Ces dernières semaines, plusieurs personnes appartenant à des groupuscules de l'ultradroite ont été interpellés, notamment en Occitanie. Qui sont-ils ? Quels sont leurs objectifs ? Qui sont les survivalistes et accélérationnistes ? Jusqu'où sont-ils prêts à aller ? Eléments de réponse avec l'historien du Centre d’études politiques de l’Europe latine (CEPEL) à l’université de Montpellier et spécialiste de l'extrême droite, Nicolas Lebourg.
Mardi 16 novembre, Dominique D., un jardinier municipal de Montauban (Tarn-et-Garonne) est interpellé. Administrant l'une des chaînes les plus violentes de l'ultradroite du réseau Telegram, il venait d'acheter des armes. Une semaine plus tard, treize personnes, âgées de 21 à 52 ans, appartenant à "Recolonisations France" sont arrêtées. Ce groupe « structuré et organisé au niveau national », selon la justice, appelait à prendre les armes. Parmi eux, un habitant de la commune de Pibrac (Haute-Garonne). L'Occitanie, comme toute la France, fait face depuis plusieurs mois à des groupuscules d'ultradroite. Entretien avec Nicolas Lebourg historien du Centre d’études politiques de l’Europe latine (CEPEL) à l’université de Montpellier et spécialiste de l'extrême droite sur un mouvement prêt à passer à l'acte.
France 3 Occitanie : Comment expliquer la multiplication de ces mouvements d’ultra droite en France ?
Nicolas Lebourg : il y a une dynamique mondiale. Il y a un rapport rendu au printemps de l’année dernière rédigé par la commission antiterrorisme de l’ONU montrant que la violence d’extrême-droite à l’échelle mondiale, c’est plus de 320 % en 5 ans. Donc ce phénomène-là a été peu vu, peu compris en France pendant des années lorsqu’il y a eu des arrestations comme le groupe AFO ou OAS. On voyait une certaine moquerie sur les réseaux sociaux, chez les politiques. Il y a même le Canard enchaîné qui a fait des articles délirants. Alors que nous sommes juste sur le rattrapage d’un retard, si j’ose dire.
De plus, cette dynamique en Europe s’explique en partie depuis 2015 selon l’idée que la crise des réfugiés et les attentats en France sont un seul et même phénomène. C’est le jihad attendu, la guerre raciale attendue qui ont été déclenchés selon ces membres d’extrême-droite.
Nous avons des services de renseignement qui permettent d’interpeller ces personnes en amont qui expliquent que pour l’instant aucun groupe n’a réussi une action.
France 3 Occitanie : qui composent ces groupes ?
Nicolas Lebourg : il n’y a absolument pas de profils types. C’est ça qui est particulièrement intéressant. Si on parle, dans les années 80, d’extrême-droite violente, on pense aux skinheads et aux jeunes prolétaires, non diplômés de zones désindustrialisées. C’est la caricature que nous avons en tête. Là, au contraire, nous sommes dans une ouverture sociologique assez forte avec des personnes qui ne sont pas que des jeunes. Nous allons trouver des seniors, avec des gens qui ont des diplômes, parfois avec de très bons revenus. On voit bien l’importance des policiers et des militaires là-dedans ce qui montre également une normalisation.
France 3 Occitanie : quelles sont leurs motivations et leurs idéologies ?
Nicolas Lebourg : la motivation, c’est la race et l’islam. On est complètement sorti du système des concurrences groupusculaires de l’extrême-droite française, où nous avions chacun un groupe avec sa petite doctrine, un peu différente. Nous sommes face désormais à des gens tournés vers l’action, tournés vers l’idée que la guerre raciale a commencé et qu’il faut s’organiser pour résister, survivre et reconquérir. C’est ça l’idée : s’organiser, survivre, reconquérir.
France 3 Occitanie : plusieurs d’entre eux se disent survivalistes, accélérationnistes. Quelles sont ces théories ?
Nicolas Lebourg : le survivaliste est rarement accélérationniste. Le survivalisme, c’est se préparer à l’écroulement. Il y a un survivalisme « cool ». Il y avait un salon en 2018 à Paris. Il y avait 20.000 personnes qui n’étaient pas toutes adeptes de la guerre raciale. Mais le survivalisme dans ces milieux d’ultra-droite, c’est le chaos racial va emporter les sociétés multiethniques. Il faut s’organiser dans des « poches blanches » pour être capable de survivre au choc et connaître les méthodes de survie au combat.
Les accélérationnistes veulent de leur côté hâter la guerre raciale. Il faut déclencher des actions violentes contre les Arabes, contre les Noirs de telle manière qu'ils répondent et que toute la société soit emportée dans la guerre raciale. Comme cette dernière est inévitable, si on l’accélère au moment où l’on est, on a de plus de chance, les blancs, d’y survivre.
France 3 Occitanie : quel rôle joue la théorie du « Grand remplacement » développée par l’écrivain Renaud Camus, installé dans le Gers ?
Nicolas Lebourg : la théorie du « Grand remplacement », sous d’autres noms, existe depuis des décennies et des décennies. C’est la base doctrinale d’énormément de ces groupes. On le voit bien, cela déborde même à un candidat à la présidentielle aujourd’hui (Eric Zemmour pour ne pas le nommer). Le Grand remplacement théorisé après la Seconde Guerre mondiale, ce sont les Juifs qui l’organisent afin de finir de détruire la race blanche et d’essayer de détruire l’Europe en manipulant les Etats-Unis et l’Union soviétique. C’est la thèse « classique ». Elle se diffuse après le 11 septembre sans le versant antisémite, mais en gardant la partie islamophobe. Mais c’est la question centrale de tous ces mouvements d’ultra droite : c’est la question raciale.
France 3 Occitanie : comment expliquer que ces groupes soient plus visibles aujourd’hui ?
Nicolas Lebourg : je ne pense pas qu’ils soient visibles. Ils se structurent quasiment uniquement via des boucles Telegram ou des boucles Signal. On est plutôt à voix basse dans ces milieux-là. Par exemple, le groupe « Recolonisation Français », il n’y a que quatre vidéos sur leur compte Youtube. Elles sont le plus soft possible. On y retrouve d’ailleurs des masques accélérationnistes. On voit qu’il y a une culture partagée, mais avec des moyens underground.
France 3 Occitanie : il y a pourtant des figures de l’extrême-droite comme Thais d’Escufon de Génération Identitaire ou l’influenceur Papacito, d’ailleurs originaires de Toulouse qui sont très présents médiatiquement.
Nicolas Lebourg : c’est vrai. Au niveau statistique, on a publié dans un livre au printemps, nous avons pris 10.000 faits de violence entre 1986 et 2016 en France. L’extrême-droite en avait 1500. Par exemple sur les violences islamophobes, y compris les violences symboliques comme la dégradation de mosquées, elles sont concentrées dans un triangle qui part de Toulouse, qui va à Lyon et ensuite à Marseille. Donc que nous ayons des figures qui viennent de la région toulousaine, même si Toulouse a toujours cette connotation dans l’imaginaire politique français « Toulouse la progressiste » remplie de Républicains espagnols, ce n’est pas étonnant. C’est une zone importante de ces actes islamophobes.
France 3 Occitanie : comment voyez-vous la situation de ces groupes d’ultra-droite dans les prochaines semaines et les prochains mois ?
Nicolas Lebourg : pour l’instant, nous avons des arrestations à un rythme extrêmement soutenu. Ce qui montre bien que le risque est réel et que l’ébullition est certaine. Nous bénéficions d'une surveillance efficace de la part des services de renseignement. La preuve, plusieurs personnes ont été interpellées en amont. Même si la justice française est efficace actuellement, il peut toujours y avoir un trou dans la raquette. Il ne faut pas être naïf comme nous avons pu l’être durant les années 90 vis-à-vis des islamistes. Il ne s’agit pas d’inquiéter la population, mais nous avons un problème de sécurité publique qui existe.