Robert Badinter, l’ancien ministre de la Justice de François Mitterrand et avocat, s’est éteint le 9 février dernier à l’âge de 95 ans. L’homme aux nombreux combats a porté la loi du 9 octobre 1981 qui abolit la peine de mort en France. À Toulouse, le pénaliste Georges Catala a plaidé à ses côtés. En ce jour d'hommage national, il nous partage ses souvenirs.
À la cour d’assises de Toulouse, le 11 mars 1980, le pénaliste Georges Catala n’a que 22 ans lorsqu’il plaide aux côtés de Robert Badinter. Avec lui, il assurera la défense de Norbert Garceau, un criminel récidiviste, accusé d’avoir tué une femme. Il échappera à la peine capitale alors que l’avocat général avait demandé la peine de mort.
Le procès en appel avait à l’époque fait grand bruit. Par peur de représailles, les deux avocats avaient dû sortir du tribunal en empruntant une porte dérobée. Georges Catala nous livrer les souvenirs de cette rencontre qui a marqué sa vie.
Une défense contre la peine capitale dans une ambiance belliqueuse
On était au mois de mars 1980, dehors, il y avait l’orage et dedans, il y avait une ambiance de mort. Puisque celui que nous défendions était un personnage qui s’était illustré à deux reprises dans des crimes affreux, c’est dire combien on subissait les vents mauvais !
On n’avait pas du tout l’intention, ni de justifier de ce qu’il avait fait, ni de porter atteinte aux victimes et à leur mémoire, raconte Me Catala.
Le principe, c'était la peine de mort et son abolition. Nous, on a fait ce que l’on a pu. Moi, j'étais un jeune homme âgé à peine de 22 ans à l’époque.
Et puis Badinter s’est levé. Au début, pour attirer l’attention des autres, il était hésitant, il cherchait ses mots. Puis, quand la passion est arrivée, cela a été un moment extraordinaire. Un moment où il emploie déjà les grands thèmes tels qu’ils ont été définis lorsqu'il a justifié l’abolition de la peine de mort à l’Assemblée nationale et au Sénat.
Une plaidoirie historique contre la peine de mort
Je garde en tête une ossature de raisonnement extrêmement simple, des mots très simples, des rappels historiques à la portée de tout le monde. Un rayonnement d’humanité de toujours et une très grande compassion par rapport aux victimes.
Bref, avec tout son talent, il est allé à la pêche, c’est-à-dire qu'il fallait faire venir les jurés les uns après les autres et dieu sait, si au départ, ils étaient extrêmement fermés et hostiles.
Une partie de pêche fructueuse, une rhétorique hors norme
Petit à petit, on voyait les gens se dérider. Il allait vers un raisonnement qui consistait à dire s'il est condamné à mort, c'est vous qui allez le tuer. C’est vous qui allez le couper en deux, prenez vos responsabilités.
C’est très difficile de se dégager du contexte, il plaçait la justice au-dessus de tout, ni dieu, ni la société, ni les hommes ne peuvent s’octroyer le droit de couper quelqu’un en deux, quel que soit le personnage !
"L’immense humanité du bonhomme", 1h30 de plaidoyer
J’ai retenu de lui la simplicité dans un premier temps. C’était une époque où les avocats s’exprimaient en terme abscons pour en mettre plein la vue, en termes un peu compliqués, des citations, des choses comme ça. Lui, c’était tout au compte-gouttes et c’était amené d’une façon remarquable.
Ses propos ont été longs puisque cela a duré une heure et demie, ils étaient perceptibles et perçus par tout le monde, on n’avait pas envie de zapper. J’ai essayé de retenir cette simplicité qui prend, qui ne fatigue pas l’auditoire, si elle est bien exprimée, captive.
La deuxième chose que je retiens, c’est l’immense humanité du bonhomme et de son épouse.
Le couple Badinter : le duo des combats
Je me souviens, il était avec Isabelle Badinter et je pense qu’il n’aurait pas pu faire ce qu’il a fait si cette femme n’était pas là. C’était un couple fusionnel. Elle était à sa place, elle l’encourageait d’une intelligence commune, rayonnante.
Ils étaient dans le même combat, c’était un couple extraordinaire. J’en suis intimement persuadé, il y avait un combat et elle était la première à l’aider à le désangoisser, toujours avec des mots justes, avec son visage magnifique, avec ses yeux bleus. Je me souviens d’elle comme si c’était hier, peut-être plus que de lui.
Pour l’opinion, le ministre des criminels, "on est partis comme des voleurs"
Une fois que l’on a obtenu ce jugement, la tradition veut que dans de grands procès que l’on aille saluer le président et l’avocat général. On l’a fait, mais pendant ce temps, les gens s’en allaient, la salle se vidait et surtout, on n'avait aucun service d’ordre pour nous.
Sans doute que c’était une volonté de l’organisation de nous laisser à poil devant une haie de gens extrêmement belliqueux. Je me souviens, on est allé chercher ma bagnole qui était dans un parking et j’avais pris Badinter, son épouse et ses collaborateurs à la sortie du tunnel, dans un escalier dérobé, on est partis comme des voleurs.
À l’extérieur, il y avait notamment une équipe de Béziers qui était très vindicative pour des raisons qu’on peut comprendre. C'était un crime affreux et donc tout le monde nous attendait, non pas pour nous remercier, mais pour nous vilipender, voire plus. On pouvait avoir peur !
L'homme de tous les combats, " la justice au-dessus de tout"
En 1972, lorsqu’un de ses clients, Roger Bontems, accusé d’une prise d’otages meurtrière, est guillotiné, Robert Badinter se fait une promesse :
« Je me suis juré, en quittant la cour de la Santé ce matin-là à l’aube, que toute ma vie, je combattrais la peine de mort », avait-il déclaré à l’Agence France-Presse en 2021.
Son combat contre la peine de mort va se poursuivre, avec le procès de Patrick Henry en 1977. Il sera condamné à la réclusion criminelle à perpétuité et échappera l’échafaud. Grâce à Robert Badinter, cinq autres hommes, dont le Tarnais Norbert Garceau, échapperont à la guillotine. Il sera longtemps, le garde des Sceaux le plus détesté de l’histoire du ministère de la Justice en France.
Après son départ du gouvernement de François Mitterrand, Robert Badinter présidera le Conseil constitutionnel de 1986 à 1995.
Lorsqu’il devient sénateur socialiste de 1995 à 2011, il aura le grand bonheur de voir l’abolition de la peine de mort inscrite dans la Constitution en 2007.
L’hommage national à l’ancien ministre et avocat, Robert Badinter aura lieu ce mercredi 14 février à midi, place Vendôme, à Paris, au ministère de la Justice, a annoncé l’Élysée.