« Un thriller dans la France périurbaine, au pays des Gilets Jaunes ». Voilà comment est résumé en cette rentrée littéraire le dernier ouvrage de l’auteur toulousain. Trop simple ? Sans nul doute pour décrire où l’écrivain embarque ses personnages et ses lecteurs.
Il y a une multitude de raisons de lire du Mauvignier. Et « histoires de la nuit » en est l’illustration parfaite. « Histoires de la nuit », ce titre fait référence à un autre livre, celui que Marion lit à sa fille Ida, le soir avant qu’elle ne s’endorme : « Un livre qui compile des contes venus du monde entier, des histoires et des personnages pour qui l’on tremble ». Bref un livre a priori pas destiné aux enfants.
La vie selon Mauvignier n’est pas un lit de roses, pour paraphraser une autre auteure, y compris dans le petit hameau de La Bassée, lieu imaginaire qu’il met en scène.
La Bassée va disparaître et c’est tout, elle ne sera pas le seul trou dont il ne restera qu’un nom – un fantôme sur une carte IGN-, sauf qu’en plus La Bassée a un nom tellement banal qu’il y en a quatre ou cinq qui ont le même
Là-bas vivent donc Marion ainsi que sa fille Ida et son mari Patrice Bergogne appelé plus souvent par son seul nom de famille. La deuxième maison du hameau est occupée par Christine, artiste parisienne venue passer la seconde partie de sa vie dans cette campagne sans plus de charme et devenue au fil du temps, « Tatie », pour la fille du couple. La troisième habitation est à vendre.
Au contact du réel
« Les derniers locataires (…) l’avaient quitté pour aller se jeter dans la gueule du chômage de masse au fond des cités HLM d’une ville moyenne » est-il dit dans l’ouvrage. Quant à Bergogne, il a repris la ferme familiale avec « pas de quoi vivre mais assez pour ne pas mourir ».
Le décor est planté, reste à l’animer d’une histoire. Première raison de lire l’auteur toulousain : son art du récit. Ici, il relate une prise d’otage et les quelques heures qui la précèdent. Alors que le hameau s’apprête à fêter les 40 ans de Marion et que tout se prépare, des hommes débarquent et font exploser l’équilibre déjà précaire de ce microenvironnement rural.
Jusqu'au bout du suspens
Une fois qu’on a dit ça et qu’on ne veut évidemment pas « spoiler » l’intrigue, penchons-nous sur la deuxième raison de lire ce nouveau Mauvignier : son style. Un style qu’on ne lui connaissait pas forcément jusque-là : pas simplement parce qu’il s’agit d’un thriller mais plutôt par la manière qu’il a de nous en servir l’intrigue. Il y a surtout cet art de planter son décor, ses personnages et les relations entre eux.
Patrice Bergogne, par exemple, n’est pas semble-t-il le protagoniste principal. L’auteur ne nous le rend pas attachant mais tellement humain et fragile. L’homme est écrasé par le souvenir de son enfance et de sa famille, marqué à jamais par un manque d’amour que sa femme ne comblera pas, loin de là. « Sa mère disait de lui qu’il était un gentil garçon et que, quand il trouverait chaussure à son pied, il se fera mener par le bout du nez ».
On n’y peut rien, rien ne change dans le secret du temps, il ne suffit pas de rénover, retaper, cacher sous la peinture et la modernité, il y a toujours qui affleurent des relents d’une époque qu’on voudrait oublier
Face à ce constat, Bergogne a rencontré, sur internet, Marion qui va devenir sa femme et la mère de sa fille. « Avant d’être une promesse d’amour, Marion était une inconnue, avec l’épaisseur d’une vie dont il ne savait rien ». Marion, personnage au cœur de l’intrigue avec, entre les lignes, son passé, ses horreurs et ses secrets. A La Bassée, « rien ni personne n’a pu avoir la moindre prise sur sa vie ni sur elle, ils sont tellement gentils les gens d’ici vous le saviez pas ? » songe-t-elle, un tantinet cruelle, en pleine prise d’otage.
Puis vers la fin de celle-ci, alors qu’elle pense à son mari :
Il a toujours su qui elle était et peut-être même qu’il est le seul à l’avoir accepté, à n’avoir pas pris ce petit air supérieur qu’elle a rencontré tant de fois chez les hommes, et chez les femmes aussi, mais, chez elles, se doublant d’envie et de jalousie ou d’admiration béate, non, il l’a désirée pour elle-même, sachant qui elle était, elle n’a jamais douté de son amour pour elle, oui, comment elle aurait pu trouver mieux que lui pour sa fille et pour elle ?
Dans « Histoires de la nuit », Mauvignier nous tient en joue du début à la fin. Tout juste pourrait-il lui être reproché quelques longueurs au terme des plus de six-cents pages du roman. Mais c’est le prix à payer quand on maîtrise aussi bien son récit que son style. C’est toujours le second qui en pâtit. Avec un lecteur tellement tenu par l’histoire qu’il survolera à peine les dernières pages pour en connaître le dénouement.
"Histoires de la nuit", Laurent Mauvignier, Les Editions de Minuit
Ce que les confrères en disent
« Ce qui compte, comme toujours chez Laurent Mauvignier, c’est de faire parler, fût-ce avec une violence inouïe, des sans-voix, des moins-que-rien, des mal-aimés, des humiliés » nous rappelle Jérôme Garcin dans l’Obs. « Car dans cette ferme isolée où le drame se joue, poursuit-il, les agresseurs et mes agressés se ressemblent plus qu’on ne l’imagine. Ils règlent tous des comptes avec le destin qui les a défavorisés ».
Et quand justement dans « Les Inrocks » Sylvie Tanette demande à l’écrivain toulousain pourquoi il a toujours porté beaucoup d’attention aux invisibles, voici ce qu’il répond : « C’est très simple : je suis issu de ce milieu-là. Jeune, j’avais peur de ne pas pouvoir devenir écrivain, les auteurs-trices contemporain-es appartenaient à une classe sociale qui n’était pas la mienne ».
De nombreux articles reviennent également sur le style de l’écrivain. « En fait Laurent Mauvignier, qui ne s’est attaqué aux lettres qu’après avoir été diplômé en arts plastiques, est resté un artiste. Il écrit comme on peint quand on a la folle ambition, à force de tourner autour de la vérité, lentement, très lentement, de l’encercler jusqu’à lui faire rendre grâce. Il résiste aux tendances moralisatrices de l’époque ; sur 640 pages il est peu de bons sentiments, beaucoup de mauvais, et c’est aussi cela qui est bien » commente Anna Cabana dans le Journal Du Dimanche.
Dans la revue culturelle « Transfuge », Lucien d’Azay place carrément l’écrivain toulousain « dans la lignée de Faulkner ».« Le lecteur se retrouve piégé par l’art de Mauvignier comme le sont ses personnages par une situation qui leur échappe, développe-t-il. À chaque nouveau chapitre, le romancier pousse le suspense à son paroxysme comme s’il négociait un virage à fond la caisse, en tirant le frein à main. »