Littérature. De Yaoundé à Toulouse, itinéraire d’un enfant pas gâté

Quel rapport entre un jeune entraîneur de foot sous la pluie toulousaine et un naufragé que l’on ranime sur une plage d’Italie ? Il s’agit du même homme. Sandrine Garriguet Jamme nous raconte son histoire et son parcours. Un récit édifiant à l’heure où la question des migrants, mineurs isolés, revient dans l’actualité.

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C’est à Emmaüs près de Toulouse où il est alors compagnon que Sandrine Garriguet Jamme fait la connaissance de Dérik Arnaud Wambo. L’auteure va écouter son histoire et lui propose de la raconter. Le récit du rêve d’un jeune camerounais de devenir footballeur fracassé par la cupidité humaine.

Arnaud n’est ni plus ni moins intelligent qu’un autre. Son seul crime : avoir grandi dans une famille nombreuse très peu aimante, sous l’égide d’un père violent, dans un pays sans promesse pour sa jeunesse. Il rêve de devenir footballeur et à Yaoundé comme ailleurs les arnaqueurs rôdent faisant miroiter des contrats juteux.

Mentir et partir

Arnaud s’y fait prendre et sa famille passe à la caisse. Seulement le jour où un vrai recruteur le choisit et où ses parents lui refusent le départ en Italie, il craque et prend une première fois la route. Il rejoint un de ses frères commerçant à Yaoundé. Une nouvelle et belle vie s’offre à lui mais l’appel des sirènes footballistiques va le conduire en Tunisie où il est encore victime d’un escroc.

Mais alors, pourquoi coincé, dans ce pays du Maghreb, n’appelle-t-il pas à l’aide et préfère-t-il mentir à sa famille ? Parce qu’accepter de voir ses rêves brisés n’est pas si simple ? Parce que l’orgueil l’emporte toujours ? Par revanche envers ceux qui ont abusé de lui ? Les raisons ne manquent pas.

Soit j’appelle la famille et leur demande de m’envoyer la somme de mon billet retour et une fois à la maison, je raconte la vérité ou je brode une histoire quelconque, puis je deviens le commerçant prospère que mon frère souhaite, soit je pars avec Luc. Je décide sans trop hésiter de partir avec mon nouvel ami pour gagner l’Europe.

Sandrine Garriguet Jamme, "Des airs d'espoir"

L’Europe n’était pas forcément vue par Arnaud comme un eldorado. Le jeune homme, alors mineur, cherche simplement un avenir. Si, comme promis, un club de foot lui avait signé un contrat à Tunis, il aurait très bien pu rester là-bas. Seulement, comme l’écrit Sandrine Garriguet Jamme, « parfois dans la vie de chacun, un mauvais choix est fait, qui peut être décisif et se révéler irrémédiable ».

La description du voyage d’Arnaud, balloté d’un passeur à l’autre, d’un camion à une marche forcée dans le désert en passant par des embarcations de fortune où Luc se noiera, se lit d’un trait. Sans pathos ou mélo, le chemin que tant d’autres prennent encore chaque jour, apparaît sous nos yeux. Comme quand les passeurs organisent le départ :

Le plus discrètement possible, ils doivent "inventorier" leur marchandise, la réunir et la comptabiliser afin d’envoyer un nombre d’humains, un tant soit peu précis, en direction du bateau et je comprends, à les écouter parler, que nous monterons dessus, à près de cinq cent âmes. 

Sandrine Guarriguet Jamme, "Des airs d'espoir"

Puis voilà l’Europe, pas vraiment celle rêvée évidemment. L’Italie où Arnaud ne veut pas se déclarer pour ne pas être obligé d’y rester et demander l’asile. Puis l’Allemagne, un crochet par la Suisse avant l’impitoyable capitale parisienne, sa banlieue surtout, une sœur qui le trahit. Et, malgré tout, la bonne étoile et des inconnus qui vont l’aider. Bénévolat associatif et travail au noir rythment alors ses journées.

La France où "tous nos rêves semblaient possible"

 

Un responsable du club où Arnaud entraîne bénévolement enfants et adultes va l’aiguiller vers un centre d’accueil. Là-bas, l’été arrivant et la capitale se vidant, on l’oriente vers la communauté Emmaüs qui a besoin de bras partout en France. Cap sur Agen puis Toulouse où le jeune camerounais, devenu majeur, s’est aujourd’hui construit une vie.

Ce qu’il a, il ne le doit qu’à lui-même et à ceux qui lui ont tendu la main. Il n’a plus honte de raconter ses choix, son histoire et son parcours. Il n’en fait pas un exemple mais arrive désormais à vivre sans se faire de reproche.

A vous à qui je déconseille de partir, et qui me répondez : "Mais tu l’as bien fait toi, et regarde où tu es maintenant !", je dois répondre : "Est-ce qu’un seul d’entre vous doit prendre le risque de vivre tout ce que j’ai vécu ?" Pour un, qui comme moi, arrivera à s’en sortir, combien tournent encore en rond ou sont morts ?

Sandrine Garriguet Jamme, "Des airs d'espoirs"

« Des airs d’espoir », Sandrine Garriguet Jamme, Editions Baudelaire

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