Pour Pascal Marchand, directeur du Laboratoire d’Etudes et de Recherches Appliquées en Sciences Sociales, le verdict est sans appel « rien n’a changé depuis 10 ans dans les déclarations de politique générale ». Et la crise que nous traversons n’y aurait rien fait.
Passage obligé car inscrit dans l’article 49 de la Constitution, la déclaration de politique générale réserve rarement des surprises et emporte toujours le suffrage des députés par le biais des jeux de majorité parlementaire. Pascal Marchand souligne toutefois qu’on « s’attache toujours à les commenter et à les analyser scientifiquement ».
L’équipe du LERASS a donc eu à nouveau recours à Iramuteq, un logiciel libre d’analyse de données massives qu’il avait déjà utilisé notamment pour étudier le mouvement des Gilets Jaunes et le Grand Débat. « Les réponses que nous avons obtenues posent la question du statut de la parole politique note Pascal Marchand. Avant le roi décidait sans discours. La Révolution a installé une politique instaurée par la parole. Mais aujourd’hui, on a un vrai décalage entre l’action et la parole ».
La question de la parole politique
Démonstration avec ce travail d’analyse des chercheurs toulousains. Lorsque Emmanuel Macron accède à l’Elysée en 2017, il semble toutefois vouloir casser les codes de l’ancien monde. Il fait précéder le Discours de Politique Générale de son nouveau Premier Ministre d’une convocation du congrès à Versailles. L’analyse d’alors des chercheurs toulousains associaient ce discours présidentiel à une tonalité « gauche sociale-libérale des années 1980-1990 ».Le lendemain, Edouard Philippe, lui, « se plaçait dans la continuité des années 90 et plutôt à droite ». Les deux termes clés de ce discours de politique générale relevés alors par le LERASS sont « courage » et « confiance » comme une réponse à la « colère » des citoyens. De l’aveu même du Président ce 14 juillet, force est de constater que le message n’est pas passé auprès des français.
En juillet 2019, Edouard Philippe revient à l’Assemblée lancer l’acte 2 de la Présidence Macron. Toujours résolument à droite, il évoque déjà (ou encore ?) la transition écologique. La notion de « dépassement » est affirmée pour « appeler les uns et les autres, élus et citoyens, à accepter le programme défini par le Président et le Gouvernement, ainsi que les projets de loi en préparation ».
#DPG | Retrouvez l'intégralité de la déclaration de politique générale du Premier ministre @JeanCastex à l'@AssembleeNat. ⤵️https://t.co/SPaKqz7R32
— Gouvernement (@gouvernementFR) July 15, 2020
Hyper-présidence
Ce 15 juillet 2020 donc, une fois encore le nouveau Premier Ministre a dû attendre pour prononcer son Discours de Politique Générale que son président s’exprime « dans un rendez-vous médiatique symbolique du 14 juillet ». L’analyse de Pascal Marchand est sans appel : « l'hyper-présidence sarkozyenne s'accomplit dans la posture jupitérienne ».Mais alors que retenir de l’allocution de Jean Castex ? Pour le LERASS, son discours se rapproche sans nul doute de celui de ses prédécesseurs. Selon l’analyse des chercheurs toulousains, il puise dans un lexique identique à celui d’Edouard Philippe, Bernard Cazeneuve et Manuel Valls. « Et on notera, relève Pascal Marchand, que François Fillon et Jean-Marc Ayrault ne sont pas loin ».
C’est donc la continuité qui domine même si le contexte sanitaire et économique en imprime le vocabulaire : crise, territoire, relancer, plan, sanitaire, milliard, quotidien, écologique, ville, euro, rentrer, concret, vif. En revanche, certains mots utilisés couramment par les Premiers Ministres, sont justement, dans ce contexte, soigneusement évités : politique, monde, intérêt, effort, professionnel, pays, problème, international, salarié, national, solidarité, européen, négociation, besoin, commun, agriculture, français, liberté.
Le Premier Ministre a changé, le discours est le même
En conclusion, selon cette analyse, « il semble que le volontarisme économique l’ait emporté sur les valeurs que sont la solidarité et la liberté ». Pour Pascal Marchand, la crise que nous traversons n’a pas favorisé l’avènement d’un monde d’après. « Après la crise des Gilets Jaunes, après la crise du Covid-19, la tendance semble être au retour, le plus vite possible, au monde d'avant, et ce, "quoi qu'il en coûte" humainement et socialement. »
« On aurait pu s’attendre à une inflexion liée à la crise, mais non » s’étonne et se désole à la fois Pascal Marchand. Comme d’autres, le chercheur toulousain se demande jusqu’où ce phénomène peut-il aller. Une question plus que jamais prégnante après un taux d’abstention record aux élections municipales et une défiance grandissante des citoyens envers la politique et ses représentants.