À Toulouse, la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants tiendra une réunion publique ce mercredi 30 novembre 2022. Isabelle a été victime de son frère pendant son enfance et son adolescence. A visage couvert, elle revient sur son histoire.
Chaque année, le nombre d'enfants victimes de violences sexuelles est estimé à 160 000, que ce soit dans le cadre familial ou à l’extérieur. Isabelle, qui souhaite garder l'anonymat, revient sur son histoire.
"Il m’a enfermée jusqu’à ce que je dise oui"
Rompre le silence, en finir avec la peur quitte à bouleverser sa mère et ses sœurs. Mais derrière cette prise de parole, il y a l'espoir de protéger d’autres enfants victimes d'inceste. Après des années passées à se taire, elle ose enfin parler.
"J’avais besoin de dire "oui c’est arrivé, oui il m’est arrivé quelque chose, et non, je n’étais pas d’accord." Entre ses 5 et 7 ans, Isabelle a été victime d'inceste par son grand frère, plus vieux de 6 ans. "La première fois, j’étais enfermée dans une pièce, dans le noir, il y avait des araignées. Il voulait que je lui montre mon corps, que j’enlève mes vêtements. Je ne voulais pas mais il m’a enfermée jusqu’à ce que je dise oui, donc à ce moment-là je l’ai fait."
Puis les sévices sont de pire en pire. Les fois d’après, "ça se passait dans la chambre et il me demandait de lui faire des fellations". La peur revient, la même que la première fois. Mais cette fois encore, elle s'exécute, tétanisée.
Mécanisme de défense
La petite Isabelle a culpabilisé et s’est tue. Quand elle avait 13 ans, son frère, alors majeur, recommence. "Un soir il est venu dans ma chambre, il a commencé a me faire des attouchements. Mais ce jour-là, après être restée pétrifiée de peur, je suis sortie de la chambre et il n’y a plus jamais rien eu."
Et puis, plus rien. Son cerveau oublie ces évènements, sa mémoire les efface. "C’est quelque chose qui est tellement traumatisant que le cerveau efface ces données pour qu’on puisse continuer à avancer à ce moment-là".
Jusqu'au jour où tous les souvenirs reviennent la percuter de plein fouet. À l'âge de 30 ans, alors qu'elle était famille d'accueil, deux enfants dont elle s'occupait, qui avaient le même âge que son frère et elle à l'époque, vivent une situation similaire. "À ce moment-là, toutes les images sont revenues d’une façon violente. C’était envahissant, du matin jusqu’au soir je ne pensais qu’à ça. Jusqu’à prendre mon mari pour un agresseur", confie-t-elle.
Déposer plainte pour se reconstruire
Dépression, arrêt de travail, troubles de la mémoire et du langage, amènent Isabelle à suivre une thérapie avec un psychiatre et un psychologue. Aujourd'hui, elle a 43 ans et a déposé plainte contre son frère au printemps dernier. "Porter plainte, ce n’était pas une priorité, je ne pensais pas le faire. Jusqu’au moment où je me suis rendue compte que j’en avais besoin. J’ai ressenti un grand soulagement. Ça a été le point de départ de ma reconstruction."
Même s'il y a prescription, une enquête est toujours en cours d'instruction. "J’en ai jamais reparlé avec lui, mais j’aimerais qu’il reconnaisse ce qu’il a fait et s’excuser serait un plus", explique Isabelle.
Libérer la parole
La Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants a été créée le 23 janvier 2021, à la demande du président de la République. La Ciivise a deux objectifs majeurs. Le premier, connaître et faire connaître l’ampleur des violences sexuelles faites aux enfants et leurs mécanismes et y sensibiliser la société ainsi que les professionnels au contact des enfants.
Dans un second temps, formuler des recommandations pour renforcer la culture de la prévention et de la protection dans les politiques publiques. "En novembre prochain, la Ciivise fournira un rapport avec des préconisations au président de la République qui permettra de mieux repérer et accompagner les enfants victimes de violences", explique Laurent Boyer, membre de la commission.
La Ciivise est présente à Toulouse ce mercredi 30 novembre 2022 pour une réunion publique. L'objectif est de donner la possibilité aux victimes de violences sexuelles de témoigner. "Il s'agit d'une libération de la parole. Nous écoutons les témoignages pour relever les failles, tirer des leçons et des enseignements afin de proposer des préconisations pour que ça n'arrive plus."
Depuis le début de la création de la Ciivise, 18.000 témoignages ont été recueillis.