Des groupes de réflexion tentent de répondre à la question cruciale de l'avenir de l'aéronautique dans la ville phare de l'avionneur européen Airbus. Le contexte d'urgence climatique mobilise. Deux textes, l'un de Supaéro, l'autre d'associations, tentent d'avancer sur cette délicate question.
A quelques jours de l'ouverture de la COP26 qui se tiendra du 31 octobre au 12 novembre 2021 à Glasgow en Écosse, la Fondation Copernic, Attac, Les amis du monde diplomatique et l'université populaire de Toulouse viennent de publier un texte qui relance le débat sur l'avenir de l'aéronautique.
À Toulouse, la question s'avère d'autant plus cruciale que le secteur reste, malgré la crise Covid et la baisse du trafic aérien, un pourvoyeur essentiel de développement économique et d'emplois. Étudiants et chercheurs de l’ISAE-SUPAERO, l’Institut supérieur de l'aéronautique et de l'espace, avaient publié quelques semaines auparavant un "Référentiel Aviation et Climat", dont la vocation affichée est de constituer "un rapport scientifique inédit pour permettre la construction d’opinions éclairées".
Urgence climatique = changement de paradigme immédiat
Dans son texte intitulé, "Nos enfants ne manqueront pas de nous demander ce que nous faisions quand la terre brulait !", un collectif d'associations dont la Fondation Copernic et Attac font partie, affirme : "le progrès technique comme solution aux désordres créés par l’action de l’homme sur le monde n’est plus un paradigme crédible. Aujourd’hui, ce sont celles et ceux qui prônent la sobriété, dans l’aéronautique et l’aérien comme dans beaucoup d’autres secteurs, qui voient juste".
"Le déplacement de centaines de millions d’êtres humains dans le cadre du tourisme de masse (premier vecteur, et de loin, de développement du transport aérien), qui détruit les écosystèmes et n’offre, la plupart du temps, qu’une illusoire découverte d’autres peuples, ne peut, et ne doit pas, perdurer. Cette prise de conscience va s’accélérer avec le réchauffement climatique et ses conséquences".
Honte de prendre l'avion
"La « honte de prendre l’avion », née dans les pays nordiques, gros consommateurs de déplacements en avion, pourrait se doubler de la « honte de construire des avions ». Les appels à restreindre l’utilisation de l’avion vont se multiplier et les entreprises de l’aéronautique vont être confrontées, dans leurs usines et leurs bureaux, à une difficulté de recrutement de nouvelles compétences", prédit le texte qui appelle les salariés de ces secteurs à unir leurs compétences pour contribuer, de toute urgence, au sauvetage de la planète.
Les auteurs de ce texte expliquent que si les industriels et le gouvernement annoncent l'avion à hydrogène pour 2035, il n'existe aucune solution pour les quatorze années à venir. Or, "la quasi-totalité des scientifiques du climat s’accordent à dire que nous avons dix ans, pas plus, pour prendre les décisions qui s’imposent et agir en conséquence, avant le basculement vers un monde insoutenable qui va mettre en danger l’écosystème humain avec son cortège de catastrophes climatiques, de pandémies, avec la multiplication des zoonoses, d’exodes de populations menacées par la montée des eaux, par la désertification de gigantesques territoires".
Moins de trafic, moins d'avions fabriqués
Pour ces associations, le secteur aérien n'est pas le seul problème, mais il a une responsabilité avérée dans le réchauffement climatique. "On ne peut pas continuer à imaginer la croissance du transport aérien dans les conditions de croissance qu'on a observées pendant 20 ans, explique Pascal Gassiot de la Fondation Copernic. À savoir 4 Mds de passagers transportés en 2025 et une progression qui aboutirait, d'après les prévisions des avionneurs, à 11 Mds en 2050. Il faudrait au contraire une diminution de 17% du trafic aérien et une baisse de 55% d'avions fabriqués".
L'hydrogène, un mirage ?
Pour le collectif signataire, l'avion à hydrogène est loin d'être une solution, c'est même un "mirage". "Derrière le choix de l’hydrogène, c’est, de facto, le nucléaire qui nous est imposé. Pourquoi ? Car, pour faire de l’hydrogène, il faut beaucoup, énormément, d’électricité". Les auteurs du texte renvoient à une étude de l'Atecopol, l'Atelier toulousain d’écologie politique : "Pour couvrir, ne serait-ce que les besoins d’un aéroport comme celui de Roissy Charles de Gaulle, il faudrait 5 000 km² d’éoliennes (entre 10 000 et 18 000 éoliennes réparties sur la surface d’un département français), ou bien 1 000 km² de panneaux photovoltaïques, ou bien encore 16 réacteurs nucléaires".
"Or, on voit que c'est la voie choisie par Emmanuel Macron, qui vient d'annoncer son choix de construire des "mini centrales nucléaires", constate Pascal Gassiot. Ce qui pose la question de la sécurisation des sites, la concentration de la production sans parler de ce qu'on fait des déchets".
Effondrement de l'aviation
Le rapport "Référentiel aviation climat" que vient de publier l'ISAE-SUPAERO a l'ambition, lui, de fournir des données pour inviter à "une réflexion démocratique approfondie sur la place de l’aérien dans un monde bas-carbone". Il débute par ce constat : la crise Covid a certes causé souffrances et désarroi, mais le changement climatique est une menace autrement plus lourde avec ces conséquences sur "l’effondrement de la biodiversité, sur la vie humaine en général, et sur l’aviation en particulier".
Malgré l’amélioration de l’efficacité énergétique des avions, les émissions de CO2 ont augmenté de 42% entre 2005 et 2019, du seul fait de la croissance du trafic aérien. Comme le manifeste publié par les associations citées plus haut, il fait le constat que seulement 10% de la population mondiale prend l’avion chaque année. "Et, en 2018, 1% de la population mondiale était responsable de 50 % des émissions de l’aviation".
Quid des biocarburants ?
Le rapport est porteur de 5 messages : l'aviation contribue à l’accentuation du réchauffement climatique notamment via les traînées de condensation dont on parle peu. La formation de nuages par les traînées de condensation des avions a un effet plus important sur le réchauffement que leurs émissions de CO2, estiment les chercheurs qui totalisent les effets CO2 et non-CO2, l’aviation commerciale a représenté 5,1 % de l’impact climatique sur la période 2000-2018.
La réduction des effets non-CO2 est envisageable à court terme même si les techniques ne sont pas encore opérationnelles. Elle ne pourront pas "se substituer aux efforts de réduction des émissions de CO2 du secteur" pour les signataires du rapport. Or, sur ce terrain-là, les seuls leviers sont les améliorations incrémentales, c'est-à-dire des améliorations des caractéristiques des avions existants, et l’utilisation des biocarburants. Mais les signataires reconnaissent que les améliorations incrémentales s'avèrent limitées. Quant à la disponibilité des biocarburants, elle est en question : y en aura-t-il assez ? D'autres secteurs seront-ils prioritaires ?
Arbitrage politique
"La décarbonation des carburants pour l’aviation pourrait être limitée par la disponibilité en ressources énergétiques bas-carbone, notent les auteurs du rapport. Leur utilisation massive pourrait alors entraîner un déplacement de problème environnemental, notamment lié à l’usage des sols. De façon générale, il est nécessaire de penser la transition du secteur aérien de manière systémique, dans le cadre des limites planétaires".
Le rapport conclut sur la nécessité d'un arbitrage politique entre le niveau de trafic et la part du budget carbone mondial allouée au secteur aérien. "Les limites sur la capacité du secteur aérien à diminuer rapidement ses émissions de CO2 impliquent que, si le trafic croît au rythme envisagé par l’industrie aéronautique, alors il consommera une part plus importante du budget carbone que sa part actuelle des émissions, nécessitant ainsi que d’autres secteurs d’activité réduisent leurs émissions plus rapidement que la moyenne".
Pour les chercheurs de l'ISAE-SUPAERO, il faut respecter le budget carbone en adaptant le trafic aérien aux progrès réalisés dans les technologies décarbonantes.