaissances. C'est ce qu'on sait. La recherche, c'est tout ce qu'on ne sait pas. Or le pouvoir réchauffant du CO2, c'est de la science.

Le fait que le climat se soit réchauffé, c'est de la science. Ce n'est plus de la recherche. Cela a été démontré il y a 30-40 ans. Et on sait aujourd'hui avec certitude que l'homme est responsable du réchauffement climatique depuis le début de l'ère industrielle.

Le confinement n'a-t-il pas été pour vous l'espoir d'une prise de conscience ?

On subit un désastre avec cette pandémie. On va voir un peu plus tard toutes ses conséquences. Et il n'y a pas que l'économie, il y a les inégalités exacerbées et l'équilibre psychologique de nombreuses personnes qui est perturbé. Face à un tel marqueur de l'histoire, ne pas saisir l'opportunité d'aller vers un monde plus soutenable, c'est une erreur historique.

Or, on taxe les conclusions du GIEC de "posture", on nous oppose la préservation de l'économie et de la justice sociale. Tout cela n'est pas juste et c'est inacceptable. La justice sociale est au coeur des préoccupations du GIEC. Les plus démunis, c'est un des enjeux. Le réchauffement climatique est un amplificateur d'inégalités. On le voit avec les pays du Sud et les pays tropicaux qui sont les plus fortement touchés. 

On a beaucoup commenté en 2020 le chiffre de 7% d'émission de gaz à effet de serre en moins dû au confinement. Et 7%, c'est exactement l'ambition qu'il faudrait avoir si on veut s'aligner sur les accords de Paris. Certains disent : "voilà les conséquences sur l'économie si on veut diminuer les émissions de gaz à effet de serre". Mais le GIEC n'a jamais dit qu'il fallait le faire de cette manière. Pas du tout, surtout pas. 

Le COVID montre qu'on peut changer notre relation au monde, nos relations humaines, nos modes de vie, le commerce, les échanges... on ne peut plus faire comme avant. Il y avait une ouverture. Il y a beaucoup d'inconnu dans la transition mais une fenêtre était ouverte. La pandémie est une opportunité gâchée. Et on peut craindre même l'effet rebond. On le voit en Chine avec une recrudescence de l'émission des gaz à effet de serre depuis le début de l'année. Pourtant il est encore temps. Stabiliser le réchauffement à +2°C, c'est encore possible. Mais c'est maintenant.

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