Dans une tribune publiée sur son compte Facebook, le chanteur de Zebda, Magyd Cherfi, règle ses comptes avec la gauche. En ce jour anniversaire du 21 avril 2002, ce citoyen engagé à gauche n'a toujours pas digéré l'abandon et les trahisons de son camp.
Sa chronique débute ainsi : "Entre deux contre..." Les 2 contre sont bien sûr les 2 finalistes du second tour, les mêmes qu'en 2017. Mais ses critiques portent sur une troisième cible : la gauche et particulièrement, Jean-Luc Mélenchon.
"J’ai pas voté Mélenchon, je me suis vengé qu’il n’ait pas appelé à faire barrage au Front, c’était y a cinq ans"
Jean-Luc Mélenchon, l'incarnation de la gauche, celui dont les idées sont le plus en adéquation avec l'artiste. Seulement voilà. "J’ai pas voté Mélenchon, je me suis vengé qu’il n’ait pas appelé à faire barrage au Front, c’était y a cinq ans. J'ai eu envie de me payer le luxe de dire : arrête de te foutre de notre gueule. J'étais révulsé qu'il ne dise pas en 2017 qu'il fallait faire barrage au Rassemblement national".
5 ans plus tard, le candidat de l'Union Populaire a corrigé le tir au soir du premier tour des élections de 2022 : "pas une seule voix pour Marine Le Pen". Certainement trop tard pour Magyd Cherfi qui reproche à la gauche en général les nombreux renoncements. "De guerre lasse il a bien fallu qu’on admette que c’est pas tant la soit-disant idéologie fasciste qui était à craindre mais la faillite humaniste, universaliste de la gauche, son laxisme et sa couardise, "assène t-il dans sa chronique. Pour lui, l'homme profondément à gauche, elle a lâché les immigrés et les quartiers populaires. "Vous avez trahi la valeur cardinale de la gauche qui était l'universalité."
Le "Oui mais de la gauche"
Dans une longue diatribe, l'artiste dénonce le manque de courage et les renoncements de la gauche. Les fameux "oui mais". "A nos revendications, toujours il nous a été opposé un « oui mais » qui nous a été fatal. J’énumère … Ok pour l’islam à condition qu’il soit soluble dans une république laïque et catholique, ok pour l’intégration à condition que le voile ne soit pas une soumission à quelques mœurs rétrogrades (comme si c’était le cas pour l’immense majorité des filles et femmes qui le portent). Ok pour les mariages mais avec des youyous au volume sonore réduit et cachez nous ces moutons égorgés avec cruauté. Ok pour soutenir l’OM mais sans drapeaux algériens, ok pour la marche des beurs mais sans droit de vote même aux élections locales..."
Un constat que partage en partie Alain Espié, longtemps le gardien du temple de Jaurès en tant que maire de Carmaux (Tarn) de 2008 à 2020. " Ce que dit et écrit Magyd Cherfi n’est pas faux, beaucoup de gens ont dérivé, sans s’en apercevoir. Il y a moins d’humanisme chez la gauche qu’à une époque, un peu moins d’intégration. Et pourtant elle est bonne pour tout le monde. En tant que maire de Carmaux, j'ai toujours eu l’impression d’être en bas, manipulé. La gauche effectivement oublie parfois de mettre ses valeurs sur la table."
L'abandon des valeurs de la gauche que dénonce Magyd Cherfi remonte à 1981, au fameux "seuil de tolérance" de Mitterrand à propos de l'immigration, les propos de ses premiers ministres : " on ne peut pas recevoir toute la misère du monde" de Michel Rocard à la phrase malheureuse de Laurent Fabius sur " l'idéologie du Front National qui pose les bonnes questions". Jusqu'à la déchéance de nationalité mise en place par François Hollande. "Il faut se remettre dans le contexte, minimise Alain Espié. Nous étions en pleine vague d'attentats. Mais je connais quelqu'un issu de l'immigration qui a perdu sa nationalité française comme ça. Vous savez à Carmaux, on est dans une ville où beaucoup de gens sont venus de l’extérieur, où l'on a compté jusqu'à 52 nationalités présentes. Ici nous étions plus socialistes que de sociaux-démocrates. Ici on était pour le vote des immigrés aux élections locales car c'est bien normal vu qu'ils travaillent ici."
Pour Magyd Cherfi, l'ancien de la liste "Motivé" aux élections municipales de Toulouse en 2001 et candidat sur la liste d'Union de la Gauche en 2008, "la gauche n'a pas su bâtir un récit qui ferait place aux personnes issues de l'immigration. Ma mère a 80 ans, dont 70 passés en France. Elle n'est pas française : est-ce normal ? Elle n'a pas le droit de vote. Est-ce normal ?"
Nous ne voulons plus être à la fois les victimes de ceux qui ont peur et de ceux qui font peur.
Magyd Cherfi
La candidate du rassemblement National ne fait plus peur
"Le 21 avril 2002, c'était un véritable séisme. Ça m'a beaucoup chagriné, car ça n’aurait jamais dû se passer comme ça. C'était déjà la défaite de la gauche", affirme Alain Espié. Déjà les divisions. "Le 21 avril, oui j'ai eu peur, plus que maintenant, reconnaît Magyd Cherfi. Marine Le Pen fait moins peur, c'est une femme d'affaire avec un business qui marche. Si les Français la veulent, je suis un démocrate et je l'accepterai. Le RN va modérer les options qu'il propose; elle ne va pas appliquer tout son programme".
Les flèches du chanteur vont plus sur la gauche que sur la droite ou l'extrême-droite. "Je sais que je vais me faire étriller par la gauche, mais je n'attends rien d'Emmanuel Macron pas plus que je ne l'ai fait de Chirac ou Sarkozy, car ce sont des hommes de droite. Oui j'en veux davantage à la gauche car elle doit en finir avec ce "oui mais". J'attends qu'elle dise : ces gens issus de l'immigration sont chez eux ici en France. Il faut les inscrire dans la nation française et bâtir le France de demain."
Pour l'ancien maire de Carmaux Alain Espié actuellement suspendu par le parti socialiste : "il faut rester ferme sur les idées. Il faut continuer à marteler les vertus de l’humanité, même quand c’est à contre-courant comme dans l'époque que nous vivons."
Magyd Cherfi mais aussi Sanseverino, Jean-Pierre Mader ou Dick Annegarn seront ce jeudi soir sur la scène du Bikini pour marquer les 20 ans du 21 avril. Un rassemblement justement organisé par le PS.
Dimanche pour le second tour, Magyd Cherfi et Alain Espié n'auront pas le moindre état d'âme : ils voteront pour Emmanuel Macron.