A Toulouse, une jeune femme a été placée en garde à vue pendant plusieurs heures pour avoir mis une banderole "Macronavirus, à quand la fin ?" sur sa maison. Associations, Ligue des droits de l'homme, partis poilitiques ou syndicats dénoncent ce vendredi une "police politique".
C'est une manifestation silencieuse qui n'est visiblement pas du goût de tout le monde. A Toulouse, une jeune femme a été placée en garde à vue pour outrage au chef de l'Etat. On lui reproche d'avoir placé sur sa maison une banderole où était écrit "Macronavirus, à quand la fin ?"
Une banderole pour interroger les passants
Avec ses six colocataires, Raphaëlle (prénom d'emprunt) voulait "dénoncer et questionner la population sur la gestion de la crise sanitaire due au Covid-19". Alors, il y a environ un mois, ils ont affiché une banderole sur le mur extérieur de leur maison, dans le quartier de la Roseraie à Toulouse. "Macronavirus, à quand la fin ?" interroge le drap tendu.Quelques jours plus tard, une commerçante installée en face de chez eux leur signale avoir été interrogée par la police à leur sujet. Sont-ils des squatteurs ? Des "gilets jaunes" ? A partir de là, ils notent le passage régulier de voitures de police devant chez eux.Jusqu'au 21 avril 2020, où une patrouille de 5 policiers se présente à leur domicile. "Ils nous ont fait signe de sortir de chez nous et nous ont indiqué que notre banderole constituait une infraction" témoigne Raphaëlle. "Ils nous ont dit que c'était un message offensant envers le chef de l'Etat et nous ont demandé de retirer la banderole, ce qu'on a fait." Ensuite, poursuit-elle, "les policiers ont exigé que l'un d'entre nous au moins donne son identité, ils ont dit qu'il n'y aurait pas de suite, que c'était simplement la procédure après une intervention policière. J'ai donné la mienne et ils sont repartis."
Une convocation au commissariat central
Pour revenir le lendemain, avec une capitaine de police. "Là, on a refusé de sortir, alors les policiers sont rentrés dans notre jardin" explique Raphaëlle. La jeune femme se voit alors remettre une convocation pour audition l'après-midi même, au commissariat central. Elle parvient à décaler le rendez-vous au lendemain matin et contacte une avocate.Lorsqu'elle se présente au commissariat à 11h00, le 23 avril 2020, la jeune femme apprend qu'elle est en garde à vue. "La capitaine m'a directement notifié que j'étais placée en garde à vue pour outrage au chef de l'Etat et on m'a immédiatement placée dans une cellule." Elle y restera 2 heures, avant de voir son avocate et d'être interrogée. "J'ai vraiment été interpellée par les conditions d'hygiène, en pleine crise sanitaire" dit-elle ce vendredi. "Les distances ne sont pas respectées, il n'y a pas de gants, pas de masques, pas de savon, pas de gel hydroalcoolique, une couverture pas nettoyée sur le matelas..."
Raphaëlle est interrogée sur l'affichage, ses opinions politiques, l'identité de ses colocataires. Et on lui signifie qu'eux aussi vont être convoqués. Elle est finalement relâchée. Sa garde à vue aura duré 4 heures. Et aura fait d'elle une citoyenne en colère.
Je suis scandalisée et écoeurée. Je voudrais juste pouvoir exercer mon droit à la liberté d'expression, surtout quand on n'a pas le droit de manifester à cause du confinement. Je suis en colère contre le système.
Une procédure disproportionnée
Pour l'avocate de la jeune femme, Claire Dujardin, "cette garde à vue est totalement disproportionnée. Elle a donné spontanément son identité, s'est présentée spontanément au commisssariat, elle aurait très bien pu être entendue en audition libre. Là, on l'a placée sous la contrainte et elle est restée 4 heures."
C'est un abus de procédure. On détourne la procédure pour faire du renseignement". Claire Dujardin
Une action policière disproportionnée et un délit qui n'est pas caractérisé pour l'avocate. "Ce n'est pas un outrage. C'est une banderole à caractère politique sur la façade d'une maison. Ce n'est que de la liberté d'expression, d'autant que la banderole reprend un terme publié en Une de Charlie Hebdo en janvier 2020. L'outrage ce n'est pas ça. On exprime seulement une opinion politique". Et l'avocate de rappeler qu'en France, il n'existe plus de délit d'offense au chef de l'Etat. Il a en effet été abrogé après plusieurs condamnations de la France, notamment celle de la Cour européenne des droits de l'Homme dans l'affaire de l'affichette "Casse toi pov'con" brandie à l'intention de Nicolas Sarkozy lors d'une visite à Laval en 2008.
Emoi unanime
Ce vendredi, de nombreuses voix s'élèvent à Toulouse pour dénoncer "ces méthodes d'intimidation". Dans un communiqué commun, la CGT 31, la FSU 31, Solidaires 31, l'Union des Etudiants Toulousains, le CNT 31, Act Up Sud Ouest, ATTAC, Copernic 31, la Ligue de droits de l’homme, le Parti de Gauche 31, Ensemble 31, GDS 31, le NPA 31, LO 31, La France Insoumise 31, le PCF 31et EELV Toulouse dénoncent d'une seule voix "un cas grave de remise en cause de la liberté d’expression comme du droit à critiquer le pouvoir, y compris par la caricature".Ils rappellent que le 29 janvier dernier, Charlie hebdo avait fait sa Une avec une caricature d'Emmanuel Macron ayant pour légende "Macronavirus". Et s'interrogent : "Nous sommes dans cette affaire confrontés à un cas grave de remise en cause de la liberté d’expression comme du droit à critiquer le pouvoir, y compris par la caricature. Et pour faire respecter cela, serions-nous face à la mise en place d’une police politique qui viendra jusque dans nos logements pour nous faire retirer nos panneaux des balcons ?"
Les signataires soulignent que "depuis le début du confinement des milliers de personnes accrochent banderoles et pancartes à leurs fenêtres pour dire ce qu’elles pensent de la gestion de la crise sanitaire par le gouvernement. C’est l’un des rares moyens que nous avons pour exprimer nos revendications, le droit de manifestation ayant été suspendu dans le cadre du confinement."Nous, organisations progressistes et démocratiques toulousaines, appelons à ce que ces pratiques répressives cessent immédiatement et soient condamnées par le gouvernement ou ses représentants. Le dossier doit être refermé sans aucune poursuite.
Une enquête en cours
Joint par France 3 Occitanie, le procureur de la République de Toulouse, Dominique Alzéari, confirme qu'une enquête a été ouverte pour outrage à personne dépositaire de l’autorité publique et confiée à la direction départementale de la sécurité publique (DDSP). "Les investigations vont se poursuivre" avec des auditions et des éléments de police technique indique-t-il, tout en précisant qu'il n'y a "pas de poursuites engagées contre quiconque à ce stade, puisque l’enquête est en cours".De son côté, Raphaëlle s'interroge sur tous les moyens mis en oeuvre dans cette affaire. "Mobiliser autant de personnes, plusieurs équipages de police, la capitaine qui se déplace en personne, pour une simple banderole sur une maison, ça paraît fou !" dit-elle. "J'aurais pensé qu'on avait plus besoin des policiers ailleurs, surtout en cette période de confinement."
On peut s'étonner en effet, de ce "déploiement" de forces pour une simple banderole. Jean-Luc Moudenc, maire de Toulouse, qui réclame régulièrement des moyens policiers supplémentaires pour la ville rose appréciera sans doute...