PHOTOS. " Sorcières" : portraits de femmes d'aujourd'hui pour rendre hommage à celles du passé assassinées pour sorcellerie

L'exposition de photographie "Sorcières"est le récit d’un féminicide qui s’est déroulé pendant la chasse aux sorcières entre le 15ème et le 18ème siècle dans les Pyrénées. A travers ces portraits de femmes d’aujourd’hui, Judith Prat rend hommage à ces femmes du passé, accusées de sorcellerie et assassinées.

Dans une atmosphère de clair-obscur, des visages prennent la lumière. Dès les premiers pas dans la grande salle d’exposition, c’est la matière qui accroche le regard. On entend le vent, on ressent l’humidité des nuages, l’odeur de la terre aussi, des matières. Puis on rencontre des visages, des portraits de femmes d’aujourd’hui qui vivent dans les Pyrénées, en France en Aragon et en Espagne. S’agit-il vraiment de sorcières ? De femmes aux pouvoirs surnaturels ? Mystère.

A l’Institut Cervantes (Toulouse), l’accrochage des photographies prend fin. Seuls les cartels restent à poser. Judith Prat, qui signe cette exposition est encore dans les murs pour présenter son travail : le récit d’un grand féminicide qui a lieu pendant la chasse aux sorcières entre le 15ème et le 18ème siècle. A travers ces portraits de femmes d’aujourd’hui, elle rend hommage à ces femmes du passé, accusées à tort de sorcellerie et brûlées pour certaines sur la place publique des villages des Pyrénées. Un travail sur la mémoire, fouillé, documenté pour faire tomber les stéréotypes et redonner à ces femmes décédées, leur place dans la société et l'histoire.

Un vaste féminicide dans les Pyrénées 

Judith Prat s’appuie sur des faits réels. La photographe a effectué de nombreuses recherches pour retrouver la trace de ces femmes assassinées dans les Pyrénées. En Europe près de 1000 femmes ont été tuées dont plus de 100 dans les Pyrénées pour des faits de sorcelleries : "J'ai choisi de centrer mes recherches sur les Pyrénées car j’ai découvert  que c’était là qu’il y avait eu le plus d’assassinats de femmes pour sorcellerie, plus précisément dans les Pyrénées françaises espagnoles, en Catalogne et en Aragon", raconte Judith Prat.

Grâce à une riche documentation, elle a refait le chemin à l’envers pour retrouver les villages dans lesquels vivaient ces femmes, les lieux où elles ont été exécutées et remonter le fil de l’histoire autour de la pensée magique. Une chasse aux sorcières souvent commanditée par les pouvoirs en place qui trouvaient dans ces femmes aux dons particuliers, de véritables boucs émissaires.
Elles étaient accusées de porter la malédiction dans les maisons en amenant la maladie, la grêle et les tempêtes et par conséquent d'être responsables des famines qui touchaient les vallées des Pyrénées : "Le rôle de la chasse aux sorcières a été de ramener ces femmes au foyer et de les enlever de la place qu’elles occupaient dans la société publique. Par conséquent, on a perdu tout le savoir-faire, la connaissance scientifique de l’époque car elles étaient sages-femmes, guérisseuses, naturopathes".

Mon intention c’était de raconter vraiment l'histoire de ces femmes pour détruire les stéréotypes qui ont perduré jusqu’à aujourd’hui.

Judith Prat

Détruire les stéréotypes

A travers leurs regards, ces femmes d’aujourd’hui portent en elles la mémoire de celles qui ont été assassinées. La photographe est retournée dans chaque village où les exécutions ont eu lieu, à la rencontre de femmes qui exercent aujourd'hui des métiers similaires à ceux des femmes accusées de sorcellerie. Elles sont pêcheurs, médecins, infirmières, naturopathes. Elles sont photographiées dans leur quotidien, leur lieu de vie, leur environnement professionnel, ces portraits de femmes d’aujourd’hui rendent hommage aux femmes de l’époque. Ces images d’aujourd’hui évoquent les faits et les lieux de cette chasse aux sorcières.

Dénoncer les symboles

À côté de chaque portrait, un symbole. Dans cette chasse aux sorcières, les objets de stigmatisation des "sorcières" ont traversé les temps. Aujourd’hui, on en trouve encore sur les portes d’entrée ou sur le toit des maisons. L’exposition montre aussi à travers des clichés toute la symbolique en lien avec la pensée magique de l’époque : "On voit sur pas mal de maisons, sur les toits où il y avait des cheminées, des pierres bloquant l’entrée et éviter ainsi que les sorcières entrent. Ou alors sur les portes des maisons il y avait des fleurs pour repousser les sorcières."

Les animaux sont également présents dans la pensée magique. La légende dit que les femmes sorcières se transformaient souvent en chat pour entrer dans les maisons et y introduire le malheur. La dénonciation de la prédomination masculine est également  représentée à travers une photographie réalisée lors d’un festival.

On pensait que le diable se réunissait avec ces femmes et ces animaux et qu’ils ressemblaient à un bouc comme sur la photo.

Judith Prat

"Au Carnaval de Huesca par exemple on avait des hommes qui se déguisaient avec des peaux d’animaux, d’ours, de boucs. Effectivement, c’est une posture par rapport à la nature mais c’est surtout la prédominance du masculin et de la force. Il y a également des heurtoirs en forme phalliques qui représentent toute l’exaltation masculine."

Un récit féministe

Judith Prat est journaliste et documentariste. Elle signe également en écho à cette exposition un documentaire, intitulé "Ils disaient que j’étais une sorcière". Le documentaire de 20’ est programmé dans de nombreux festivals partout dans le monde et à l’Institut Cervantes, le temps de l’exposition. Originaire de Saragosse, elle a travaillé sur des projets en Afrique ou en Amérique Latine mettant déjà en lumière la situation des femmes, des opprimés ou du monde agricole.
"Il est clair que tout mon travail dans cette exposition a un aspect féministe. Les femmes dans l'ensemble ont été effacées dans l'histoire en général mais dans le cas de ces femmes c'est pire. 

Elles ont été décrites comme vieilles, moches et méchantes et on devait se moquer d'elles.

Judith prat

Les droits des femmes toujours pas respectés

"La chasse aux sorcières continue de nos jours. Il y a beaucoup d’endroits où elle se pratique encore, c’est un fait réel. On essaye toujours de mettre de côté les femmes en dehors de la société. Ce qu’il y a de semblable entre toutes ces femmes d’aujourd’hui et celles du passé c’est qu’elles ont toutes un travail, un métier et surtout qu’elles remettent en cause le système et le statu quo dans la société. Et c’est ce qui dérange."

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Judith Prat parle de son expo photo "Sorcières" à voir du 12 septembre au 31 octobre 2024 à l'institut Cervantes à Toulouse. ©C.Carrière/FTV

 Dans les sociétés occidentales d’aujourd’hui, le droit à l’avortement et de la liberté des femmes à disposer de leur corps recule dans de nombreux pays occidentaux. L’IVG a d’ailleurs été interdite dans plusieurs États américains. La place des femmes est aussi remise en cause comme en Argentine où le nouveau président, Javier Milei, souhaite défaire les acquis sociaux des femmes. Le droit à l'avortement, et plus largement les droits des femmes, de la communauté LGBT, tout comme l’éducation sexuelle à l’école, sont directement menacés.

L'exposition "Sorcières" qui comprend 67 photographies est organisée dans le cadre du Festival Cinespaña et d’Une Saison photo à Toulouse. Une exposition des photographies de Judith Prat, avec le soutien de l'Ambassade d'Espagne à Paris à voir du 12 septembre au 31 octobre 2024 à l’Institut Cervantes à Toulouse.

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