De nombreux juristes de l'Université Toulouse 1 Capitole ne veulent pas du projet de l'Université "unique" de Toulouse. Ces enseignants soulignent l'absence de consensus autour d'un projet qui, pour eux, les réduirait à "partie congrue."
C'est un feuilleton sans fin, flirtant souvent avec le "comique de répétition". Depuis maintenant 10 ans, les établissements de l'enseignement supérieur de Toulouse (Haute-Garonne) tentent, vainement, de trouver un terrain d'entente afin de répondre et d'exister sur la scène internationale. Mais à chaque fois, les mêmes problèmes ressurgissent : concurrences, jalousies, jeux de pouvoir, égos, volonté d'indépendance. Depuis une dizaine de jours, de nouvelles oppositions fragilisant le projet d'Université "unique" de Toulouse, constituent le dernier épisode en date de cette série à rebondissements.
La "bombe" de l'autonomie de Toulouse School of Economics
"Nous n’avons pas eu véritablement le choix, explique Corinne Mascala, ancienne présidente d'UT1 et la seule à accepter de parler à "visage découvert" pour cet article. Ce qui est en train de se passer sur le site toulousain est la conséquence de la reconnaissance de Toulouse School of Economics (TSE) comme établissement autonome. C’est parti de là. Du fait que TSE obtienne le statut de grand établissement et son autonomie. Cela a eu l'effet d'une bombe. Ce qui va avoir comme conséquence, d’amputer UT1 d’une partie majeure de son champ disciplinaire, l’économie."
Les réactions sont vives au sein de la plus ancienne université toulousaine qui s'interroge sur son devenir. Le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche propose alors à UT1 d'obtenir le statut d'Établissement public expérimental (EPE). "Une grande opportunité" selon le président de Toulouse 1 Capitole, Hugues Kenfack."
La chance de continuer à exister et de conserver son autonomie. "Avec l'Université "unique" de Toulouse (où université fédérale expérimentale) nous avons la crainte de passer derrière les sciences dures, estime un enseignant de la faculté de droit. Nous ne voulons pas qu'UT1 soit réduit à une portion congrue. Il faut que tout le monde puisse s'y retrouver."
Les juristes toulousains pensent avoir une carte à jouer en conservant la main sur leurs doctorats, sur la signature de leurs publications scientifiques et leur apparition en nom propre dans les classements internationaux. UT1 refuse d'aligner ses nouveaux statuts sur ceux du projet de l'Université de Toulouse, regroupant l'ensemble des établissements toulousains sur une seule et unique "marque".
L'implication du politique
Cette volonté d'indépendance est d'autant plus forte au sein de la faculté de droit de Toulouse que le politique, national et local, s'est invité dans le dossier. Pour un professeur de droit "l’Etat a été ambigu depuis le début. Il a poussé au maximum la création d’une université unique, mais elle ne peut pas l’imposer. On ne prend pas en compte l’absence de consensus qu’il y a sur le site toulousain. Les politiques locaux se mêlent directement des questions universitaires jusque dans la gouvernance, cela pose d’énormes difficultés."
En avril dernier, France Universités avait d'ailleurs exprimé ses inquiétudes face à ce qu'elle estimait être une attaque de l'autonomie des universités françaises.
"Nos financements dépendent de l'Etat qui a donc directement la main sur nous, constate Corinne Mascala. Le politique en faisant le choix d'accorder un statut à TSE et en essayant de compenser ce choix est venu compliquer encore plus les choses. C’est de pire en pire. Il y a des difficultés de fond, comme la signature et le doctorat, mais désormais il y a des difficultés liées à la structure juridique des établissements. Je ne sais pas comment on peut articuler tout ça."
Le projet Tiris en danger
Selon notre professeur agrégé des facultés de droit, les opposants au site unique feront tout ce qu'ils pourront "pour ne pas se voir imposer quelque chose" qu'ils "ne veulent pas."
Jusqu'à faire échouer le projet de l'Université "unique" de Toulouse ? "Il va y avoir de gros soucis" reconnaît Corinne Mascala. Notamment concernant l'autre face du site unique : le projet Tiris (Toulouse Initiative for Research Impact on Society ) lauréat de l’AAP ExcellenceS, un label doté d’un montant total de 800 millions d’euros pour accompagner les établissements d’enseignement supérieur et de recherche porteurs d’un projet de transformation ambitieux. Face à cette situation, l'argent du label ou tout simplement son attribution, annoncée pour mercredi 6 juillet, pourrait être remis en cause.
"Tout le monde joue à un jeu de poker menteur, analyse un interlocuteur. Il y a ce qui est dit et ce qui est fait." De nombreux partisans espèrent que cette partie n'aboutisse au final à une défaite pour l'ensemble des acteurs de ce dossier.