TEMOIGNAGE : une étudiante de Sciences Po Toulouse dépose plainte pour des viols qu'elle aurait subis

Une étudiante de Science Po Toulouse dénonce les viols qu'elle aurait subis lors de son intégration. Elle vient de porter plainte et une enquête préliminaire a été ouverte. L'affaire prend depuis quelques heures une ampleur nationale avec le témoignage d'autres victimes.

"Je m'appelle Juliette, j'ai 20 ans et aujourd'hui je vous écris car à Toulouse aussi, on est violé.es, à Toulouse aussi on est humilié.es et à Toulouse aussi on peine à être écouté.es", c'est ainsi que débute la lettre dans laquelle cette jeune étudiante de Sciences Po relate les viols qu'elle dit avoir subi durant l'intégration en première année.

Un témoignage recueilli et partagé sur les réseaux sociaux par Anna Toumazoff, connue pour avoir en 2019 effectué un travail similaire sur les agressions vécues par des femmes lors de voyages en Uber.

Dans son texte, Juliette explique que dès les premiers jours, elle a été insultée et dénigrée par les deuxièmes années, filles et garçons. Un début difficile à supporter mais elle dit tenir, s'intégrer. Puis... le pire serait survenu :"Tu m'as violée. Je pleurais dans tes bras et tu m'as forcée. Tu m'a violée. Je dormais et t'as continué. Tu m'as violée. Tu m'as demandé si ça allait, j'ai dit non et t'as fini. Tu m'as violée. Tu t'es endormi et tu m'as laissé sangloter dans le coin du lit. Tu m'as violée, violée et encore violée".

Un témoignage poignant sur les réseaux sociaux

Le témoignage se poursuit, poignant. Juliette que nous avons jointe au téléphone dit avoir eu besoin de temps pour porter plainte. Elle l'a fait ce samedi, dans la foulée de la publication de sa lettre sur les réseaux sociaux. "A Sciences Po Toulouse, je ne suis pas la seule. J'ai beaucoup d'amies qui ont été agressées ou violées au sein de Sciences Po, dit-elle. Au départ, on se tait. Mais plus on va vers le Master et plus on parle...".

Juliette dit avoir envie que sa souffrance soit entendue. Elle veut être reconnue en tant que victime. "Le fait de témoigner peut permettre à d'autres de le faire et d'arrêter ça. Je pense qu'ils n'arrêteront pas tant qu'ils resteront impunis. Ils s'excusent parfois mais leur vie ne change pas. Et les autres se disent : "Au final, c'est pas si grave de violer des femmes".

Peur de parler

L'étudiante relate sa peur de parler, elle dit qu'elle avait conscience des menaces qui pesaient sur elle si elle témoignait. "Je n'ai pas de petite soeur mais je pense aux petites soeurs de mes amies. C'est à notre génération de porter ça".  

Contacté le directeur de l'IEP, Olivier Brossard, explique que les faits se seraient déroulés après une soirée étudiante à la rentrée 2018. Ils auraient été commis dans le cadre de l'intégration, une série d'évènements ponctués de soirées qui semblent s'apparenter à un bizutage même si celui-ci est interdit.

Le directeur dit avoir eu connaissance des faits très tardivement. "J'ai été alerté en novembre 2020 par une collègue qui l'a appris par les réseaux sociaux, explique-t-il. J'ai aussitôt essayé d'obtenir le nom de la victime, de l'agresseur et j'ai contacté le procureur de la République. Mais ce n'est que fin décembre, après la commémoration qui a eu lieu dans l'établissement pour un de nos étudiants qui s'est suicidé, que la victime présumée est venue me voir. Jusque-là elle avait souhaité garder l'anonymat".

Enquête judiciaire pour viols

Olivier Brossard rapporte qu'il a alors mis en place une prise en charge spécifique avec la cellule interne qui traite des violences et des propos discriminatoires. Il a informé la victime de la plainte qu'il avait déposée. "Je viens de prendre connaissance de son témoignage écrit (dont un extrait est mentionné ci-dessus) et du nom de l'agresseur. Il va y avoir une enquête judiciaire et la section disciplinaire de l'établissement va mener sa propre enquête", explique encore le directeur qui paraît très ferme dans son propos.

"Nous devons voir si les faits sont avérés et quelle est leur ampleur. Le bizutage est interdit. Nous savons qu'il y a un temps d'intégration durant lequel il peut y avoir des abus. ça a été le cas en septembre 2020. Nous avons découvert des pratiques consistant à créer des faux comptes sur les réseaux sociaux pour déstabiliser les étudiants qui arrivent". 

 

J'accorde une grande crédibilité au témoignage de cette étudiante.

Olivier Brossard, directeur de l'IEP de Toulouse

Le directeur dit avoir immédiatement convoqué les membres du bureau des étudiants et les avoir obligés à démissionner. "Toute l'intégration a été annulée, mentionne-t-il. J'ai réagi très fermement. Mais là, les faits qui me sont relatés sont d'une toute autre gravité et j'accorde une grande crédibilité au témoignage de cette étudiante. Nous allons traiter cette affaire et protéger toutes les victimes. Nous sommes du côté des victimes", affirme Olivier Brossard, qui s'avoue secoué. Même s'il précise qu'une enquête doit être menée et les informations recoupées.

Des viols systémiques à Sciences Po ?

Juliette, elle, mentionne d'autres faits qui, une fois de plus, font apparaître le viol à Sciences Po comme systémique. "Il y a beaucoup de viols et d'agressions sexuelles lors des CRIT, ce sont des critériums sportifs inter-IEP qui ont lieu tous les ans sur 3 jours. Les femmes étudiantes y souffrent beaucoup".

"J'y suis allée la première année car on m'avait vendu ça comme un événement sympa. C'est en fait un lieu de prédation. On nous oblige à boire dès le matin, 7 heures. Il y a des supporters ultra qui se baladent nus, se battent. C'est très violent et il y a du harcèlement, des viols".

Les critériums sportifs inter IEP sur la sellette

"On est à peu près 1.000 au CRIT, on se sent perdues dans les soirées, les mecs viennent nous agresser. Le défi, c'est de coucher avec une fille de chaque IEP durant le week-end. On est toutes saoules. On ne peut pas parler de consentement. Tout le monde sait ce qui s'y passe. Les étudiants se lâchent. Il n'y a pas un IEP pour rattraper l'autre".

Le quotidien Libération a ainsi recueilli le témoignage d'une dizaine d’étudiantes de l’IEP de Bordeaux (Gironde) victimes d’agressions sexuelles ou de viols, le plus souvent lors de séjours académiques à l’étranger. 

"Si des filles se plaignent, poursuit l'étudiante, on leur dit qu'elles avaient trop bu. On nous dit qu'on n'est pas rigolote, qu'on est bien-pensante, qu'on va détruire le CRIT si on parle. Or survivre à ça comme réputation à Sciences Po, c'est impossible !".

"J'espère que c'est faux"

Le directeur vient d'apprendre ces faits de la bouche de Juliette. Il ne souhaite pas les mentionner mais dit quand même : "j'espère que c'est faux mais je commence à avoir de sérieux doutes et donc des inquiétudes (...), il faut qu'on agisse".

L'heure est grave pour tous les IEP manifestement. Juliette, elle, se sent soutenue par l'établissement. Elle sait qu'un long chemin l'attend avec le procès pour crime qui devrait se tenir si les faits sont étayés. "Les directions sont très stressées par l'image de Science Po mais j'espère que mon témoignage les poussera à agir. Je soutiens toutes les victimes. Mon seul regret, c'est qu'il n'y ait pas eu de prise de conscience plus tôt, que l'administration n'ait pas cherché à savoir".

 

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