"Il y a des brebis galeuses comme chez les avocats, les policiers" : des magistrats mis en cause confrontent la justice à ses propres démons

Trois magistrats qui exercent ou ont exercé dans la région de Toulouse (Haute-Garonne) sont sous le coup de procédures judiciaires ou disciplinaires pour violences conjugales, détournement de fonds publics ou encore sextos embarrassants. Qu'est-ce que cela dit de la justice ? Une représentante de l'Union syndicale des magistrats et un bâtonnier ont accepté de répondre à nos questions.

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Des procédures sont en cours concernant trois magistrats qui exercent ou ont exercé dans la région de Toulouse (Haute-Garonne). Ils sont sous le coup de plaintes pour violences conjugales, détournement de fonds publics ou de procédures disciplinaires pour des sextos embarrassants sur Whatsapp. Christine Khaznadar, déléguée régionale de l’Union syndicale des magistrats et Alexandre Delord, bâtonnier de l'ordre des avocats du Tarn-et-Garonne tiennent à rappeler que dans chacune des procédures, les mis en cause n'ont pas encore été jugés et qu'ils sont présumés innocents. 

Bref rappel des faits : le procureur de Cahors, Alexandre Rossi, sera jugé pour violences conjugales en juin à Montauban après une plainte de son épouse. Il a été placé en garde à vue dans la même ville, où l’affaire a été dépaysée, puis placé sous contrôle judiciaire. 

En poste depuis janvier 2022, il a une obligation de soins et une interdiction de se rendre au domicile de sa femme, avec laquelle il est en instance de séparation.

Brebis galeuses

Alors qu’Alexandre Rossi est toujours en poste, le ministère de la Justice a indiqué de son côté que, sur le plan disciplinaire, "une analyse est en cours et une décision sera prise rapidement". Le procureur général d’Agen, dont dépend le parquet de Cahors, a précisé à nos confrères de France Info qu’Alexandre Rossi est en poste, mais qu’il n’est pas au travail car il est en congés depuis lundi dernier.

"Je ne veux pas stigmatiser la magistrature par ces exemples qui sont révélés, dont le nombre reste assez marginal en France", réagit Alexandre Delord. Un point de vue que partage Christine Khaznadar. Pour elle, le fait que ces affaires émergent dans le Sud-ouest est le fruit du hasard.

La déléguée régionale de l’Union syndicale des magistrats estime que cet état de fait est positif. "On voit que la justice réellement réagit, qu'il y a des enquêtes. On voit que si des choses s'étaient passées, c'est géré" affirme-t-elle de concert avec Alexandre Delord pour qui "on peut se féliciter que les pairs de ces gens concernés n'hésitent pas à prendre des décisions comme pour tout autre justiciable".

Liens avec le grand banditisme corse ?

Autre cas révélé par la presse : celui d'Hélène Gerhards, ex-magistrate à la cour d'appel d'Agen (Lot-et-Garonne). Elle a été mise en examen puis écrouée, samedi 6 avril, dans une enquête ouverte sur ses liens suspects avec un membre du banditisme corse. L'enquête a abouti à l'interpellation de la magistrate, poursuivie pour onze chefs d'inculpation, dont un détournement de fonds publics.

Avant d'exercer à la cour d'appel d'Agen, Hélène Gerhards a occupé de multiples postes comme par exemple celui de vice-procureure à Toulouse (Haute-Garonne) jusqu'en 2021. Parmi eux, celui de juge d'instruction à Ajaccio (Corse-du-Sud), entre 2011 et 2016, période durant laquelle elle a pu tisser "une relation de proximité avec un individu très défavorablement connu des services de police", selon un communiqué du parquet de Nice. Il s'agit de Johann Carta, un proche du groupe criminel corse dit du "Petit Bar", selon les informations de nos confrères de France 3 Corse.

Le parquet de Nice révèle un montant total d'escroqueries qui "pourrait être évalué à plus de 120 000 euros". Il reproche à Hélène Gerhards d'avoir utilisé son statut de juge d'instruction "pour établir de fausses ordonnances de commission d'expert et de fausses ordonnances de taxe en désignant fictivement des proches afin d'obtenir indirectement et indûment le versement de sommes au titre des frais de justice pour la réalisation d'expertises fictives".

Travaux dans la villa

Par ailleurs, "l'identité et les comptes bancaires de jeunes filles au pair présentes [à son] domicile auraient pu être utilisés dans le cadre du détournement de fonds publics reposant sur ces faux".

Pour le parquet, "les fonds détournés auraient pu être utilisés pour procéder à différentes opérations de valorisation" de sa villa de 320 m² à Ajaccio. Des travaux qui n'auraient pas été entièrement facturés (15.000 euros de factures seulement ont été retrouvés) et auraient permis de la mettre en vente en 2022 à 2 millions d'euros alors qu'elle avait été achetée 600.000 euros en 2011.

Les deux juges d'instruction cosaisis ont retenu quantité de charges : faux en écriture publique par un dépositaire de l'autorité publique, usage de faux, détournement de fonds publics par une personne dépositaire de l'autorité publique, recours aux services d'une personne exerçant un travail dissimulé en bande organisée, trafic d'influence passif et actif, association de malfaiteurs en vue de préparer un crime ou un délit puni de dix ans d'emprisonnement et en vue de préparer des délits punis de cinq ans d'emprisonnement, blanchiment, construction sans permis, détournement de la finalité de fichiers de données personnelles et enfin complicité de violation du secret professionnel. 

La magistrate a nié la presque totalité des faits reprochés. Placée en détention provisoire, elle a obtenu de la cour d'appel d'Aix-en-Provence une mise en liberté sous condition le 17 avril 2024.

Pornographie et racisme

Une troisième affaire des plus embarrassantes a aussi été révélée récemment : à Montauban, deux magistrats avaient été mis en cause avec quatre policiers après la découverte d’un groupe WhatsApp servant à partager des contenus sexistes, pornographiques et racistes. Les comparses relataient les aventures de leurs collègues féminines et les commentaient.

L’affaire a été révélée par Le Parisien. Elle a été mise au jour grâce à une enquête sur un des membres jugé le harcèlement d'une ex-compagne.

Ce policier, Julien B., annonce en janvier 2022 : "Je fais le groupe afin de partager du fion à gogo". Au départ, les blagues et réflexions graveleuses sont le fait de deux policiers et deux magistrats. Ils sont rejoints par deux membres des forces de l’ordre. Julien B. et un des magistrats ont notamment échangé, au sujet d’une élève magistrate avec laquelle le policier a eu une relation. "Partie à trois ?", lui a proposé le magistrat.

Autre échange, quand une plaignante d’origine africaine vient dénoncer des violences policières, les quatre complices mentionnent une "sodomie". "Sur un cul de Black, faut en parler". "Si tu lui mets ta matraque dans le fion, elle va encore crier aux violences policières…"

Des affaires rendues publiques

Aux dernières nouvelles, une procédure est en cours et des mesures disciplinaires sont étudiées par la Chancellerie. Des poursuites pénales ne sont pas exclues.

Sans évoquer ce cas précis, le bâtonnier reconnaît qu'"il y a des brebis galeuses", "des gens qui mériteraient d'être écartés". Mais ce n'est pas une exception. "C'est pareil chez les avocats, c'est pareil chez les médecins, c'est pareil chez les policiers. Donc, il n'y a pas de raison qu'ils soient plus exceptionnels que les autres".

Pour Christine Khaznadar, ces enquêtes rendues publiques constituent un signe que la démocratie fonctionne peut-être mieux que par le passé, "les choses étaient réglées davantage en interne". Même si "il y a toujours eu des poursuites, ajoute-t-elle. La question est de trouver les juges, mais les dossiers sont dépaysés (délocalisés ndlr.). D'ailleurs, c'est pareil quand un avocat est jugé parce qu'il a commis des faits pénaux, les dossiers sont dépaysés. Pour que ce soit des juges qui n'aient pas de lien fonctionnel ou éventuellement d'amitié ou de connivence".

Alexandre Delord remarque que dans les cas où des magistrats sont mis en cause, la présomption d'innocence s'applique avec une extrême rigueur. "C'est peut-être la seule remarque qu'on pourrait faire : quand des magistrats sont mis en détention provisoire et qu'ils sortent au bout de quelques semaines, on ne peut pas s'empêcher de s'interroger (s'interroger seulement, pas autre chose) : si ça n'avait pas été un magistrat, est-ce qu'il ou elle aurait été libéré aussi rapidement ?".

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