Quand Imad Ibn Ziaten tombe le premier sous les balles de Mohamed Merah, les policiers croient à un banal règlement de comptes entre délinquants. Des soupçons alors vécus comme "une double souffrance" par sa mère Latifa.
La voix toujours entrecoupée de sanglots, Latifa Ibn Ziaten évoque ce 11 mars 2012, quand son fils de 30 ans fut abattu dans un parking désert de Toulouse."On était les premiers: pendant quatre jours, on est resté seuls".
Rien ne laisse alors penser à la piste islamiste. Dans les médias, l'assassinat est présenté comme un fait-divers local, on parle d'un règlement de comptes entre trafiquants ou même d'un différend familial.
Pourtant, le militaire Imad Ibn-Ziaten fut la première des sept victimes tuées au nom d'Allah par le jihadiste Mohamed Merah, tué il y a tout juste quatre ans, le 22 mars, au terme d'une randonnée meurtrière de onze jours.
Or, jusqu'à ce que deux autres parachutistes tombent à leur tour à Montauban sous le feu du même Colt 45, le 15 mars 2012, personne n'envisage l'hypothèse terroriste. Et la famille d'Imad Ibn-Ziaten est "seule au monde".
"Pendant quatre jours, on n'avait aucune aide", se souvient cette mère d'origine marocaine décorée récemment de la Légion d'honneur, "on était complètement oubliés. Plus qu'oubliés: on était humiliés, et ça nous a marqués à vie".
Pendant que le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve rendait hommage aux sept victimes lundi soir à Toulouse, Latifa Ibn Ziaten se recueillait sur la tombe de son fils au Maroc.
Elle a vécu "le même drame" que les autres familles qui ont perdu un fils, un frère, un époux, un petit-fils ou une fillette, le 15 puis le 19 mars lors d'une
fusillade dans une école juive. Mais en plus, elle a vécu "les soupçons", "les interrogatoires", "la solitude", ce qu'elle appelle "une double souffrance".
Au commissariat, lorsque la famille d'Imad arrive de Rouen, après avoir appris la mort du sergent-chef basé à Toulouse, "on a été soupçonnés tout de suite: mes enfants dans un bureau, moi dans un autre", raconte-t-elle.
"Pour eux, c'était un règlement de comptes, c'était un trafiquant, (...) c'était un Arabe, c'était comme un délinquant", se souvient-elle, et on soupçonne même "un autre fils d'avoir tué son propre frère".
"Vous n'existez pas"
"On est sortis du commissariat comme des chiffons, comme des mouches", sans même avoir pu reconnaître la dépouille d'Imad, car après plusieurs heures d'audition, "la morgue était fermée".Quand on lui présente le corps, "ils avaient fait l'autopsie sans nous prévenir. Voir votre fils allongé comme çà, ouvert partout, vous savez, c'est pas facile..." Pour les autres familles de victimes, "tout le monde était là, le monde a bougé". Mais pour Latifa Ibn Ziaten, "le ciel est haut, le sol est bas, il y a personne qui vous entend, il y a personne qui vous voit, vous n'existez pas". "La mémoire de mon fils a été salie". "Quand je reviens à Toulouse, ça me vient tout de suite, cette souffrance énorme", souligne encore cette mère de famille.
"Après il y a eu l'hommage à Montauban, mais le mal était fait, le mal horrible à l'intérieur, c'est pour ça que je parle de double souffrance". "Jamais, jamais jusqu'à aujourd'hui, le commissariat ne nous a appelés pour nous dire +on a trouvé que la même arme qui a tué votre fils a tué d'autres soldats+
; rien, rien, jamais, jamais, les policiers n'ont fait d'excuses".
Depuis la mort de son fils, alors que se profile la perspective d'un procès aux assises pour le frère du tueur, Latifa Inbn Ziaten s'est engagée dans la lutte
contre la radicalisation.