Scandale à la clinique. Un médecin écrit un livre, son directeur croit se reconnaître dans un personnage, l'écrivain se fait virer

Le docteur Denis Dupuy, urologue réputé à Toulouse (Haute-Garonne), a été débarqué de la clinique Ambroise Paré. Son tort selon lui : avoir écrit un roman dans lequel le directeur de l'établissement s'est reconnu. Ce que conteste le praticien qui affirme que ses personnages sont tous fictifs.

Il se présente comme le "médecin des pauvres et des immigrés". Le docteur Denis Dupuy est chirurgien-urologue à la Clinique privée Ambroise Paré de Toulouse. Il y exerce depuis 18 ans, sans dépassement d'honoraires.

Un établissement qui a été racheté, il y a trois ans, par le groupe Elsan, et qui se présente comme le "leader de l'hospitalisation privé". Ce groupe gère 140 cliniques et hôpitaux privés et revendique 28.000 collaborateurs et 7500 médecins libéraux à travers tout le territoire.

Le 17 avril 2023, le Docteur Dupuy reçoit une lettre recommandée de son employeur. La clinique Ambroise Paré met fin au contrat d'exercice libéral qui lie l'urologue à l'établissement. En avril 2024, il devra avoir quitté son lieu de travail.

Son tort, selon lui : avoir écrit un livre de fiction, dans lequel le directeur de l'établissement, Frédéric Pecqueux ainsi qu'un syndicaliste se seraient reconnus.

Un urologue...écrivain

Car l'urologue est aussi écrivain à ses heures perdues. Passionné de lettres, il en est à son 4ème livre. Le dernier s'intitule "Bagatelles, ou combien j'emm... mes contemporains". C'est l'histoire du Docteur Trente Trois, chirurgien dans une clinique de province, qui se lamente des bouleversements au sein d’une société qui ne le séduit plus. L’ouvrage est prétexte à un regard acerbe sur l'évolution de la société : théorie du genre, wokisme, écologisme. 

Dans l'ouvrage du chirurgien, il y a une scène librement inspirée de "Sodome et Gomorrhe", l'un des volumes de l'oeuvre monumentale de Marcel Proust, "A la recherche du temps perdu". Le Docteur 33 fait irruption dans le bureau de son directeur de clinique, qui est au beau milieu d'ébats sexuels avec un syndicaliste... Une scène "trash" que le docteur Dupuy assume. Selon lui, il n'y a aucun lien avec le directeur de la clinique Ambroise Paré ou un quelconque syndicaliste. 

C'est grotesque. Tout est fictif. Rien n'est réél, aucun personnage ne correspond à la réalité. Je l'ai dit, je l'ai écrit. Ce n'est pas de ma faute si le Directeur se reconnaît dans ce personnage, qui je le redis, est fictif.

Denis Dupuy

Et d'enfoncer le clou : "Je dépeins une clinique caricaturale, corrompue, des dirigeants et des médecins frappadingues, bref, une farce et… il reconnaît sa personne et sa clinique".

Alors comment expliquer cette rupture de contrat ? Pour le Docteur Dupuy, "on ne lui a jamais fait de reproche sur son activité professionnelle". "Peut-être y a t-il une forme "d'antipathie" de la part de son directeur, concède t-il. Une antipathie qu'il ne comprend pas. Et de souligner : "J'ai une activité impartiale en tant que médecin. Mes romans n'ont rien à voir avec ma profession".

"Manquements aux obligations déontologiques"

Pourtant, les reproches formulés contre le Docteur Dupuy sont nombreux. Nous avons pu consulter le courrier envoyé par l'avocat de la clinique Ambroise Paré, à l'urologue toulousain. Il y est question du livre que le spécialiste a publié - sous forme d'audios - sur sa propre chaîne Youtube.

"Il apparaît à l'écoute de l'intégralité des vidéos que le Docteur Dupuy (...), y tient des propos formulés en des termes non équivoques, qui exèdent les limites que le code de déontologie justifient d'apporter à la liberté d'expression et constituent par conséquent autant de manquements aux obligations déontologiques".  

Libre-penseur et parfois critique vis à vis de son employeur à travers des billets ou des vidéos publiés sur Youtube, le Docteur Dupuy est également  accusé d'avoir "jeté l'opprobe et le discrédit sur l'établissement au sein duquel il exerce" et d'avoir tenu des "propos ourageants" à l'encontre de son directeur, Frédéric Pecqueux. Une plainte devant le conseil de l'ordre des médecins a été déposé contre l'urologue.

Le 25 juillet 2023, le docteur Dupuy est passé devant le Conseil de l'ordre des médecins de Haute-Garonne, pour une réunion de conciliation avec son directeur. Conciliation qui - selon nos informations - n'a rien donné.

Contacté, Stéphane Oustric, le président de cette instance départementale, préfère botter en touche. "Je n'ai pas d'avis sur cette affaire. Surtout pas. Ce n'est pas mon rôle. Ce médecin est sous contrat avec une clinique privée. Est-ce que les éléments du contrat ont été respectés ? Ce n'est pas à moi d'y répondre. Nous ne sommes pas en capacité de juger, ce n'est pas notre rôle". L'affaire devrait maintenant être examiné par le Conseil de l'ordre régional, basé à Montpellier.

"Le roman n'est pas l'élément déclencheur"

Quant à Frédéric Pecqueux, le directeur de la Clinique Ambroise Paré, il préfère ne pas rentrer dans les détails : "Le roman n'est pas l'élément déclencheur, il y a un contexte général. Il y a eu un droit d'alerte du CSE. Il y a des procédures en cours, une plainte au pénal, une plainte au civil. Le Conseil de l'ordre a été saisi. La procédure est en cours, je ne peux pas vous en dire plus. Mais sachez que je n'en fais pas une affaire personnelle".

Depuis avril, la procédure suit donc son cours. "Comment vais-je faire intervenir un personnage imaginaire au pénal et au civil ? Comment peut-on confondre un professionnel de santé, un écrivain amateur et le héros d’un roman ?" se demande l'urologue. Il souhaite garder son poste à la clinique Ambroise Paré. Le praticien se réserve le droit de contre-attaquer.

Rupture abusive de contrat ? 

Pour son avocat, Maitre Denis Benayoun, "on se situe dans une logique économique. Il est clair que la clinique veut se débarasser d'un praticien. Ce n'est pas le seul d'ailleurs dans ce cas-là. Le livre n'est qu'un prétexte. Ils s'en sont servis, alors que cela relève de la fiction" souligne t-il.

A ce jour, l'avocat affirme que son client n'a toujours pas été avisé d'une quelconque assignation ou plainte au pénal. Ce qui est sûr, c'est que, si la situation en restait là, il compte attaquer l'établissement pour "rupture abusive de contrat" et qu'il demandera des dommages et intérêts pour le Docteur Dupuy.

Continuité des soins

Si rien ne bouge, le médecin devrait prendre un poste à la clinique Rive Gauche de Toulouse. Mais il ne pourra pas poursuivre ses activités en cancérologie car cet établissement ne dispose pas des autorisations nécessaires. Une perte d'activité, mais bien plus grave à ses yeux, une rupture dans la permanence des soins. "Devrais-je dire aux patients que je ne peux retirer leur cancer car un directeur s’est reconnu dans une scène de Proust ? Le sort de ces malades n’émeut guère (...)" conclut-il d'un air dépité.  

  

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