Le vol inaugural d’Ariane 6 est prévu le 9 juillet 2024. Elle partira de Kourou (Guyane), en Guyane. L'enjeu est crucial vu le contexte géopolitique puisqu'il s'agit de rétablir un accès indépendant de l’Europe à l’espace. Le point avec Olivier Sanguy de la Cité de l'espace à Toulouse (Haute-Garonne).
L’Agence spatiale européenne (ESA) a annoncé ce mercredi 5 juin que le vol inaugural d’Ariane 6 aura lieu le 9 juillet prochain. Initialement prévu en 2020, ce vol au départ de Kourou en Guyane a été reporté pour partie en raison du Covid. 5 questions à Olivier Sanguy, rédacteur en chef du site d'actualités spatiales de la Cité de l'espace*.
France 3 Occitanie : qu'apporte Ariane 6 ?
Olivier Sanguy : L'objectif, c'est d'avoir un nouveau lanceur qui puisse s'adapter au spatial d'aujourd'hui, plus flexible et moins cher. Même si elle a beaucoup de points communs avec Ariane 5, Ariane 6 existe déjà dès le départ en deux versions, la version dite Ariane 6-2 et Ariane 6-4, et en fait, le chiffre après le 6 identifie le nombre de boosters latéraux, ce sont les fusées à poudre sur le côté. Ariane 5 n'en avait que deux, Ariane 6 étant une configuration où il y en a deux ou quatre. Bien sûr, on comprend qu'il y en a quatre, Ariane 6 peut avoir une charge utile beaucoup plus lourde, ça change sa performance. . Ça change aussi pas mal son poids au décollage, il faut savoir qu'Ariane 6-2, ça dépend comment on le dit, c'est 540 tonnes au décollage, 6-4, c'est 870 tonnes, et donc la performance double, en gros. Ce qu'on peut envoyer dans l'espace, en 62, c'est 10 tonnes sur orbite basse (l'orbite de l'ISS) et en 64, c'est 21 tonnes.
France 3 Occitanie : elle est donc plus performante ?
Olivier Sanguy : C'est une flexibilité dès le départ : on a un lanceur qui a deux modes de fonctionnement. On n'est pas obligé d'utiliser un lanceur trop puissant quand on a une charge qui ne le nécessite pas. Ensuite, il y a l'histoire du tarif... On sait que SpaceX, avec le Falcon 9, a complètement révolutionné la tarification de l'accès à l'espace. Donc, il y a le but d'être moins cher. Enfin, on va surtout le voir à l'opérationnel même si on a affiché être moitié moins cher ou 40 % moins cher qu'Ariane 5.
France 3 : pourquoi ce lancement d'une nouvelle fusée Ariane est-il important ?
Olivier Sanguy : Tout simplement parce que si on n'a pas d'indépendance dans l'accès à l'espace, on est obligé de demander même à des alliés leur aide pour envoyer des charges utiles et parfois, on n'a pas envie de le faire... C'est un principe de souveraineté.
Par exemple, si ce sont des satellites qui ont un objectif militaire, c'est de plus en plus important avec l'espace au niveau géopolitique, ça peut être un problème de faire envoyer ce genre de satellite par des lanceurs, même américains. Il y a un principe de sécurité des données, de ce qu'on fait pour la défense.
France 3 : c'est fondamental...?
Olivier Sanguy : On l'a vu dernièrement. On a un système de géolocalisation, en gros, un GPS européen, Galileo. Ce système repose sur plus de 20 satellites sur orbite. Dernièrement, il a fallu en envoyer deux nouveaux. Il faut renouveler sans cesse les satellites parce qu'au bout d'un moment, ils arrivent au bout de leur vie opérationnelle et puis on veut améliorer le système. Ces deux satellites, on a été obligé de les envoyer sur Falcon 9, c'est-à-dire sur un lanceur américain. Et il y a un moment où on ne peut pas exclure que même un pays avec lequel on a de bonnes relations diplomatiques, pourrait dire "ce satellite-là, je n'ai pas envie de l'envoyer". À ce moment-là, on se retrouve coincé.
Donc, c'est ça, la souveraineté dans l'accès à l'espace. Outre le fait de faire travailler la filière européenne, puisque le lanceur, s'il est européen, fait travailler les industries européennes, c'est le fait de ne pas être indépendant d'autres États pour envoyer nos propres satellites.
France 3 : c'est d'autant plus important avec le contexte géopolitique ?
Olivier Sanguy : En 2001, par exemple, on était à une époque très sympathique de coopération entre les Américains, les Russes et les Indiens pour envoyer des satellites. Tout le monde envoyait des satellites de tout le monde, avec bien sûr des tas d'exceptions, mais on était un peu dans cet esprit-là. C'était une époque aussi où Ariane 5 dominait le marché commercial. Et malgré cela, déjà à l'époque, il y avait cette idée qu'un lanceur, c'est avant tout un vecteur de souveraineté. La situation aujourd'hui renforce cet aspect souveraineté.
Ariane 6 est assez flexible donc elle peut mettre en orbite des satellites de défense, de géolocalisation, d'observation de la Terre. On sait notamment que c'est extrêmement important vis-à-vis du climat. D'ailleurs, en Europe, on a un des programmes, si ce n'est pas le programme le plus poussé en la matière, c'est le fameux programme Copernicus de l'Union européenne. Et aussi, on peut imaginer à l'avenir des sondes d'exploration du système solaire et peut-être même des cargos. Vous savez qu'il y a un projet en ce moment de cargos vers la station spatiale internationale, puis vers les stations spatiales privées. Ariane 6 pourra être un des vecteurs de lancement de ces cargos.
*La Cité de l'espace retransmettra en direct l'évènement le 9 juillet avec des commentaires d'experts impliqués dans la mission. Le lancement est prévu à 20h. L'accès se fera vers 19h sur inscription sur le site de la Cité : www.cité-espace.com