Des travailleurs sociaux manifestaient ce lundi 17 janvier devant le conseil départemental de Haute-Garonne. Une cinquantaine de salariés veulent alerter sur l’impossibilité d’exercer correctement leurs missions auprès d’un public en grande difficulté.
Ils ont choisi d’aider les autres, ceux qui sont en difficulté. Des enfants maltraités, des personnes âgées seules, des handicapés… Aujourd’hui, les travailleurs sociaux n’y arrivent plus. Ce métier difficile qui les passionne devient une souffrance. Le manque de moyens généralisé, la crise du Covid, la situation est préoccupante. Pour les éducateurs mais aussi et surtout pour ceux qu’ils sont censés aider.
Des alertes ont déjà été lancées ces dernières semaines. Des grèves ont eu lieu dans les Maisons des Solidarités notamment. En vain. Rien ne s’améliore. Alors ce lundi 17 janvier 2022, une cinquantaine de salariés manifestaient devant leur administration, le conseil départemental de Haute-Garonne. Une cinquantaine de personnes seulement était présente alors que l’action sociale compte près de 1 000 salariés sur l’ensemble du département. Mais le Covid, le télétravail, la lassitude face aux difficultés en a découragé plus d’un, selon une syndicaliste.
Un plan d'urgence réclamé par les syndicats
"Les gens s’épuisent, ils craquent" dit Nadine Gout, assistante sociale et représentante du syndicat Sud. "Les élus du Département disent qu’ils ont du mal à recruter, mais le problème c’est l’attractivité. Beaucoup de recrues sont parties tellement les conditions de travail sont difficiles", dit Nadine Gout.
"On demande un plan d’urgence, des recrutements massifs pour faire face à la demande croissante en cette période de crise".
Car la crise est toujours là. Il y a encore des violences conjugales et des situations préoccupantes, urgentes. A Toulouse, pour les enfants en danger, il y aurait une cinquantaine de dossiers toujours pas évalués faute de moyens selon la syndicaliste.
C’est compliqué de se retrouver à mal faire et en plus de se dire que l’on rajoute au mal être d’un enfant.
Une référente de l'Aide Sociale à l'Enfance
"Il faut recruter des médiateurs numériques pour aider les familles à faire valoir leurs droits. Il faut remplacer tous les absents pour éviter que les collègues s’épuisent à leur tour. Il faut diminuer les portefeuilles".
Les portefeuilles, ce sont les dossiers traités par les éducateurs. Une trentaine pour Julie, 47 ans, qui travaille dans une Maison des Solidarités de la région toulousaine. Alors que la limite avait été fixée à 25 dossiers par éducateurs, explique-t-elle. La charge est de plus en lourde pour ces référentes de l'Aide Sociale à l'Enfance (ASE).
"Il y a tellement de travail et tellement peu de moyens".
"Le problème, dit sa collègue qui préfère garder l’anonymat, c’est le poids de la responsabilité. On est l’interface entre la famille, les partenaires et le juge. Et on ne peut plus exercer notre métier correctement. On ne part plus d’un projet pour un enfant, on cherche juste où on va pouvoir le placer. On galère à trouver des familles d’accueil. On n’est plus dans la bientraitance. Je me dis souvent 'je fais mal un peu partout'. Parfois, chez soi, on y pense. On pleure. On ne se nourrit plus ou au contraire on se nourrit trop. C’est compliqué de se retrouver à mal faire et en plus de se dire que l’on rajoute au mal être d’un enfant".
La défenseure des droits appelée à l'aide
Le 11 janvier, les syndicats ont été reçus par les élus en charge de l’action sociale au Département, mais aucune solution ne semble se faire jour.
Le 21 décembre dernier, le directeur général des services du conseil départemental a écrit au juge des enfants pour faire part des difficultés dans le domaine de l’ASE (Aide Sociale à l’Enfance). "La présence du service de l’ASE aux audiences constitue la colonne vertébrale de nos interventions mais le département est aujourd’hui encore contraint de maintenir Ia priorisation des actes des professionnels. Ainsi et jusqu’au 30 avril prochain, l’intervention de nos services pourra sur certains secteurs être plus limitée que nous ne le souhaiterions", est-il écrit dans ce courrier.
Le 12 janvier, les organisations syndicales ont tenté de faire valoir leur droit de retrait mais la demande collective n’a pas été validée. Le 14 janvier, les syndicats (Sud, CGT, Fo, CFDT et Unsa) ont écrit à la défenseure des droits pour exprimer leurs inquiétudes et demander des solutions.
"La protection de l'enfance en Haute Garonne subit ces dernières années une crise profonde en raison du défaut criant de moyens et d'une politique globale de réorganisations en mode dégradé et sous dimensionnées. Ce contexte oppressant soumet les professionnel·les à des demandes centrées essentiellement sur l'urgence, le chiffre et la gestion comptable", écrivent les syndicats. "En tant que défenseure des droits, vous êtes désignée pour veiller au respect des droits de l'enfant, en cela nous vous demandons une mise en demeure du conseil départemental afin que cette situation cesse et que chaque mineur·e en danger ou en risque de danger bénéficie d'une prise en charge immédiate, adaptée à sa situation", concluent les organisations syndicales.
L'aide sociale, un budget important mais des difficultés de plus en plus importantes avec la crise
Sollicité par France 3 Occitanie, le conseil départemental de Haute-Garonne dit entendre "les difficultés soulevées par les agents du secteur social, qui œuvrent au quotidien pour répondre aux besoins des plus fragiles. Depuis deux ans, ils sont en première ligne face à la montée de la précarisation engendrée par la crise sanitaire". La collectivité rappelle que la solidarité est sa mission première et qu'elle y consacre un budget de plus de 875 millions d'euros en 2021 (en hausse de 5,21 % par rapport à 2020). C'est l'équivalent de près de 50% des dépenses totales du Département.
Concernant l’Aide sociale à l’enfance (ASE), le conseil départemental précise qu'il est "lui aussi, comme les autres Départements, confronté à des difficultés de recrutement et de fidélisation de travailleurs sociaux". Une situation qui est, selon la collectivité, "une conséquence du Ségur de la Santé sur la revalorisation des salaires qui n’a toujours pas reconnu les travailleurs sociaux comme faisant partie des personnels prioritaires". Le problème vient aussi, reconnait le Département de Haute-Garonne, des "contraintes professionnelles fortes pesant sur ces professions qui doivent faire face à des situations sociales de plus en plus complexes avec la crise". Mais, il rappelle là encore, les moyens déjà mis en oeuvre : depuis 2020, 675 nouvelles places d'accueil pour les enfants relevant de l'ASE et 242 places supplémentaires prévues pour 2022. Entre 2015 et 2020, le budget de l'Aide Sociale à l'Enfance a augmenté de 63,5%.
Enfin, le conseil départemental indique que le "dialogue social engagé avec les agents départementaux et leurs représentants syndicaux est permanent", qu'il "met tout en oeuvre pour trouver des solutions permettant de maintenir les accompagnements nécessaires auprès des familles" et pour "trouver de nouvelles modalités de recrutement, plus souples et plus rapides, afin de répondre au mieux, aux situations les plus urgentes".