Prison : "quand j'ouvre une cellule, je ne sais pas ce qui va me tomber dessus" témoigne un surveillant

Après l'agression de deux surveillants par un détenu lors d'une fouille à la prison de Rodez samedi 31 août, Julien, 34 ans, surveillant de la région toulousaine, a accepté de raconter son quotidien. Il donne l'alerte avec d'autant plus de force, qu'il aime encore son métier.

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Comment ça se passe au quotidien pour vous ?
Je suis seul à mon étage. J'ai 135 bonhommes à contrôler. A 6h45 et à 13h, je fais l'appel : ça veut dire que j'ouvre chaque cellule, une par une, et je compte le nombre de personnes "physiquement" à mon étage. Je le confronte à celui que j'ai sur l'ordinateur.

C'est un moment crucial, surtout le matin parce que malheureusement, il arrive qu'on découvre un détenu pendu ou qui a attenté à ses jours. Et puis, je ne sais jamais ce qui va me tomber dessus.  

Ce qui va vous tomber dessus... ça vous arrive d'avoir peur ?
Je ne vis pas avec la peur au ventre. Je mets à distance. Mais il y a des fois où on passe pas loin. Il n'y a pas longtemps, j'ai ouvert. Il y avait du sang partout. Un des détenus avait la tête complètement rouge de sang. Un autre l'avait frappé avec des boîtes de conserve dans un drap.
 

Il y avait du sang partout... Il m'attendait derrière la porte.


Je le voyais pas. Il m'attendait derrière la porte... Là... Comment dire ? J'ai senti que j'étais pas passé loin. Pendant 2 semaines, j'ai été incapable de travailler. Je suis passé par tous les états puis j'y suis retourné.

Qu'est-ce que vous avez pour vous défendre en cas d'agression ?
Moi j'ai strictement rien. Un sifflet pour appeler, je suis seul à l'étage, et un talkie. Mais si la personne en face a une arme artisanale, sachant qu'une brosse à dents peut se transformer en poinçon... C'est très facile à faire.
 

Bien sûr, on nous apprend des gestes d'autodéfense mais il y a tellement de personnes qui n'ont pas d'activité en maison d'arrêt. Eux sont très bien armés en terme de condition physique. Ils font des pompes, ils s'entrainent une bonne partie de la journée. C'est pour ça qu'il y a un turn over macabre dans les maisons d'arrêt... suite à des agressions. Depuis le début de l'année, j'ai été agressé 3 fois avec des arrêts de travail d'une semaine à un mois.
 

Ils sont à 3 dans 10m2


C'est une pression constante...
Oui. On subit la pression que vivent les détenus. Ils sont entassés. J'ai 135 personnes pour 51 cellules. Sachant qu'il s'agit de cellules individuelles. Je vous laisse faire le ratio... On a des lits superposés partout et dans 90% des cellules, il y a un matelas au sol. Ils sont à 3 dans 10m2.

Avec la canicule l'été, vous imaginez, c'est insupportable. Et s'il y a le moindre conflit, ça devient très très vite problématique. A 3 dans 10m2, c'est pas évident même avec la meilleure volonté du monde. Le moindre défaut d'un autre détenu, ça peut leur prendre la tête. Nous, quand on ouvre, on se prend tout ce ressentiment de plein fouet.
 

Et je ne vous parle pas du nombre de détenus avec des fiches : "risques schizo" ou "hétéro-agressif"... Il y en a une proportion énorme. La prison est devenu un HP (hôpital psychiatrique). Souvent on nous demande un changement de cellule. Mais au bout d'un moment, on ne sait plus où les mettre. Il n'y a pas longtemps, je me suis fait une tendinite en essayant de rentrer un détenu de force dans sa cellule. Pourtant on était 3. J'avais appelé un collègue et un gradé.

Ils viennent vous aider ?
Oui. Quand on sent que ça peut dégénérer, on est toujours avec un gradé. Pour être couvert. On a de plus en plus de dépôt de plaintes. C'est une épée de Damoclès. J'ai déjà été convoqué à la gendarmerie. Un détenu avait cassé la porte de la salle d'attente. On l'a monté au quartier disciplinaire. C'est la prison de la prison.
 


Il s'est suicidé par pendaison, en même temps qu'un autre a fait une tentative. Moi j'ai été entendu parce que j'avais fait partie de l'intervention qui l'avait monté au quartier disciplinaire (QD). Mes collègues du QD, ça a été autre chose encore : le procureur a demandé leurs empreintes ADN. Vous imaginez ? Quand vous essayez de faire votre boulot... 

Vous ne vous sentez pas soutenu ?
C'est le contraire. Le problème de la pénitentiaire, c'est que c'est le domaine de l'ombre. C'est un endroit qu'on aime bien cacher comme on cache la poussière sous le tapis. Les délinquants, la société n'a pas envie de les voir. Mais il y a des hommes et des femmes derrière les barreaux. Et c'est pas évident tous les jours...
 

Je ne suis pas fan de Castaner, loin de là. Mais les policiers ont cette chance d'avoir un ministre solidaire. Nous, quand il y a eu Condé, il a fallu attendre 2 jours pour que la ministre se déplace. Là, on se dit que vraiment on ne vaut rien...
 

Il y en a plein qui sont au bord du burn out.


Et puis, il faut savoir qu'on est payé 1400€ net en sortie d'école. Moi avec 6 ans de boutique, je gagne 1900 €. Je fais 30 heures supplémentaires par mois. Avec tous les risques que ça comporte. On est exténué. Il y en a plein parmi nous qui sont au bord du burn-out. Mais Belloubet dit qu'on est des agents surpayés !

La situation n'a pas évolué depuis la mobilisation très forte de l'an dernier ?
Non, on manque cruellement d'effectifs. Moi j'aime mon métier mais je ne l'exerce pas dans les conditions minimum pour que ce soit acceptable. Et on n'en prend pas le chemin.... J'ai appris il y a une semaine, qu'ils nous baissaient encore le budget. 
 


Au début du quinquennat, ils ont promis 15.000 places supplémentaires en prison. On est descendu à 7.000. Et avec cette baisse, ça va être encore pire. On se sent complètement abandonné. Un jour ou l'autre, un de mes collègues, ça peut être moi, on tombera mort sur la coursive. Et ce jour-là, il faudra que tous les politiques qui se sont succédés, rendent des comptes.

Les collègues passent tout près de la mort. Et ça ne bouge pas.

Ils ont du mal à recruter...
Oui. C'est pas en faisant de la pub... Quitte à faire un métier dangereux, il vaut mieux être policier. On a la reconnaissance pécuniaire. Mais il n'y a pas que ça... Le mal être, il ne vient pas spécialement des personnes détenues. On a des gens qui ont eu un accident de la vie. Avec eux, on n'a pas de problème. Et puis il y a les petits jeunes, les dealers de shit qui ne sont pas bienveillants.
 

On sait très bien qu'il y a un portable minimum par cellule


J'ai l'exemple d'un collègue, c'était avant que je n'arrive, dans une autre région. Il a voulu se protéger d'un détenu. il m'a montré sur une vidéo. Ils sont tête contre tête. Mon collègue le repousse et l'autre revient pour l'agresser. Mon collègue lui met un coup de poing et le remet en cellule. La directrice de l'établissement a encouragé le prisonnier à porter plainte. C'est inconcevable ! C'est pas possible ! On est en prison quand même...

On est en prison...
Il faut qu'il y ait de bonnes conditions de vie pour les détenus et pas de surpopulation, c'est évident. Mais ils sont incarcérés. Un exemple : l'administration leur a installé un téléphone dans chaque cellule. Mais on sait très bien qu'il y a un portable minimum par cellule. Autant mettre cet argent dans des brouilleurs de communication. 
 

On n'a pas, ne serait-ce qu'une bombe aérosol pour se défendre... On nous dit : il n'y a pas d'argent. A Toulouse, il y a des couteaux à la pelle, de plus en plus. Le nombre de réglements de compte à l'arme blanche a augmenté en cours de promenade. Il faut savoir que la loi de 2009 interdit la palpation systématique et les fouilles au corps. Elles doivent être motivées. 
 


Les détenus qui ont connu la prison il y a 30-40 ans, ils hallucinent. Il faut un minimum de discipline. Là, ils peuvent nous traiter de tout. Il n'y a pas aucune règle. Il faudrait ne serait-ce qu'un couvre-feu pour les télés à 23h. Certains vivent la nuit. Ils ne peuvent pas être réinsérés, déjà juste par leur rythme de vie. L'autre nuit, il y avait un gars qui se cuisinait un cordon bleu avec des pâtes à 3h du matin...

Et pendant ce temps, prochaine lubie de notre hiérarchie : tester des tablettes dans les cellules !

Vous arrivez à rester motivé ?
Moi je me suis engagé pour rendre service à la société. Mon fils de 7 ans, je lui dis : "Papa, il garde les voyous mais tu n'en parles pas". Parce qu'on sait pas. Même à l'extérieur, on n'est pas protégé.  
 

C'est cette petite lueur...


Malgré tout, j'aime encore mon travail. Parfois on recroise des anciens détenus. J'en ai vu un au Pas-de-la-Case récemment. Il m'a dit : on peut se serrer la main, on n'est plus derrière les barreaux. Je le fais pas à tous. Mais, lui, je lui ai serré la main. C'est cette petite lueur... Il y a des gens, ça m'est arrivé de me dire que peut-être, eux, je les reverrai pas, qu'ils allaient s'en sortir.

On réussit quand même à nouer des liens. Moi je refuse jamais de discuter avec quelqu'un qui a pas l'air bien. Même si au quotidien, avec 135 détenus en charge, qu'est-ce que vous voulez que je fasse pour la réinsertion ? C'est de l'abattage.   

 
Record français de surpopulation carcérale en Occitanie
France : 71828 prisonniers dont 845 mineurs
Occitanie : 6157 détenus pour 4430 places
Taux de surpopulation Occitanie : 139%
Moyenne nationale surpopulation : 117%
Chiffres : ministère de la Justice - mai 2019
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