Momies, reliques, les musées devront-ils restituer les restes humains des collections publiques à leur pays d'origine ?

La France a adopté lundi 18 décembre 2023 une loi encadrant la restitution des restes humains issus de collections publiques. Une avancée qui soulève des enjeux éthiques, notamment autour de la notion de dignité humaine et de la réparation des acquisitions illégitimes. Explications avec Pierre Noual, spécialiste du droit de l'art et du patrimoine.

La question des restes humains, présents dans nos collections publiques depuis de nombreuses années, est un sujet sensible. Squelette amérindien, reliques malgaches sont actuellement exposés ou entreposés dans les réserves des musées français.

Le Parlement a adopté définitivement lundi 18 décembre, une loi fixant un cadre pour restituer à des États étrangers des "restes humains" appartenant aux collections publiques françaises.La ministre de la Culture Rima Abdul Malak espère que ce texte permettra "d'apaiser, de réconcilier les mémoires", à propos de vestiges "parfois entrés dans nos collections après avoir été acquis de manière illégitime voire violente", notamment lors de conquêtes coloniales. Cette loi-cadre pourrait faciliter la restitution prochaine de restes humains d'aborigènes d'Australie, ainsi que le squelette du fils d'un chef amérindien de la communauté Liempichún, demandé par l'Argentine et sa communauté Mapuche. Explications avec Pierre Noual, avocat et historien de l'art spécialiste du droit de l'art et du patrimoine et auteur de Restitutions, une histoire culturelle et politique (éditions Belopolie).

France 3 Occitanie : Comment se déroule la restitution des restes humains ?

Pierre Noual : Avant le vote de cette loi, la restitution des restes humains relève de la négociation entre États. L'État demandeur doit justifier pourquoi et comment il souhaite que les restes humains lui soient restitués. Cependant, l'État français n'a pas d'obligation formelle dans ce domaine. La procédure actuelle repose sur des lois d'exception, comme cela a été le cas pour les têtes Maori de la Nouvelle-Zélande. Le projet de loi vise à réformer cette procédure en établissant un mécanisme plus encadré et souple pour les négociations entre États.

France 3 Occitanie : Comment fonctionnera cette nouvelle procédure ?

Pierre Noual : Avec cette loi, un État étranger peut demander à la France la restitution de restes humains. La France enquêtera sur la provenance de ces restes et, si les conditions sont remplies, proposera par décret en Conseil d'État leur déclassement et restitution à l'État étranger. Cependant, certaines conditions, telles que la finalité de la restitution et le type de restes humains, suscitent des débats. La restitution serait principalement envisagée pour des restes postérieurs à l'an 1500, excluant ainsi les restes antérieurs.

France 3 Occitanie : Pourquoi cette limite temporelle de l'an 1500 ?

Pierre Noual : La justification de cette date n'est pas claire, mais il semble que le choix d'une date butoir plutôt qu'une date évolutive vise à fournir une référence temporelle stable. Il reste des interrogations sur les raisons de ce choix, notamment s'il vise à éviter la remise en cause de certains biens présents dans les collections publiques.

France 3 Occitanie : existe-t-il finalement un "risque" pour que cette loi ouvre dans le futur la possibilité de restituer des oeuvres plus anciennes, comme les momies que l'on trouve au Louvre ou actuellement au Musée Saint-Raymond à Toulouse ?

Pierre Noual :  C'est toute la question. Une fois que la loi sera gravée dans le marbre, on pourra toujours la modifier, mais, en général, ça a vocation à rester en état. Il s'agit avant tout d'une décision politique. La culture est une question de politique. Et je pense qu'il y a également le souhait de ne pas remettre en cause des restitutions de biens qui seraient effectivement biens antérieurs comme momies égyptiennes. Nous rentrons dans une question d'équité, de dignité humaine.

France 3 Occitanie : Qu'en est-il des objets ?

Pierre Noual : La restitution des objets reste problématique, surtout en dehors du cadre spécifique des spoliations nazies ou des restes humains de la convention de l'Unesco.  Nous sommes toujours sous le principe de lnaliénabilité, et là encore, seul un déclassement par à-coups, ou en tout cas par plusieurs lois d'exception, peut permettre de restituer. Cela a été tout l'enjeu du rapport Martinez rendu au gouvernement en avril 2023. Les projets de loi à venir pourraient établir des critères pour faciliter la restitution de ces artefacts. Toutefois, la question demeure complexe, avec des débats autour des critères, notamment ceux liés à la notion de violence dans l'acquisition des biens culturels. Tous les biens que nous possédons dans nos collections publiques françaises n'ont pas toujours été emportés dans le cadre de violences, qu'elles soient coloniales ou dans le cadre de guerres. Il y a donc encore des interrogations à clarifier par le ministère de la Culture et l'État français pour réfléchir à quelles conditions réelles, effectives, doivent être mises en place pour pouvoir réellement restituer,
et non pas mettre des obstacles à ces restitutions. 

France 3 Occitanie : Comment expliquez-vous l'évolution de cette réglementation sur la restitution ?

Pierre Noual :  Il y a effectivement une évolution de la perception du contenu d'une collection, sur la notion de biens culturels qui ne sont pas toujours de simples objets, mais aussi des restes humains. Il y a tout d'abord, une pression internationale beaucoup plus accrue. Nous sommes face généralement à des pays notamment africains qui ont vécu leur indépendance, leur décolonisation, avec un temps qui est relativement récent à l'échelle de l'humanité, et tentent là encore de reconstituer leur patrimoine, tentent de s'approprier aussi une définition de ce qu'est le patrimoine. Une notion qui n'est pas forcément la nôtre, occidentale ou française. La France qui a été fer de lance en 2017 avec le discours d'Emmanuel Macron, a mis beaucoup de temps pour s'engager dans cette voie, alors que d'autres pays ont été un peu plus rapides, ou en tout cas ont tenté de chercher des solutions beaucoup plus importantes.

Mais là encore, la situation est politique donc la question de la restitution suscite beaucoup de débats, en tout cas, beaucoup de clivages dans l'esprit des Français. Les conservateurs du patrimoine, en tout cas les professionnels muséaux, ne sont pas toujours les plus enclins à vouloir restituer, pour tout un tas de raisons historiques, économiques, artistiques, mais le débat est ouvert. Et maintenant, il faut s'y plonger et trouver des voies de résolution. C'est une question d'équité, mais c'est aussi une question d'éthique, au sens premier de ce que doit être aujourd'hui un musée, et ce fameux musée des Lumières que l'on a, sur lequel on vit toujours, peut-être qu'il doit aussi être repensé pour correspondre davantage à notre notion d'humanité que l'on peut avoir aujourd'hui.

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