40% des emplois de la région concernent l’aéronautique, un secteur sérieusement impacté par la crise du Covid. De quoi générer des inquiétudes pour l’emploi en Occitanie. Pierjean Frison, journaliste à France 3 Occitanie, s’est entretenu avec Guillaume Faury, le PDG d'Airbus.
Le doublement du nombre de passagers prévu entre 2020 et 2040 est-il encore d’actualité ?
Dans la crise dans laquelle on est, il faut rester prudent par rapport à l’avenir. Nous sommes dans une activité industrielle qui a perdu 40% par rapport à 2019. On s’est adapté à la nouvelle situation. 2021 sera comme la deuxième moitié de 2020. Les choses positives sont encore loin devant...
Sur les avions mono-couloirs, on pense que 2022 devrait être l’année du rebond. Sur les avions longs-courriers, très importants pour la région toulousaine (les deux chaines d’assemblage de l’A330 et A350 dans le monde sont ici à Toulouse), la reprise sera plus lointaine.
Il faut résister et faire preuve de résilience dans une période endommageante pour l’industrie aéronautique mais on essaie de tout faire pour préserver la capacité à rebondir. C’est la priorité qu’on se donne.
Cette industrie a doublé son niveau activité tous les 15 ans depuis environ 50 ans et c’était la tendance sur laquelle on était juste avant la pandémie, en 2019. Cette crise est la plus grave vécue par l’aéronautique et on a un trou de plus de 50% sur le trafic en 2020 par rapport à 2019. Cela va prendre plusieurs années et on ne sait pas quelle va être la pente de croissance en sortie de crise. A court terme, c’est plus pessimiste mais sur le long terme, on devrait retrouver des niveaux de croissance d’avant crise.
Craignez-vous un changement d’optique de mode de transport ou l’avion a t-il encore sa place ?
Il y a des utilisations de l’avion qui ne peuvent pas être remplacées par autre chose, surtout les vols longues distances. Après, il y a la connection entre les différents modes de transport, je ne suis pas anti-train mais chaque mode de transport doit être utilisé pour ce qu’il sait faire efficacement.
Nous allons probablement retrouver le type de comportement d’avant la pandémie. Pour les voyages d’affaires, il y aura davantage de visio-conférences évidemment mais il y a aussi beaucoup d’activités qui nécessitent un déplacement physique sinon les affaires n’avancent plus.
Ensuite, il y a le sujet de l’environnement. Chez Airbus, on est convaincu qu’il faut décarboner l’aviation. On veut être les premiers à donner cette possibilité de voyager sans mauvaise conscience !
Qu’en est-il de la santé de Airbus ?
Nous avons eu une année 2020 très dure avec beaucoup de perte financière. L’entreprise a traversé la crise et préservé sa capacité à investir. Notre chaine de fournisseurs s’est adaptée. Il n’y pas de raison d'être trop optimiste ou pessimiste. En anticipant, en restant humble sur les difficultés, on devrait pouvoir investir à nouveau et embaucher. On sera encore là en sortie de crise.
Le carnet de commandes est plein (+ de 7000 commandes, l’équivalent de 8 années de travail) mais craignez-vous l'éventualité que des acheteurs puissent ne pas être en capacité de prendre livraison de leurs appareils ?
C’est toute la problématique de la période actuelle, nous avons un gros carnet de commandes mais les livraisons à court terme sont reportées. Combien vont rester ? De notre point de vue, beaucoup vont rester. Il y a des compagnies en difficulté donc il y aura nécessairement une érosion d’une partie du carnet de commandes à laquelle il faut se préparer mais d'autres commandes seront à nouveau passées.
Ce carnet de commandes solide a été un amortisseur de crise pour Airbus car il a permis de gérer le court terme, moyen terme et long terme.
En 2020, 70 appareils n’ont pas pu être livrés, est-ce grave pour Airbus ?
On s’est adapté très vite en terme de production donc nous n'avons pas produit d’avions pour des clients qui n’étaient pas capables de les prendre, nous n’avons pas produit ce qu’on appelle des « queues blanches ». À la fin du troisième trimestre, 135 avions ont été commandés mais leurs clients n’avaient pas encore pris livraison. On est passé juste sous les 100 à fin 2020. C’est une situation critique certes mais très gérable.
Et les nouvelles commandes, y a t-il un « trou d’air » ?
Le covid est un trou d’air pour beaucoup d’industries, Airbus y compris ! On pense que 2021 restera une année avec très peu de commandes, essentiellement de la gestion du carnet de commandes. On espère un retour à la normale sur le front commercial plutôt en 2022.
Airbus traverse t-il mieux la crise que son concurrent Boeing ?
Airbus est rentré dans la crise du covid en bonne santé, notre concurrent était, quant à lui, déjà dans la crise de l’arrêt des vols des 737 max donc cela a été beaucoup plus difficile à gérer pour eux.
Il est trop tôt pour se comparer et juger. Boeing a été autorisé à refaire voler le 737 max et au mois de janvier ils ont livré plus d’avions que nous. Donc nous restons très modestes.
Quid des suppressions d’emplois chez Airbus dans le monde ?
Sur les 15 000 postes menacés, avec les gouvernements, environ un tiers sera protégé, pas en terme de postes car ces postes ont disparu, mais en terme d’employés qui seront gardés grâce à des aides de l’Etat, sur des périodes courtes, soit avec du chômage partiel soit avec des solutions de financement de la recherche. L’effectif a été réduit en 2020 et cela continuera en 2021. Nous sommes au travail pour trouver des solutions qui soient acceptables. L’environnement est imprévisible mais nous n’avons pas à rougir des solutions trouvées.
« Pas de licenciements secs », objectif tenu ?
Il est encore trop tôt pour s’exprimer mais on s’en approche. Il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué...
Privilégier Airbus ou sauver l’ensemble des sous-traitants ?
Il y a une forme de solidarité naturelle, nous travaillons dans le même secteur d’activité. Nous avons 3 200 fournisseurs qui contribuent à fournir les pièces d’avions. Si une pièce d’avion manque durablement, les avions ne sont pas livrables.
Je ne livre pas un avion "presque fini", toutes les pièces sont importantes… on est tous solidaires dans cette crise. Les grands et les petits se sont serrés les coudes.
L’avenir passe t-il nécessairement par la décarbonisation de l’aviation ? Où en est Airbus à ce niveau ?
L’aviation est à 2,5% d’émissions de CO2 dans le monde aujourd’hui. Si on ne s’en était pas occupé, on serait à 8 ou 10% ! Un travail incroyable a été fait sur les technologies.
Nous voulons trouver des solutions aux émissions de carbone car on veut projeter l’aviation dans le long terme. Airbus a attiré aussi de l’argent public pour contribuer à ces projets. On croit beaucoup à l’hydrogène, carburant qui stocke de l’énergie verte, décarbonnée. Il est plus compliqué à utiliser que du carburant fossile mais on utilise déjà de l’hydrogène liquide dans nos fusées, dans nos satellites donc nous avons beaucoup d’expérience. Cela va prendre du temps mais c’est une piste sérieuse.
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