Pas si simple d'être parent ou de le devenir... Alors que la maternité est encore perçue comme quelque chose d'extraordinaire, un lourd tabou pèse sur les femmes qui ne la vivent pas forcément comme ça, pas tous les jours, ou celles dont la grossesse est stoppée précocement. Mathilde Lemiesle, une auteure toulousaine, a recueilli des témoignages qui libèrent la parole sur le sujet.
Pas si simple d'être parent ou de le devenir... Alors que la maternité est encore perçue comme quelque chose d'extraordinaire, un lourd tabou pèse sur les femmes qui ne la vivent pas forcément comme ça, pas tous les jours, ou celles dont la grossesse est stoppée précocément. Mathilde Lemiesle, une auteure toulousaine, a recueilli des témoignages courts, uniques, divers et universels dans une BD "Grossesses plurielles" qui contribue à libérer la parole.
France 3 : Pourquoi une BD sur la ou plutôt les grossesses ?
Mathilde Lemiesle : j'avais commencé avec mon compte Instagram à recueillir des témoignages sous le titre @mespresquesriens. C'était surtout autour de la fausse couche. Les gens étaient toujours très réceptifs à ces histoires et je me suis dit : pourquoi ne pas ouvrir le sujet au désir d'enfant et à toute la grossesse.
Je trouve que les témoignages sont un bon moyen de rassembler les gens parce que ça parle de la vie d'une personne mais ça parle énormément aux autres aussi, ça a quelque chose d'universel. J'aime cette manière de raconter les choses.
On a recueilli des témoignages par Instagram et on a aussi avec mon éditrice, déposé des questionnaires en ligne sur des forums qu'on avait envoyés à tout notre entourage. On a reçu comme ça environ 200 témoignages. Parfois longs, parfois courts. On a fait un tri pour sélectionner les plus pertinents à nos yeux. On a essayé d'aller vers les plus emblématiques même si on voulait garder ce côté singulier de ce que chacun ressent à sa manière, unique.
France 3 : Justement, c'est à la fois original et percutant ces témoignages qui parlent parfois de situations similaires mais vécues très différemment, qui lève des tabous...
Mathilde Lemiesle : il y a plein de manières de vivre la grossesse et c'est ce qu'on a voulu montrer. Et puis ce n'est pas si évident. Déjà vouloir un enfant, ne pas en vouloir, y arriver, que ça fonctionne, et puis quand on est enceinte, on peut ne pas aimer ça, ça peut ne pas bien se dérouler, il y a plein de choses qui peuvent se passer...
J'avais envie de sortir de l'image idyllique qu'on nous donne de la femme enceinte et de l'image d'une espèce de facilité, d'une évidence. Or pour moi, ça n'est pas du tout le cas. Même quand on met du temps à tomber enceinte, ce n'est pas forcément une évidence d'aimer ça. J'ai des amies qui ont mis des années à tomber enceinte et quand elles l'ont été, ont détesté ça par exemple alors qu'elles ne s'y attendaient pas du tout.
Il y a plein de réalités différentes et passer par des témoignages nous permettait d'entrer dans cette diversité des vécus.
France 3 : Pourquoi c'était important pour vous d'aller au-delà du cliché "un enfant c'est forcément merveilleux" ?
Mathilde Lemiesle : parce que quand on a un enfant et que ce n'est pas merveilleux, on se dit que ça n'est pas normal, qu'on fait mal les choses. Du coup, on vit mal sa maternité alors que c'est normal de temps en temps d'en avoir marre, de ne pas être à la hauteur, de ne pas supporter être enceinte, d'avoir envie de ne pas être avec son enfant tous les jours...
Je pense que ce sont des sentiments qui sont complètement normaux et s'ils ne sont pas dits, si ils sont tus, ils deviennent tabou. On a peur d'être jugé, on se juge soi-même alors qu'on est plein à ressentir ces émotions-là. Je trouve que pour ces raisons-là, il faut le dire.
France 3 : Parce que c'est un poids de plus pour les femmes ?
Mathilde Lemiesle : Oui, c'est le plus souvent sur la mère et sur la femme que porte la culpabilité de tomber enceinte, de ne pas l'être, le poids de la grossesse, le poids du tout petit bébé... En parler, c'est beaucoup plus sain.
Une question qui est revenue souvent, c'est l'ambivalence par rapport à la grossesse. On peut aimer et détester en même temps. On peut passer du temps avec son enfant mais au bout d'un moment, ne plus en pouvoir. Je trouve qu'on est très souvent balancé entre deux sentiments contradictoires, ça peut être la peur et l'extase, l'excitation et le ras-le-bol intégral...
C'est quelque chose que j'ai retrouvé souvent dans les témoignages que j'ai recueillis. Rien n'est tout noir ou tout blanc. Ce sont des émotions complexes. Ce sont des questions qui commencent à être étudiées, la question du post-partum par exemple, la question de la PMA, comment c'est vécu ?
Avant on était dans une culpabilité de ne pas bien faire, de ne pas vivre et ressentir ce qu'on aurait dû. Or j'ai l'impression que c'est en train de changer. En bien. C'est important pour la mère, pour l'enfant, pour le couple, pour tout le monde. Pour la société aussi parce que des parents en bonne santé, ça fait des enfants en bonne santé et une société qui est en bonne santé.
France 3 : Vous rappelez face à certains témoignages, des notions très importantes sur la violence que peuvent subir les femmes...
Mathilde Lemiesle : J'ai essayé de rappeler tout ce qui est violences gynécologiques. La grossesse, c'est souvent le moment où on est dépossédé de son corps par la médecine, l'entourage aussi, par le fait de toucher le ventre des femmes, par le fait que tout le monde a un avis à donner du genre : ton ventre est pointu, pas pointu, il est haut, il est bas, tu vomis, tu vomis pas, etc. Tout le monde a un avis. Je trouve que c'est important de replacer la femme et le corps de la femme au centre de la grossesse.
Et du coup, on évoque aussi la question du couple. C'était important de mettre des "warnings" sur ce qui est normal et ce qui ne l'est pas. J'aborde la question du viol conjugal, de dire là ici, si ça vous arrive, il faut réagir... Enfin ce n'est pas évident de réagir mais au moins de savoir que ça n'est pas acceptable. Tout comme se faire renvoyer de son travail alors qu'on est enceinte.
Ce sont des choses qui ne sont pas légales et on peut être protégé de ça. C'était important de le dire.
France 3 : J'ai trouvé ce livre "amical"...
Mathilde Lemiesle : c'est réussi alors (rires). Je voulais qu'il soit doux, que ce soit comme une conversation qu'on peut avoir avec une amie, qu'on se pose et qu'on puisse parler ensemble de comment on a vécu les choses. Je voulais que ça reste de l'ordre du partage d'informations comme on peut en avoir en confiance avec des proches.
Parce qu'on est exposé aux commentaires plus ou moins bienveillants des personnes autour. Certaines devraient vraiment réfléchir avant de parler. Vu que ce sont des sujets qui ne sont pas forcément parlés, on peut facilement avoir honte de ressentir ce qu'on peut ressentir.
Mes fausses couches, je n'en ai pas forcément parlé autour de moi. J'étais très très seule. Maintenant, je ne le vivrais pas de la même manière parce que j'ai lu et vu beaucoup de témoignages, chose que je n'ai pas faite au moment où je les ai vécues. Ces choses-là, ça vous tombe dessus. On n'est pas forcément préparé à ce que c'est qu'être enceinte, ce que c'est qu'un accouchement, ce que c'est d'allaiter, ce que c'est de faire une fausse couche... Ce n'est pas évident de partager avec les autres.
Si on nous dit que si on laisse téter son enfant quand il le souhaite, ça va faire de lui un être dépendant qui va se droguer par exemple, ça nous met dans une position d'infériorité, de culpabilité. Donc après, raconter ça à quelqu'un d'autre, ce n’est pas forcément facile.
France 3 : C'est ce qui est très intéressant dans votre livre, il lève ce carcan qui empoisonne les mères. Il existe encore une culpabilisation de la société sur ces sujets selon vous ?
Mathilde Lemiesle : Oui, il y a une culpabilisation à ne pas vouloir d'enfant, à ne pas réussir à en avoir et puis quand on en a, ne pas s'en occuper bien. J'ai l'impression que la culpabilité est partout parce qu'on est soit trop quelque chose, soit pas assez. Soit on allaite, soit on choisit de ne pas allaiter, dans tous les cas, on est culpabilisé. Soit on choisit la péridurale, soit on choisit de ne pas la prendre et on est culpabilisé des deux côtés.
J'ai l'impression que quoiqu'on fasse, ce n'est jamais assez bien, ce n'est jamais comme il faut. C'est usant. Du coup je trouve ça très bien d'avoir des livres qui parlent de ça en ouvrant, en disant que tout est bien. Il n'y a rien de pas bien. Il y a une pluralité de solutions.
Ce n'est pas toujours facile de trouver sa place. C'est pour ça que je voulais parler de toutes les grossesses. Je voulais qu'on évoque le fait que parfois ça se passent mal aussi. Je voulais qu'on ne soit pas dans "le monde de Oui-Oui de la grossesse" avec les petits maux rigolos : on vomit, on est enceinte, on mange des choses bizarres...
France 3 : Parfois ça se passe mal...
Mathilde Lemiesle : Oui parfois ça se passe même très très mal. Et pour moi, c'était important de le dire et que ce soit entendu par tout le monde. Et de faire savoir que ça peut arriver à n'importe qui. Et quand ça arrive, la plupart du temps, on n'a jamais vu ni entendu ce genre d'histoires donc on est désemparé.
C'était important pour moi de voir des témoignages de celles à qui c'est arrivé, qu'on reconnaisse que la grossesse, c'est ça aussi. J'avais envie de parler de la fausse couche, des morts fœtales, de l'avortement... De parler de toutes les grossesses, le plus possible.
Après la fausse couche, je ne trouvais aucun récit qui corresponde à ce que je vivais. Je n'arrivais plus à regarder un film où il y avait une femme enceinte. Ça se passait toujours bien, il y avait un bébé à la fin et moi je ne me reconnaissais pas du tout là-dedans. Ce qui m'a le plus gênée, c'est le fait d'être seule, de ne pas trouver de femmes qui vivaient la même chose que moi. C'est récent la facilité qu'on a d'en parler. En 5-6 ans, ça a beaucoup changé pour le post-partum aussi, les dépressions, les suicides aussi.
C'est très important que les femmes qui vivent ce genre de choses puissent se reconnaître et mettre des mots aussi sur ce qu'elles vivent. Ça peut ouvrir une porte face à la détresse que certaines femmes peuvent ressentir.