Le gouvernement a annoncé un plan national anti-drogue, à Marseille, ce 17 septembre. La comparaison entre Marseille et Toulouse est de plus en plus fréquente. Mais entre syndicat de police et spécialiste du grand banditisme, les avis divergent.

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"L'homicide fait partie du boulot. On en survit comme on en meurt. C'est vrai ! Mais la chose a tellement été répétée qu'on ne s'en émeut même plus. On s'en rejouit même parfois". Les conséquences du trafic de drogue marseillais, décrites par Philippe Pujol dans "La fabrique du monstre" s'appliqueraient-elles à Toulouse ? "Oui", répondent deux syndicats de police. "Pas du tout !" répond un spécialiste du grand banditisme, docteur en économie criminelle. 
 
10 règlements de compte en 1 an d'après le syndicat de police SGP Force Ouvrière, 20 morts en 8 ans. Des chiffres alarmants pour Didier Martinez, qui compare aisément Toulouse à Marseille : "Toulouse est dans le mimétisme. Comme à Marseille, ici le trafic de drogue s'organise dans les cités et la guerre des territoires est déclarée avec des règlements de compte à l'arme lourde." Une comparaison impensable pour le spécialiste du grand banditisme et ancien chercheur au CNRS Thierry Colombié :  
 

A Chicago, il y a 500 morts à l'année, deux par jour environ. La-bas on peut parler de guerre des territoires, sûrement pas à Toulouse !

  
Thierry Colombié l'affirme : les problématiques sont exactement les mêmes qu'il y a 20, 30 ans. Et la situation n'est pas pire qu'avant. "Il y avait même plus de réglements de compte dans les années 70,80 qu'aujourd'hui". David Leyraud, secrétaire régional adjoint du syndicat alliance police Occitanie, n'est pas du même avis :

Depuis quelques mois il ne se passe pas une semaine sans fusillade à Toulouse. 2019 est en passe de devenir une année record en termes d'homicide par arme à feu. La déliquance s'est installée dans la ville.


Un deal plus visible, mais dérange-t-il ?


Les règlements de compte se font en public à Toulouse. Ils sont visibles. Autant que le trafic dont les halls d'immeubles sont devenus le symbole.
 
Et d'après les deux sydicats de police, les habitants n'ont qu'à bien se tenir. Pour Alliance et SGP FO, les riverains subissent la loi des délinquants. Là encore, les avis divergent.

Les points de vente dans les halls d'immeubles ont toujours existé. Et ne gênent personne sauf certaines familles peut-être. Mais pas toutes. Une partie d'entre elle est liée au trafic de stupéfiants. Et l'argent du trafic est redistribué dans les quartiers dits sensibles pour payer les loyers, les études... explique Thierry Colombié.


Un trafic très organisé


Dans les halls d'immeubles mais aussi devant les écoles, dans les parcs... Les points de ventes se multiplient et se banalisent. Il y en aurait au moins une cinquantaine à Toulouse qui rapporterait, chacun, jusqu'à 20 000 euros par jour, d'après les syndicats de police. Mais Thierry Colombié, docteur en économie criminelle précise qu'il ne faut pas confondre profit, et gain. 

A 1h45 de l'Espagne, voire moins, Toulouse est sur l'autoroute de la drogue, explique David Leyraud.  

La géographie de la cité phocéenne n'a rien à voir avoir celle de la Ville rose. C'est en cela que la comparaison avec Marseille est impossible pour Thierry Colombié. Et historiquement : "Marseille est un port. Et il y a des groupes criminels qui développent toute une économie autour du trafic de drogue. Ce n'est pas le cas à Toulouse."


A Toulouse, il n'y a pas de noeud structuré comme à Marseille.


Les syndicats de police quant à eux, parlent d'un réseau qui s'organise de plus en plus et de mieux en mieux à Toulouse : "tout est fait pour qu'à chaque fois qu'on arrête quelqu'un, il n'a presque rien sur lui. On ne peut donc pas faire grand chose."


"En plus du plan anti-drogue, il faut plus de policiers, et de sanctions !"


Alors pour lutter contre ces points de ventes, et contre les stupéfiants en général, le gouvernement a annoncé ce mardi 17 septembre un plan anti-drogue. 55 mesures, dévoilées à Marseille. Parmi elles : 
 
  • La création d'un office antistupéfiants (Ofast) pour remplacer l'office central pour la répression du trafic illégal de stupéfiants (OCTRIS), connue pour plusieurs scandales. Concrètement il s'agit de 150 enquêteurs et 16 antennes territoriales.
  • La mise en place d'une plateforme téléphonique permettant aux habitants de signaler les points de ventes. 
  • L'éloignement des délinquants de leurs territoires par "l'utilisation des interdictions judiciaires, le recours aux expulsions locatives et aux reconduites à la frontière pour ceux qui seraient en situation irrégulière."
Policiers et spécialiste s'accordent à dire que ce plan est insuffisant. D'abord parce qu'il devrait s'accompager de plus d'effectifs, d'après les syndicats de police.
 

Ca ne suffit pas de changer des noms. La métropole est en pleine expansion. Il y a plus d'habitants chaque année, mais pas plus de forces de l'ordre. On est en déficit par rapport à d'autres villes, en nombre de policiers par habitant, explique David Leyraud. 


A Didier Martinez de préciser : "à Toulouse on a besoin de 150 policiers supplémentaires. à la fois sur le terrain, et en investigation." Car démanteler un réseau prend du temps, les procédures sont longues. Et les délinquants doivent être pris sur le fait. Mais quand les policiers s'approchent, ils se font encercler, et caillasser, explique ce policier syndicaliste.

Ensuite ce plan est aussi jugé insuffisant, parce qu'il devrait proposer plus de sanctions, d'après David Leyraud : "il faut plus de peines de prison fermes". 

Depuis quelques années on a une montée en puissance des agressions, et de très faibles réponses pénales. On a des délinquants qui passent au comissariat pour agression à l'arme blanche à 16 ans, sans passer par la détention. A 23 ans, ce sont des armes de guerre qu'ils finissent par utiliser.


Le secrétaire régional du syndicat alliance police réclame un retour aux peines planchers.
 

"Il faut surtout plus de chercheurs"


Mais pour Thierry Colombié, il faut surtout plus de chercheurs pour répondre aux nouveaux enjeux liés au trafic de stupéfiants. "La plan anti-drogue est un énième vaste plan de communication. Et on sait pas de quoi on parle ! Il aurait mieux valu réaliser un audit. Encore une fois les mots blanchiment et corruption sont peu entendus alors que sans blanchiment, il n'y a pas de trafic et sans corruption, il n'y a pas de crime organisé.
 

Nous n'avons aucun fait avéré. La France est le seul pays du G7 à n'avoir aucun chercheur qui travaille sur le crime organisé. Il faudrait produire de la connaissance. En 30 ans il n'y a eu que deux recherches sur l'évaluation du marché de la drogue. 


Au lieu de mettre en place 150 enquêteurs, le gouvernement aurait dû engager 150 chercheurs, d'après ce spécialiste du grand banditisme. Des chercheurs qui pourraient expliquer, par exemple, le rôle primordial du "facteur géopolitique marocain, et plus précisément du riff" dans le trafic de stupéfiants en France, et dans le débat autour de la légalisation du cannabis. Mais ça, c'est une autre affaire.
 
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