22% des salariés chez Airbus sont des femmes. Le fleuron de l'aéronautique peine à encourager le public féminin à travailler dans ce secteur. Les raisons de cette situation sont nombreuses. Marie, employée au sein de l'entreprise à Toulouse (Haute-Garonne) durant 33 ans, en a fait l'amère expérience entre tentative de viol, harcèlement moral et manque d'écoute de la direction. Elle nous raconte.
"Une jeune femme aujourd'hui, je ne lui recommanderais jamais d'aller travailler chez Airbus". A presque 60 ans, dont 33 dédié à ce que beaucoup considèrent comme le fleuron de l'aéronautique, Marie* ne s'est pas encore remise de son burn-out. En janvier 2023, elle ne voyait aucune autre solution que de négocier une rupture conventionnelle pour quitter l'entreprise. Sa passion pour l'aéronautique ne suffisait plus à la faire tenir face aux épreuves qu'elle a dû endurer. Cette rupture conventionnelle lui sera refusée. Elle n'aura pas d'autres choix que de démissionner. Rares sont ceux, employés chez l'avionneur européen, qui acceptent de parler de leurs conditions de travail.
La passion de l'aéronautique ...
Pour Marie*, travailler chez Airbus a toujours été une évidence. "Mon père était dans l'aérospatial donc j'ai baigné là-dedans. J'avais toujours les yeux en l'air et cette passion pour les avions". Très vite, elle rentre dans l'aéronautique navale, l'une des branches de la Marine nationale. Elle décrochera par la suite un CAP d'électromécanicien dans l'aéronautique, ce qui lui permettra d'intégrer le groupe toulousain en tant qu'acheteuse. "C'était un travail dans l'administratif, nous étions assez nombreuses dans ce service".
Car être une femme au sein de l'entreprise européenne est presque une exception. Ce constat, Marie* le vérifie, noir sur blanc, à la fin de sa carrière, lorsqu'elle intègre la commission d'égalité professionnelle du conseil d'entreprise d'Airbus, qui a pour objectif de féminiser les rangs de l'entreprise. Un seuil à 20% de femmes était fixé en 2016 : il atteint en 2022 à peine la barre des 22%. Airbus multiplie ainsi les initiatives pour remédier au problème en participant par exemple aux journées "Féminisons les métiers de l'aéronautique".
Côté salaire, la situation n'est pas meilleure. Elle se souvient qu'en 1990, "pour le même métier que mes collègues masculins, je touchais 20% de moins". Une situation pas forcément spécifique à Airbus et que l'on connaît encore de nos jours. En 2022, à temps de travail et postes équivalents, l'écart de salaire entre les hommes et les femmes est de 5,3%.
... malgré le pire
Quelques années plus tard, il lui arrivera ce qui, pour elle, "est resté un point noir dans son dossier" pour le restant de sa carrière. En 1995, Marie* est victime d'une tentative de viol par un responsable RH. Un acte que ce dernier assumera par la suite. "Je me suis plainte auprès du directeur du personnel". L'ancienne salariée dit avoir fait part de cet évènement au service des ressources humaines lorsqu'elle a négocié son départ. D'après elle, ce dernier n'était pas surpris d'entendre de tels actes commis par la personne concernée.
Il a été muté dans un secteur sans femme et a poursuivi une magnifique carrière pendant que moi, j'avais des difficultés pour avoir des augmentations.
Marie*, ancienne salariée chez Airbus à Toulouse
Deux ans plus tard, elle subira du harcèlement sexuel de la part de son supérieur, qui se transformera en harcèlement moral "car il était en colère après moi". Elle sera contrainte de changer de poste. Au cours de sa carrière, elle subira à deux reprises du harcèlement moral. La seconde fois en 2010, ce qui lui vaudra deux burn-out, et la troisième en 2014, où cette fois son supérieur "remettait en cause mes capacités et me dénigrait tout le temps. C'était juste un chef misogyne".
En 2019, dans son ouvrage intitulé "Le nouvel âge des femmes au travail", dans lequel elle étudie la politique salariale menée en faveur de l’égalité femmes-hommes au sein d'Airbus, la sociologue Nathalie Lapeyre constate : "Airbus présente une féminisation en sandwich : des femmes en haut et en bas de la hiérarchie, très peu aux niveaux intermédiaires. Le sexisme gangrène toujours l'ambiance de travail et les relations professionnelles demeurent érotisées."
Au travail, Marie y va la boule au ventre, avec des envies de vomir. Elle n'en dort plus la nuit. "Le boulot que j'occupais demandait de résoudre des problèmes tous les jours et dans la journée. Ma charge de travail était deux fois plus élevée que celle de mes collègues". Stressée au quotidien, c'est selon elle "la passion de l'aéronautique" qui l'aidait à avancer.
Fuir, coûte que coûte
A 50 ans, elle ne voit alors qu'une seule option pour se préserver : réclamer un congé sans solde "pour création d'entreprise" et se lancer pleinement dans son autre passion : la photographie. "Un congé sans solde ne peut pas m'être refusé et pourtant, ce même chef menaçait de m'en empêcher et a tout fait pour m'intimider : il disait qu'il allait téléphoner aux RH, qu'il avait monté tout un circuit en interne pour que je ne puisse pas y avoir droit". Malgré la pression exercée par son supérieur, elle a pu en bénéficier.
J'espérais ne jamais revenir
Marie*, salariée chez Airbus à Toulouse
A son retour, celle qui l'avait remplacée lui fait également part des "comportements inadéquats" qu'elle a pu vivre en son absence. "Il la dénigrait alors qu'ils étaient censés être amis depuis des années. Elle a eu des problèmes de santé à la fois physique, notamment de dos au point qu'elle a dû être alitée, et mental". Avec une autre collègue, elles déposent plainte pour harcèlement moral. "Lui a nié en bloc. En étant trois, on espérait avoir un dénouement correct mais comme il n'y avait pas de preuve de ce harcèlement moral, il y a eu un non lieu".
Marie* entre alors dans une rage folle "Airbus a créé un service pour que les plaintes de comportement racistes, homophobes, misogynes, etc. soient prises en compte et finalement y’a rien de fait". En 2022, soit 3 ans après cet épisode, elle apprend qu'elle n'aura aucune augmentation d'ici la fin de sa carrière. C'est la goutte d'eau qui fait déborder un vase déjà très rempli : elle quittera l'entreprise en janvier 2023
"Quitter l'aéronautique, ça a été un crève-coeur"
Si l'on peut s'attendre à ce que Marie* ressente aujourd'hui du dégoût vis-à-vis de cette entreprise à laquelle elle a dédié 33 ans de sa vie, elle évoque surtout de la tristesse : "Quitter l'aéronautique, ça a été un crève-cœur. Je suis triste que ça se termine comme ça"
Aujourd'hui, la Toulousaine s'est expatriée en Thaïlande, un projet mûri de longue date, pour travailler dans une agence de voyage. Si aujourd'hui travailler chez Airbus est un but pour de nombreux jeunes étudiants dans l'aéronautique, elle se réjouit qu'aucun de ses deux enfants, devenus ingénieurs, ne souhaitent intégrer la même entreprise qu'elle. "Ils ont bien compris en voyant mon stress et ma charge de travail qu'à Airbus, les salariés sont des ressources plus que des humains".
(*prénom d'emprunt)