Travailler le dimanche pour "relancer la machine économique", c'est ce que préconise le Medef et le ministre de l'économie mais les commerçants sont-ils d'accord ? Nous avons demandé aux petits commerçants mais aussi à des gérants de grandes surfaces en Occitanie leur avis.
Ce mardi 5 mai, dans un salon de coiffure parisien, Bruno Le Maire est revenu sur l'idée de travailler le dimanche au moment du déconfinement, pour "relancer la machine économique".
C'est vrai que jusqu'à cet été, les coiffeurs, les esthéticiennes vont être assaillis de demandes de rendez-vous qu'ils ne pourront pas honorer aussi rapidement que les clients le souhaiteraient. En témoignent les carnets de rendez-vous archi-pleins, mais aussi la nouvelle façon de travailler avec des mesures sanitaires qui limitera le nombre de personnes dans les salons.
Adhésion des salariés ?
"L'équipe ne suivra pas, réagit Raphaël Gaudel, coiffeur dans une grande enseigne toulousaine. On a déjà bien du mal à assurer les lundis le 1er mois. Sur 12 salariés, on est 3 à avoir accepté. Alors les dimanches, ça ne fonctionnera pas".Même constat pour Marie Biart, gérante d'un autre salon au centre de Toulouse. "C'est compliqué, explique-t-elle. Déjà qu'on sollicite pas mal nos salariés pour la réouverture avec des horaires élargis et le fait de travailler le lundi, on ne peut pas plus. C'est suffisant".
7 jours sur 7
Un argumentaire repris par Jean-Marc Martinez, président de la Fédération des associations du centre de Toulouse. "Nous sommes, nous les petits commerçants, formellement opposés au travail le dimanche, hormis quelques week-end avant Noël. On travaille déjà 6 jours par semaine. 7 jours sur 7... "
Soit le commerçant est seul et il doit travailler tous les jours, explique encore Jean-Marc Martinez. Soit, il a des salariés et il doit les payer le double le dimanche, même le triple puisqu'une journée de récupération leur est dûe. "Dans l'objectif d'une reprise économique, c'est ridicule !" estime-t-il.Pourquoi pas la nuit tant qu'on y est ? Il ne faut pas nous demander l'impossible !
La corde morale... sensible
"La grande distribution peut se le permettre avec les marges qu'elle génère. Nous, on n'a pas les moyens. Encore moins les mêmes intérêts. Il vaudrait mieux, par exemple, reporter les soldes à juillet ou août pour qu'on puisse vendre au moins un peu de notre stock à des prix normaux".
"On nous parle de responsabilité, de solidarité, renchérit le commerçant. Or, des enseignes de la grande distribution ont fait des commandes au Bangladesh auxquelles elles ont renoncé du fait des circonstances. Certaines étaient prêtes à être envoyées mais elles n'ont même pas été payées".
Ce n'est donc pas par cet appel au civisme que le gouvernement, comme le Medef, convaincront les petits commerçants. D'autant que, comme le rappelle Stéphanie Menu, esthéticienne à Albi, les clients ne sont pas forcément demandeurs. "Nous vendons du service."
Pour les grandes et moyennes surfaces qui font de l'alimentaire, aucun changement en vue car la plupart a ouvert tous les dimanches matins comme à l'accoutumée. "On n'ira pas chercher plus de business en ouvrant le dimanche après-midi alors qu'on a été ouverts pendant toute la durée du confinement", réagit Grégory Vouters, président de la fédération des entreprises du commerce et de la distribution.Le dimanche, les gens veulent passer du temps en famille, pas prendre des rendez-vous pour se faire épiler.
Dissidence gersoise
Mais certains gérants de supermarchés qui font figure d'exception, avaient pris la décision de fermer le dimanche durant le confinement. "Pour plus de sérénité dans la gestion des mesures sanitaires, on a pris cette décision, explique Eric Combebias qui gère avec sa femme Pascale, un intermarché à Lectoure. Le dimanche était réservé à la désinfection du magasin. Les clients ont changé leurs habitudes. Nous aussi".Cela faisait 12 ans que le magasin était ouvert tous les dimanches matins. Mais quand les Combebias ont demandé à leurs salariés ce qu'ils préféraient, pas d'hésitation : le repos dominical, la qualité de vie. Idem pour les clients sollicités sur Facebook. Une décision qui a amené les responsables du magasin à convaincre deux de leurs trois collègues du secteur.
Tous consom'acteurs
"On va tenter l'expérience de la fermeture sur le premier mois et mesurer l'impact économique. On risque un transfert d'argent vers le supermarché Carrefour qui reste ouvert. Le dimanche, c'est 5% du chiffre d'affaires. Si ce chiffre baisse, ça aura un impact sur nos équipes, sur le nombre de salariés. Donc on ne pourra pas poursuivre".
Mais Eric Combebias le rappelle : le consommateur est LE donneur d'ordre. Le gérant a mis en ligne sur Facebook une pétition pour l'inciter à les soutenir, lui et son équipe. Objectif : obtenir plusieurs milliers de signature contre l'ouverture des grandes surfaces le dimanche et essayer de peser sur les pouvoirs publics pour qu'ils légifèrent. "Au moins dans notre secteur et pourquoi pas petit-à-petit étendre l'interdiction, s'enthousiame ce dissident.
Une initiative qui semble aller à contre-courant du discours politique prônant une reprise économique à tout crin. Mais qui est sans doute en phase avec cette pause dans la consommation effrénée qu'ont apprécié des clients de plus en plus sensibles à l'impact de leurs achats sur l'environnement.