Depuis sa nomination au poste de premier ministre, Jean Castex est raillé sur les réseaux sociaux pour son accent du Sud-Ouest. Une discrimination largement ignorée : la glottophobie comme nous l'explique le sociologue Philippe Blanchet.
"Accent chantant", "du soleil dans la voix", "fort accent piting kong". Sur les réseaux sociaux, les internautes rivalisent d'imagination pour décrire l'accent gersois du nouveau premier ministre, Jean Castex, avec toujours une pointe d'ironie ou de mépris.
Ah merde... Il a le même accent que Maïté Jean #Castex pic.twitter.com/0XqAUWlf8O
— Pangolin94 ? (@SkyZongoFRA) July 3, 2020
Discours de Jean Castex: C'est chelou un ministre avec un accent du sud (ouest), en même temps ça va bien avec l'été mais attention à la canicule...
— Délicat (@jesuisdelicat) July 3, 2020
La palme revient au rédacteur-en-chef politique et économie de Paris Match, Bruno Jeudy :
Le nouveau Premier Ministre Jean #Castex n'est pas là pour "chercher la lumière". Son accent rocailleux genre 3e mi-temps de rugby affirme bien le style terroir
Le nouveau Premier Ministre Jean #Castex n'est pas là pour "chercher la lumière". Son accent rocailleux genre 3e mi-temps de rugby affirme bien le style terroir #TF1 @ParisMatch https://t.co/71NspmVUsB
— Bruno Jeudy (@JeudyBruno) July 3, 2020
Discrimination institutionnalisée
Souligner de la sorte l'accent d'un interlocuteur est considéré comme une discrimination. Cela s'appelle la glottophobie. L'inventeur de ce concept, le sociolinguiste, Philippe Blanchet "n'est pas étonné" par ces réactions.C'est de la glottophobie institutionnalisée, estime-t-il. Dès lors que l'on remarque l'accent d'une personne, c'est rarement pour le valoriser. C'est toujours quelque chose de bizarre, même dit gentiment, il y un sous-entendu d'incompétence. "Il a un accent chantant, c'est très agréable". Les gens qui disent ceci en pensant à leurs vacances et au soleil, comme si dans le sud on ne travaille pas. Il parle point.
Des commentaires condamnés par le journaliste Jean-Michel Aphatie, lui-même victime de propos désobligeant sur son accent du sud :
Je lis dans tous les journaux ce matin que @JeanCASTEX à un accent. Mais bande de nazes, vous avez tous UN ACCENT!!!! (Sauf moi) Etonnant, non?
— jean-michel aphatie (@jmaphatie) July 4, 2020
Les gros lourds sont de sortie. On va en bouffer de l’accent. L’autre jour, sur un plateau de télévision, un juriste distingué a commencé à m’imiter pour se moquer de mes arguments. La connerie, ce n’est pas comme le pétrole, il y en a encore beaucoup dans le sous-sol https://t.co/KirWf6aRkz
— jean-michel aphatie (@jmaphatie) July 3, 2020
Etre issus de la classe supérieure parisienne
Derrière cette perception se cache "une sélection implicite".Diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris, titulaire d'une maîtrise de droit public, diplômé de l'École nationale d'administration (ENA, promotion Victor-Hugo), nommé à la Cour des comptes, directeur des affaires sanitaires et sociales dans le Var, secrétaire général de la préfecture de Vaucluse, président de la Chambre régionale des comptes d'Alsace, secrétaire général adjoint de l'Élysée. Le parcours de Jean Castex parle pourtant pour lui.Nous sommes dans un cas classique de discrimination linguistique. Pour beaucoup, ces métiers et ces postes sont réservés à une partie de la société et être issus de la classe supérieure parisienne. Plusieurs ministres ont déjà ressenti cela. On leur a fait sentir qu'avec leur accent, ils ne pourraient réaliser qu'une carrière essentiellement locale. Il y a barrage.
Cette mauvaise expérience la présidente de la région Occitanie, Carole Delga, l'a connu lorsqu'elle était en 2014 secrétaire d'État du gouvernement Valls :
Une loi en préparation
Pour lutter contre ces discriminations, le député de l'Hérault, Christophe Euzet (LREM) a déposé un projet de loi : "Dès que l'on prend la sphère de l'expression publique comme les médias, la télévision, le cinéma, le théatre, la haute fonction publique et la politique, on se rend compte que le français est déclamé avec un seule intonation de voix. C'est l'intonation de voix parisienne." Philippe Blanchet voit malgré tout à travers cette nomination du maire de Prades (Pyrénées Orientales) "un beau signal." "J'entends de plus en plus de voix off dans les reportages de télé et de radio avec un léger accent méridional. Il y a 10 ans cela n'existait pas." Le chercheur espère qu'au-delà des moqueries, la présence de Jean Catex comme premier ministre fera encore plus "évoluer la société française."Voir le reportage de Raphaëlle Talbot :