Le salon du "bien-être et du bio" s’est tenu en septembre 2022 à Toulouse (Haute-Garonne). Au cours d’une intervention, les mérites du thé pour soigner le cancer ont été vantés. Des études ont documenté ses effets sur des cellules malades, mais ce n’est pas une alternative aux thérapies traditionnelles.
Sur l’estrade d’un amphithéâtre de Diagora Toulouse-Labège, Sylvie Beljanski donne une conférence sur “les effets anticancéreux des thés verts”. Elle participe au salon du "bien-être et du bio", qui s’est tenu à Toulouse les 8,9 et 10 septembre derniers.
L’intervenante n’est pas n’importe qui. C’est la fille de Mirko Beljanski, biochimiste à l’Institut Pasteur, condamné à la fin des années 90 pour exercice illégal de la médecine. Il avait commercialisé de façon illégale et en dehors de tout cadre médical des produits thérapeutiques prétendant soigner l'infection au VIH ou le cancer.
“C’est juste une dame qui dit de la croire sur parole”
Lors de cette intervention, dont un extrait a été diffusé sur les réseaux sociaux, Sylvie Beljanski veut défendre les recherches menées par son défunt père. Graphiques à l’appui, elle présente “un mélange de thé capable d'inhiber les cellules cancéreuses du sein”. “On a aussi un cancer très métastasé du sein et une très très belle efficacité”, explique l’ancienne avocate pointant du doigt un graphique.
“Cette présentation reprend exactement toutes les erreurs qu’on demande à nos étudiants de ne pas faire quand ils présentent un sujet de recherche”, commente Eric Bauvin après avoir visionné l’extrait. Le médecin toulousain, directeur du réseau Onco-Occitanie, questionne la crédibilité d’une telle intervention. “Il n’y a pas de protocole, pas de contexte, pas d’explication. Il y a simplement un graphique dont on ne sait pas ce qu’il y a derrière. On comprend que les tests ont été réalisés in-vitro mais il n’y a rien. C’est juste une dame qui dit de la croire sur parole”.
Il faut vraiment qu’on soit très vigilant sur ce qui est dit, notamment lorsque cela émane de la fondation Beljanski.
Marie-Ange Léophonte, présidente de la Ligue contre le cancer Haute-Garonne
“Il y a beaucoup d’affirmations et de certitudes dans un domaine qui est pourtant encore à l’étude”, relève de son côté Marie-Ange Léophonte, directrice de la Ligue contre le cancer en Haute-Garonne. Elle se dit “très sceptique et sur la réserve” lorsqu’il s’agit d’évoquer l’efficacité de traitements naturels contre le cancer. “Il faut vraiment qu’on soit très vigilant sur ce qui est dit, notamment lorsque cela émane de la fondation Beljanski, qui comme on le sait a eu des déboires judiciaires importants pendant de nombreuses années."
Des recherches existent et sont toujours en cours
Sans donner plus de précision sur le procédé qui lui a permis de mener ses recherches, Sylvie Beljanski a tout de même été invitée et a pu participer au salon. Contactée, la direction de Diagora, site qui a accueilli l’événement, indique que “nous sommes site d’accueil et non organisateur d'événements en charge notamment du contenu et des événements. À ce titre, nous ne sommes pas habilités à décliner un événement autorisé”.
Au contraire, le thé vert peut réduire l’action des traitements anticancéreux
“Si le thé vert pouvait éradiquer le cancer du sein, je pense que nos chercheurs compétents et émérites le sauraient”, déclare Marie-Ange Léophonte. “Des projets de recherche auraient été publiés et on aurait un peu plus de traitement de ce type dans la prise en charge de patients atteints d’un cancer, métastatique ou non. Mais ce n’est pas le cas”. “En revanche, je sais que prendre du thé vert peut réduire l’action des traitements anticancéreux, pourrait augmenter la toxicité de certains traitements et est déconseillé et influence certains traitements comme la radiothérapie notamment. Donc il faut être très prudent".
Depuis plusieurs années, des investigations scientifiques tentent d’évaluer les effets de l’alimentation des malades du cancer sur le traitement de leur pathologie. En ce qui concerne l’association du thé vert aux chimiothérapies, le réseau NACRe, un consortium d’experts spécialisés dans la nutrition, l’activité physique et le cancer, a déjà publié des données. “Leurs conclusions ne sont pas du tout les mêmes que celles de cette dame”, souligne Marie-Ange Leophonte, qui rappelle qu’ “il n’a pas été prouvé que le thé vert pouvait avoir des actions aussi bénéfiques sur l’être humain”.
"Faire de la pédagogie auprès des malades"
Si à ce jour, aucune donnée scientifique ne permet de prouver la pleine efficacité du thé vert dans le traitement contre le cancer, cette croyance est pourtant bel et bien répandue parmi certains patients ou proches de malades. C’est ce qu’a pu constater Florent Puisset, pharmacien à l’Oncopole de Toulouse depuis son ouverture en 2014 et pharmacien depuis le début des années 2000.
Les entourages de personnes malades sont à la recherche de traitements, de réponses et de solutions et ils peuvent se tourner vers des alternatives. Ce n’est pas interdit, mais il faut consulter son médecin traitant, son pharmacien avant de commencer.
Florent Puisset, pharmacien
"Cette question est très récurrente. On est très sollicités et on manque de réponses. La plupart des études sont faites in vitro, chez l’animal et très peu chez l’Homme. Les entourages de personnes malades sont à la recherche de traitements, de réponses et de solutions et ils peuvent se tourner vers des alternatives. Ce n’est pas interdit, mais il faut consulter son médecin traitant, son pharmacien avant de commencer. Et le thé vert n’est toujours pas un médicament contre le cancer”.
Eric Bauvin abonde. “Dans de telles situations, quand ils sont malades, les patients peuvent être très sensibles aux discours simplistes, rassurants. C’est important de poser des questions à son médecin. Et il est important que les médecins continuent de faire de la pédagogie auprès des malades”.