Quel rapport entre un commandant de la Police judiciaire, un migrant qui a perdu femme et enfant en traversant la Méditerranée et de grands bourgeois versaillais ? Pour le savoir, il faudra lire le dernier ouvrage de Benoît Séverac. Ce professeur d’anglais à l’école vétérinaire de Toulouse étonne encore avec un polar à la fois noir et social.
Le suicide d’une jeune femme pleine d’avenir et un corps non identifié retrouvé nu et entouré de film plastique dans un caveau… Voilà les deux affaires prioritaires auxquelles doit s’atteler Jean-Pierre Cérisol et son équipe. Le premier dossier semble moins intéresser son irascible patron mais pour ce vieux flic quelque chose cloche dans la mort d’Émilie Vaudrey. Il ne croit pas au simple suicide.
Personne, pas même sa nouvelle partenaire, ne l’appuie dans son hypothèse. L’inspectrice Krzyzaniak, dont Cérisol n’arrive pas à prononcer le nom et qu’il appelle donc « K », fait bouger les lignes. Le duo va bien fonctionner parce que le chef de groupe expérimenté sait que la police dans laquelle il a débuté a changé.
Il n’était ni misogyne, ni homophobe, ni raciste… Aujourd’hui, il se rendait compte que cela ne suffisait pas. Ça allait s’immiscer bien plus loin, ça allait forer bien plus bas et faire trembler des fondations bien plus profondes qu’il ne l’avait imaginé.
Les injonctions contradictoires, du parquet, de la direction, des familles de victimes ou de témoins. La paperasse, la vie privée qui si elle dérape alourdit encore un peu plus la barque… Ce polar colle assez bien au quotidien d’une équipe de policiers enquêteurs. Avec également en fil rouge le travail d’une magistrate à l’accent du sud-ouest qui les chapeaute.
Roman noir…et social
Le roman noir est aussi un récit politique. Il l’est ici, à travers l’histoire d’Amos, migrant africain destiné à être esclave ou opprimé toute son existence. Il parvient à atteindre l’Europe mais ne sera pas sauvé pour autant. Parfois (souvent ?) le sort s’acharne.
Deux ans qu’ils sont partis tous les trois. Deux ans qu’Amos, seul désormais, puise dans ses ressources qui se tarissent. Il voudrait pleurer les siens mais il n’en a pas le loisir tant il est occupé à ne pas mourir lui-même
Social, ce polar l’est aussi à travers les états d’âme qui animent le groupe de Cérisol. Droit et morale s’affrontent volontiers dans les cerveaux bouillonnants des enquêteurs. Par exemple que signifie clairement le chef d’inculpation « incitation au suicide » ? Et comment le prouver ?
Que signifie également : être sous l’emprise d’un homme ? Sans qu’il n’y ait forcément crime ou délit…
Il ne l’avait jamais battue ni même bousculée ou agressée verbalement. Il ne criait pas, ne s’énervait pas, et pas une seule fois n’avait eu de geste déplacé… Pas d’acte sexuel non consenti, malsain ou déviant. Julien ne cochait aucune de ces cases ? Pourtant il avait réussi à la fragiliser, si bien qu’aujourd’hui elle se fissurait.
Ce polar pose enfin les questions qui reviennent souvent dans la littérature du genre : les vrais coupables peuvent-ils passer entre les mailles du filet et sont-ils toujours ceux que le droit peut condamner ?
« Le bruit de nos pas perdus » de Benoît Séverac, La Manufacture des Livres.