Dans un récent rapport, le Sénat dénonce l’emprise des cabinets de conseil sur l’appareil d’Etat. Ce document révèle que la Toulouse School of Economics a travaillé pour le cabinet McKinsey à la rédaction d'un "dossier de décision" pour une direction interministérielle. L'information place en fâcheuse posture TSE et pose question.
Le rapport du Sénat sur les cabinets de conseil et leur influence sur les politiques gouvernementales fait l'effet d'une bombe en pleine campagne présidentielle. Dans ce document, la commission d’enquête affirme qu’en 2021, les dépenses de l’Etat en cabinets de conseil ont explosé au cours du quinquennat d'Emmanuel Macron, dépassant le milliard d’euros.
Dans le débat public, le nom du cabinet McKinsey symbolise à lui seul de potentielles "dérives" pointées du doigt par l'opposition, du fait de sa proximité supposée avec le président de la République et pour ne pas avoir payé d'impôts en France depuis 10 ans.
TSE sous-traitant de McKinsey
Au détour des 385 pages du rapport sénatorial, apparaissent deux noms bien connus à Toulouse : la Toulouse School of Economics et celui de son fondateur, le prix Nobel Jean Tirole.
Dans un chapitre consacré à la sous-traitance, les sénateurs révèlent que les cabinets de conseil font appel lors de leurs missions pour l'Etat à des entreprises spécialisées "pour répondre à des besoins nécessitant une expertise plus pointue".
Un tableau dresse ainsi la liste des spécialistes ayant travaillé à la "stratégie et politique publiques" pour le compte de la direction interministérielle de la transformation publique (DITP). La Toulouse School of Economics apparaît comme un sous-traitant et partenaire pour les cabinets McKinsey et Accenture.
Contactée, TSE confirme l'information. Elle reconnaît avoir "agi en tant que sous-traitant de McKinsey", mais assure ne pas pouvoir "communiquer sur la nature ou les détails de la mission, ni sur le cabinet" en raison "des engagements de confidentialité" auxquels l'école toulousaine serait tenue. Une opacité étonnante pour un établissement d'enseignement supérieur public œuvrant sur un dossier concernant directement l'Etat.
"Nous sommes les premiers à regretter ce manque de transparence, répond Christian Gollier, directeur général de Toulouse School of Economics. Ce n'est pas dans nos habitudes et nous n'avons rien à cacher. Ce type de projet doit nous permettre de faire de la recherche et de publier des articles. Là, ce n'est pas possible. Le caractère confidentiel de certaines données n'est pas répréhensible en soi. Dans ce cas, où notre contribution a vocation à aider l'Etat à s'améliorer, je l'avoue, c'est difficilement compréhensible."
Jean Tirole annoncé à une conférence de McKinsey
Dans le rapport sénatorial, le nom de Jean Tirole, président honoraire de Toulouse School of Economics, directeur scientifique de TSE-Partenariat à Toulouse, est également associé au cabinet américain. En février 2017, le prix Nobel d'économie, accompagné de Yann Algan, "doyen de l’école d’affaires publiques de Sciences Po", Éric Labaye, "ancien président de McKinsey Global Institute", aurait participé à une conférence de McKinsey pour la DITP afin "de cadrer les réflexions futures et maintenir une vue d’ensemble sur les enjeux à venir."
"Tout comme son confrère Yann Algan, Jean Tirole n'avait pas été informé que son nom ait pu être associé à un tel événement, répond à France 3 Occitanie le service communication de la Toulouse School of Economics. D'ailleurs à notre connaissance, cet événement n'a pas eu lieu. En tout cas, Jean Tirole n'a pas été sollicité pour participer à cette conférence ou à d'autres événements comparables."
Au sein de l'Université Toulouse 1 Capitole, à laquelle appartient toujours TSE, l'information de cette coopération n'était semble-t-il pas connue, mais elle soulève de nombreuses interrogations parmi la communauté d'enseignants-chercheurs.
Entre-soi "libéral et productiviste"
En 2021, Jean Tirole et Olivier Blanchard, professeur au MIT, ont ainsi rendu un rapport au gouvernement sur les grands défis économiques : la lutte contre le réchauffement climatique, la réduction des inégalités, et l’adaptation au vieillissement de la population. Comme le souligne le Nouvel Obs, le rapport des économistes, demandé par Emmanuel Macron, fait référence à quatorze reprises au cabinet McKinsey.
Florence Jany-Catrice, Présidente de l’Association française d’économie politique, évoquera dans une tribune du Monde "une vision libérale et productiviste de la science économique "mainstream"" marquée par un "entre-soi". Des critiques d'autant plus fortes que le partenariat entre TSE et McKinsey a été révélé.
"Je comprends qu'il puisse y avoir des interrogations, estime Christian Gollier, l'un des principaux auteurs du rapport Tirole-Blanchard. Mais nos chercheurs de TSE qui ont collaboré avec McKinsey n'ont absolument rien à voir avec le rapport Tirole-Blanchard. Pour les nombreuses références au cabinet de conseil américain dans notre rapport, cela n'a rien d'étonnant. McKinsey produit des études de qualité et tout n'est pas à mettre à la poubelle."
Certains n'y verront qu'une confirmation de l'influence "tentaculaire" des cabinets de conseil sur les politiques publiques, dans un monde bâti autour de la "religion du capitalisme". Christian Gollier lui assure qu'aucune autre collaboration de ce genre n'a été engagée avec son établissement et qu'on ne l'y "reprendra plus".