La mobilisation contre la réforme des retraites a été particulièrement forte jeudi 19 janvier. Tout le monde s'accorde là-dessus. Pour de nombreux chercheurs, cette mobilisation pourrait prendre de l'ampleur, car elle dépasse largement le cadre des retraites.
Plus d'1 million de manifestants en France. Du jamais vu depuis 2019. Au lendemain des manifestations contre la réforme des retraites, chercheurs et sociologues sont unanimes : cela fait longtemps qu'autant de personnes de milieux différents n'avaient pas partagé la même cause.
"Comment se projeter dans l'avenir, quand on a du mal au quotidien ?"
Brigitte Sebbah est chercheur au Lerass, le laboratoire d'études et de recherches appliquées en sciences sociales qui dépend de l'Université Paul Sabatier à Toulouse. A ce titre elle a beaucoup travaillé sur le mouvement des gilets jaunes. Elle revient sur les cortèges du 19 janvier.
Un mouvement qui arrive à drainer autant de monde dès le départ, ne peut que prendre de l'ampleur. Cela montre des enjeux intergénérationnels.
Brigitte Sebbah, Lerass, laboratoire d'études et de recherches appliquées en sciences sociales, Université Paul Sabatier
D'après elle, si les manifestations ont autant été suivies, c'est qu'il y a un phénomène d'accumulation. Entre les "superprofits" des uns, les fins de mois difficiles des autres et le manque de services publics, cette réforme est vécue comme une injustice.
Réformer les retraites, c'est une difficulté à se projeter dans l'avenir, alors que les gens n'arrivent même pas à se projeter dans le présent !
Brigitte Sebbah, Lerass, laboratoire d'études et de recherches appliquées en sciences sociales, Université Paul Sabatier
Les nombreuses revendications qui se greffent sur celle de la réforme des retraites pourraient faire durer ce mouvement de contestation dans le temps.
"Notre retraite questionne notre rapport au travail"
Pour cet autre chercheur au Lerass, le laboratoire d'études et de recherches appliquées en sciences sociales, penser à la retraite c'est questionner notre rapport au travail. Depuis l'épidémie de Covid, la valeur "travail" a évolué. Pour Pascal Marchand, on est passé d'une société d'employeurs à une société d'employés.
Les gens sont en colère, mais ils sont surtout très motivés pour changer les choses. Avec la retraite, on touche aux fondements de qui l'on est et du pourquoi on travaille. Quand on se retrouve dans la rue pour défendre ça, c'est un cocktail explosif !
Pascal Marchand, Lerass, laboratoire d'études et de recherches appliquées en sciences sociales
Cette lecture de la mobilisation est partagée par Nikos Smyrnaios, également chercheur au Lerass.
Ce que la réforme nous pousse à analyser finalement, ce sont nos conditions de travail. Et entre les burn out et autres pertes de sens, il devient insupportable pour certains de travailler plus longtemps.
Nikos Smyrnaios, Lerass, laboratoire d'études et de recherches appliquées en sciences sociales, Université Paul Sabatier
La question de la réforme de la retraite s'est naturellement élargie et aujourd'hui le débat porte surtout sur notre travail au quotidien, nos difficultés et nos salaires. Habituellement, ce sont des sujets de l'ordre de l'intime, mais ce qui est dangereux pour le gouvernement c'est qu'aujourd'hui : "nous les abordons de façon collective". Et c'est très rassembleur.
Une mobilisation inattendue en milieu rural
Un autre élément permet de laisser penser que ce mouvement de contestation pourrait s'inscrire dans la durée. C'est l'importance des manifestations dans les villes moyennes. Pour Franck Bousquet, chercheur au Lerass, le laboratoire d'études et de recherches appliquées en sciences sociales qui dépend de l'Université Paul Sabatier, cette très forte mobilisation est révélatrice.
10 000 personnes dans les rues de Rodez, cela fait très très longtemps que l'on avait pas vu ça ! C'est une information importante. Cela prouve que cette contestation rassemble les gens. C'est révélateur d'un mouvement fort.
Franck Bousquet, Lerass, laboratoire d'études et de recherches appliquées en sciences sociales, Université Paul Sabatier
Dans l'Aveyron, à Rodez, on peut parler d'une manifestation historique. 11.000 personnes (la ville compte 24.000 habitants) sont descendues dans la rue. Encore plus que la manifestation de soutien à Charlie Hebdo qui avait réuni 9.000 personnes en 2015.
Ce mouvement va-t-il durer ? Avec quelle intensité ? La prochaine mobilisation est prévue le 31 janvier, à l'appel de l'intersyndicale.