Le Parquet général de Toulouse a demandé que soit poursuivi l'avocat Simon Cohen, pour outrage à magistrats. Une affaire qui met en évidence le climat tendu entre magistrats et avocats, après plusieurs mois de crise sanitaire et une grève qui a laissé des traces.
Simon Cohen pèse chacun de ses mots. Chaque partie de phrase est entrecoupée de longs silences donnant l'impression que le ténor du barreau suffoque. Une expression lente au bout du fil qui ne parvient pas à cacher une colère sourde, une rage peut-être aussi.
Des poursuites auraient été engagées par le Parquet général de Toulouse à l'encontre de l'avocat toulousain pour outrage à magistrats. Le dossier aurait été confié à un juge d'instruction à Paris. Il est reproché à Simon Cohen d'avoir pris à partie plusieurs d'entre eux au cours d'audiences à la cour d'assises de Toulouse.
Je ne peux même pas comprendre la réaction du Parquet général. Pour moi, rien ne la justifie, ni les propos eux-mêmes, ni les circonstances dans lesquelles ils ont été tenus. Il faut admettre que dans l'exercice du droit de la défense, sauf s’il se laisse aller à des propos personnels et injurieux, un avocat doit bénéficier pour ce qu’il dit d’une immunité pleine et entière.
Selon l'avocat lui même, les reproches portent sur deux situations différentes : "dans la première, j’étais dans le prétoire pour défendre un accusé. Dans la seconde, toujours dans le prétoire, toujours en robe, je sollicitais un renvoi en raison de la grève des avocats. Et j’étais là à titre individuel bien sûr, mais également soutenu par la profession elle-même. Dans les deux cas, c’était bien dans l’exercice du droit de la défense car je défendais quelqu’un".
Demande de poursuites disciplinaires sans suite
Suite à ces incidents, le barreau de Toulouse avait été sollicité explique le bâtonnier Pierre Dunac. "A l'époque, mon prédécesseur avait eu en effet une saisine en vue de poursuites disciplinaires auxquelles nous n’avions pas donné suite". L'avocat déplore : "auparavant ces tensions étaient régulées par des suspensions d’audiences, des interventions du bâtonnier mais tout ceci se perd désormais chez les magistrats".
Le bâtonnier toulousain estime "regrettable" cette décision du Parquet général, notamment dans le "climat ambiant". L’expulsion d’un avocat par des policiers lors d’une audience à Aix-en-Provence a, en effet, relancé les crispations entre avocats et magistrats.
"Maître Cohen aura le soutien de l’ensemble du barreau de Toulouse. En tout cas, il aura le mien", assure Pierre Dunac. Pour le pénaliste, dans cette "affaire Cohen", il faut aller chercher les responsabilités chez certains magistrats toulousains, ou au moins dans leur attitude.
Aux côtés de notre confrère et ami Simon Cohen.... https://t.co/Pa922ZhIII
— Martial Edouard (@MartialEdouard) March 16, 2021
Monsieur Cohen est un homme d’expérience. Il y a des comportements d’avocats qui sont largement induits par les comportements des magistrats. Je ne connais que trop les difficultés d’intervention parfois à la Cour d’assises face à certains présidents. Pas tous. Certains sont excellents. Quelques-uns estiment qu’en dehors d’eux, il n’existe pas d’autres avis.
La grève des avocats a laissé des traces
Le principal intéressé se refuse à "personnaliser" ce dossier en reprenant à son compte cette formule du journaliste du Monde, Robert Escarpit : "Lorsque l’on personnalise un débat institutionnel, on ne le relève pas, on ne fait qu’abaisser l’institution au niveau de l’être humain. "
Me Simon Cohen avance plusieurs raisons à cette affaire "révélatrice d'un certain climat" : un manque de moyens au sein des palais de justice qui rend particulièrement compliqué le travail des magistrats, mais aussi une grève des avocats qui a laissé quelques traces. "Certains magistrats ont très mal accepté la grève des avocats, analyse-t-il. Et je crois que cette tentative de poursuite est une réaction épidermique au fait que les avocats ont tenu bon et assumé la grève dans toute sa dimension". L'avocat s'inquiète du fait qu'à travers lui on s'attaque "à la liberté de parole de l’avocat dès lors qu’il s’exprime dans un prétoire".
Si on muselle la liberté de parole, il n’y a plus de défense. Et nous n’aurons plus qu’à jeter nos robes. Mais ce que l’on oublie, c’est que le jour où les justiciables auront le sentiment que les différends ne pourront pas trouver de solutions dans les prétoires, alors ils iront chercher une issue dans la rue.
Contacté, le Parquet général de Toulouse précise qu'il a bien demandé l'ouverture d'une information judiciaire et le dépaysement de ce dossier. Mais le Procureur général de la Cour d'appel de Toulouse, Franck Rastoul, tient à préciser que selon lui "il n'y a pas de conflit généralisé entre avocats et magistrats à Toulouse. Il peut en revanche y avoir individuellement des problèmes. Dans ce cas, il est dans mon rôle en tant que Procureur général de prendre mes responsabilités. La justice a besoin de sérénité et doit se dérouler dans un respect réciproque. Lorsque ces règles sont transgressées, il est normal qu'il y ait des suites. Cela concerne aussi bien les avocats, les magistrats ou les auxiliaires de justice."
Me Simon Cohen, lui, n'a pas été mis en examen et reste présumé innocent dans cette affaire.