Toulouse : le chef d’œuvre du Musée de Cluny "La Dame à la Licorne" bientôt exposé au musée des Abattoirs

A titre exceptionnel, "La Dame à la Licorne" du musée de Cluny à Paris, sera présentée le 30 octobre prochain aux Abattoirs à Toulouse. C’est une première en France, cet ensemble de tapisseries de la fin du 15ème siècle est certainement la tenture la plus fascinante et la plus mystérieuse au monde.

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"C’est un chef d’œuvre, une icône, l’équivalent de la Joconde du Louvre", explique Séverine Lepape, directrice du musée de Cluny à Paris, le musée national de Moyen Age. "La Dame à la Licorne", est un ensemble de tapisseries de la fin du 15ème siècle. C’est la première fois que cette tenture est exposée dans un autre musée en France. Un prêt exceptionnel.

Nous ne la prêtons jamais, c’est parce que nous sommes en travaux que nous la prêtons et d’ailleurs quand elle sera revenue nous ne la prêterons plus, il faudra un très très gros accord politique pour que nous acceptions!

Séverine Lepape, directrice du musée de Cluny à Paris.

Mais "La Dame à la Licorne", connait déjà Toulouse, c’est en effet dans la ville rose qu’elle avait trouvé refuge, mise à l’abri des bombardements durant la première guerre mondiale au couvent des Jacobins.

"Elle a fait partie d’envois au même titre que les envois du musée du Louvre dans la partie sud de la France et notamment à Toulouse pour mettre à l’abri des collections importantes. Nous avons des documents, des photos et des peintures notamment d’un ancien conservateur du Louvre, Paul Jamot, qui montre un certain nombre de caisses appartenant au musée du Louvre, et on sait que La Dame à la Licorne s’y trouvait également pendant la première guerre mondiale dans le couvent des Jacobins", explique la directrice du musée.

"La Dame à la Licorne", chef d’œuvre du Moyen Age

Dans le monde, il existe très peu de tentures conservées dans un format aussi ambitieux, "La Dame de la Licorne" en fait partie, "c’est un chef d’œuvre de cet art, car les 6 panneaux sont dans un état extraordinaire et le sujet iconographique est unique", précise Séverine Lepape.

Cet ensemble de tapisseries a été retrouvé au château de Boussac dans la Creuse, où elles étaient exposées dans le bureau du sous-préfet. C'est Georges Sand, native du Berry voisin, en 1835, qui sera la première à en parler.

Auparavant, elle a appartenu à différents grandes familles, les derniers étant les Rihlac au 18ème siècle. Le château a été vendu à la municipalité, il est devenu par la suite le siège de la sous-préfecture de l’arrondissement. "Les tapisseries sont restées, elles ont orné le bureau du sous-préfet et c’est Prosper Mérimée (...) qui en visite dans la région en 1842, les fera classer au titre de monuments historiques. 40 ans plus tard en 1882, le musée de Cluny arrive à réunir les fonds et se porte acquéreur de ce trésor", raconte la directrice du musée de Cluny.

Fascinante "Dame à la Licorne"

Réalisée entre 1484 et 1500, c’est la tenture la plus fascinante et la plus mystérieuse au monde. Découverte en 1841, elle a fait son entrée au musée de Cluny en 1882, le musée national du Moyen Age à Paris. "La Dame à la Licorne", fascine et renferme toujours une part de mystère. C’est l’une des plus belles réalisations du Moyen Age, une œuvre historique fondatrice du respect de la nature et de la représentation féminine.

La Dame à la Licorne est une tenture composée d’un ensemble de 6 pièces, 6 tapisseries de grandes dimensions, chacune fait plus de 3 mètres de hauteur sur 2,9 à 4,7 mètres de largeur.
Sur chacune, on peut voir une sorte d’île sur laquelle sont représentées une dame, une suivante, un lion et une licorne, le tout dans un décor de jardin sur un fond de mille fleurs.

Elle représente les cinq sens et le panneau sur lequel est inscrit "A mon seul désir" évoque sans doute le 6ème sens, plus spirituel, celui du cœur et de l’esprit.

"A mon seul désir", phrase énigmatique

C’est seulement en 1921 que cinq des six pièces sont identifiées comme étant la représentation des cinq sens. Si on balaye l’ensemble de la tenture de gauche à droite, on peut y lire le toucher, le goût, l’odorat, l’ouïe et enfin la vue. La sixième pièce est la seule qui comporte une inscription, "A mon seul désir", une phrase énigmatique qui a donné son titre à l’œuvre mais qui brouille les pistes sur le sens a donner à l’œuvre.

Elle renferme toujours une part de mystère même si des hypothèses ont été avancées par des historiens. Au début du 21ème siècle, Henri Boudet et Antoine Glaenzer expliquent que les panneaux de tapisserie suivaient la hiérarchie médiévale des cinq sens, des plus matériels, le touché et le goût au plus spirituel l’odorat, l’ouïe et la vue. Au sommet de cette lecture, on découvre le sixième sens, celui de l’esprit. La main de la Dame est tendue vers son coffret à bijoux, un geste qui symbolise l’abandon des biens matériels et parvenir "A mon seul désir". Ce sixième sens prendrait alors le pas sur les cinq autres mais rien n’est certain.

Mystère toujours

"La Dame à la Licorne", n’a pas révélé tous ses secrets et fascine toujours autant. Comme la Joconde de Léonard de Vinci au Louvre, l’œuvre a sa part de mystère et laisse toute la place à l’imaginaire de chacun selon l’objet de son désir. L’envie peut-être, de plonger dans ce décor floral, apaisant, pour  ressentir cet état de spiritualité qui semble enivrer de tout son être "La Dame à la Licorne".

Un moment de spiritualité où la présence de la Licorne par sa symbolique crée une ambiguïté, un paradoxe. La licorne au Moyen Age est un animal ambivalent, sauvage, il a une image plutôt négative mais sur la tapisserie sa couleur blanche symbolise la pureté. Selon les légendes de cette époque, il fallait placer une jeune fille pure et vierge dans la forêt pour faire venir une licorne qui serait attirée par son odeur.

En même temps, pourvue d’une corne, l’animal renferme une connotation sexuelle. Seules les vierges semblent pouvoir attirer cette créature légendaire qui apparait dans la Grèce antique. Dotée de vertus et métamorphoses diverses, les rois, les peintres ou les écrivains se sont emparés du mythe enchanteur. Léonard de Vinci la peint, Rabelais lui consacra un opus. Assimilé à la pureté, sa corne représente le troisième œil, celui qui relie au divin

"La Dame à la Licorne", au musée des Abattoirs

Cette superbe tenture des collections du musée de Cluny va être présentée pour la première fois en France au musée des Abattoirs de Toulouse, le 30 octobre prochain. La présentation de "La Dame à la Licorne" sera accompagnée d’un ensemble d’œuvres d’artistes contemporaines. Elles mettront en perspective cette tenture comme une œuvre fondatrice du respect de la nature et de la représentation féminine.

"Toulouse s’est imposée naturellement car nous avons un partenariat avec la ville et nous organiserons avec les Abattoirs, à l’automne 2022, une exposition sur l’art à Toulouse au 14ème siècle", explique Séverine Lepape.

Des liens privilégiés avec la ville rose et les Abattoirs qui se sont notamment tissés autour de la dimension contemporaine que peuvent apporter les œuvres contemporaines du musée à ce chef d’œuvre.

Nous n’avons jamais présenté la tapisserie sur cet axe, quand elle a été prêté, toujours dans le cadre de travaux au Japon, elle a été présentée pour elle-même au regard d’œuvres médiévales, (…) à Sidney, elle était aussi prêtée pour elle-même, comme un chef d’œuvre pour qu’un public encore plus éloigné puisse la découvrir sur place.

De l’art contemporain qui devrait résonner avec la tenture médiévale, c’est dans tous les cas l’effet recherché. "On a constaté que cette tenture inspire des artistes encore aujourd’hui. Ils y font références encore dans leurs œuvres soit de manière directe soit de manière détournée et les deux grands axes de lecture qu’ils entretiennent sont la place de la femme, la présence féminine dans la tenture est indéniable et constitue sa singularité, et la nature et de l’écologie. Certains artistes connaissent aussi la symbolique de la corne de la licorne qui dès l’époque médiévale était censée pouvoir servir de contrepoison, elle pouvait purifier l’esprit des eaux souillées ou empoisonnées".

Cette dimension-là sera présente dans les œuvres contemporaines des artistes qui seront exposés au musée des Abattoirs.

"La Dame à la Licorne" partagera aussi l'espace avec un autre chef-d'œuvre textile, le rideau de Picasso.

Sa confrontation avec la tenture sera évidente et cela nous intéresse, cela fait écho à la présentation toute récente en hommage à Daniel Cordier, de sa collection textile. On tisse un lien.

De toute évidence, le minotaure et sa dépouille en costume d’Arlequin devrait dialoguer avec "La Dame à la Licorne".

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