Toulouse : quand les citoyens et les migrants partagent la même incompréhension face à la justice

Des membres du Cercle des voisins du Centre de rétention de Cornebarrieu ont assisté ce mercredi à l'audience au tribunal de plusieurs réfugiés, dont deux Afghans. Ils veulent montrer aux juges que des citoyens s'opposent à ces placements en rétention qu'ils jugent arbitraires.

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Ils sont une dizaine à se relayer ce mercredi après-midi dans la salle d'audience numéro 3 du tribunal de grande instance de Toulouse. Des français de tous âges qui viennent soutenir des Afghans et des Guinéens actuellement détenus au Centre de rétention à Cornebarrieu. Leur point commun : ces citoyens sont membres ou sympathisants de EGM (Etat généraux des migrations), une association qui regroupe 35 collectifs, dont le Cercle des voisins du centre de rétention de Cornebarrieu.

Anne-Laure Jachym, une étudiante discrète et souriante de 25 ans, est là car elle a fait la connaissance de celui qu'on nommera Aslan, un afghan de 24 ans. Il y a 2 jours, elle est allée le chercher à la gare Matabiau. Il venait de Montpellier pour un rendez-vous.

Effet de surprise

"J'ai proposé de l'aide pour accompagner les migrants à la préfecture parce qu'ils arrivent à la gare, c'est pas évident pour eux, m'explique Anne-Laure. Ils parlent mal le français. Je pensais juste avoir à faire un trajet de métro avec un étranger qui venait faire une demande administrative et il s'est avéré que cette personne a été arrêtée finalement et mise dans un centre de rétention administratif".

En vidéo, l'interview d'Anne-Laure Jachym par Christine Ravier et Ayham Khalaf
 

Deux jours après, Anne-Laure, encore sous l'effet de la surprise, est en salle 3 du tribunal aux cotés des membres du Cercle des voisins du centre de rétention administratif de Cornebarrieu. Elle vient soutenir Aslan. "Il vient d'Afghanistan. Il est en danger de mort. Il vient demander l'asile et là, depuis 2 jours, c'est la situation d'injustice totale dans laquelle il est qui me révolte. Il a... il avait vraiment confiance dans les institutions, plus confiance que ce que moi j'aurais eu.

Il vient en France, pays des Droits de l'homme, donc il s'attend à ce que ses droits soient respectés, tout simplement. Il n'a rien fait de mal. Il demande de l'aide et il se retrouve en prison.


"Les Talibans ne me trouvaient pas, ils l'ont abattu"

Aslan a travaillé dans une prison de l'armée américaine en Afghanistan. Il a dû fuir car il y est menacé de mort. A voix basse, moitié en français, moitié en anglais, il me confie que son père a été tué. Pendant ce temps, son avocat étudie son dossier. "Il a payé le fait que j'ai travaillé pour les Etats-Unis. Les talibans ne me trouvaient pas, ils l'ont abattu. C'était en 2016. J'ai dû fuir car je suis toujours recherché". 

Aslan est un jeune homme au regard doux, mais à la carrure imposante. Il fait du body-building au sein d'un club sportif de Perpignan. Beaucoup de sport, d'entrainement. Il veut en faire son métier. S'il a été maintenu en rétention, c'est que l'Etat lui reproche d'être entré en Europe en Belgique en 2016. Il doit suivre la procédure Dublin (voir encadré), c'est-à-dire faire là-bas sa demande d'asile. Le problème : à son arrivée en Belgique, on n'a pas écouté son histoire, me disent les membres du Cercle. "Il n'a même pas pu présenter de demande d'asile !"
 

"La fuite ? Pour où ?"

Depuis, il a fait des allers et retours entre la France et la Belgique. Il s'est finalement installé en France voici 7-8 mois, s'est fait des amis malgré les aléas d'une vie sans statut véritable. Il a dormi dans la rue, parfois dans des salles de sport. La préfecture, par l'intermédiaire de son représentant au tribunal, dit craindre qu'il ne se présente pas aux prochains rendez-vous et qu'il prenne la fuite.

"La fuite pour où ?" demandent, avec agacement, les membres du Cercle. "Il est menacé dans son pays. Il a commencé à se construire un embryon de vie ici. Il apprend la langue. Il est heureux dans ce qu'il fait. Quel est le sens de tout cela ?" interroge Michel Plassat, l'un des membres du collectif.

Il n'a pas compris qu'il était susceptible de faire l'objet d'une privation de liberté, explique l'avocat d'Aslan, Me Sylvain Laspalles. 

Bien qu'en grève, il accepte avec d'autres avocats de l'ADE (Association de défense des étrangers) de plaider gratuitement pour ces réfugiés. Tout est fait pour lui faire penser le contraire, pour lui faire croire qu'il ne s'agit que d'un banal rendez-vous à la préfecture. On lui donne un aller-retour Montpellier-Toulouse". Et surtout, la convocation n'est même pas traduite, ce qui n'est pas conforme à la loi, précise l'avocat. 
 

Un univers Kafkaïen

"Il a toujours répondu aux convocations. Vu sa situation, il n'y a aucun risque de fuite", me dit Sylvain Laspalles qui va se battre aujourd'hui sur des questions de procédure. Le débat sur le fond aura lieu demain, si Aslan n'est pas libéré en fin de journée.

Les membres du cercle se relaient à l'audience de 13 h jusqu'au milieu de soirée, 21 h, voire plus tard. Tout dépend du nombre de dossiers et de leur complexité. Patiemment, ils prennent des notes. Pendant les pauses, ils viennent parler aux retenus, surveillés par des policiers, et qui ne peuvent quitter leur banc. Ils essaient de les rassurer. Une main sur l'épaule, un regard encourageant. Chaque geste compte, on le ressent, dans cet univers kafkaïen aux yeux des mis en cause. 
 

Tenter d'influencer les juges

Chacun écoute patiemment les débats, note scrupuleusement les arguments développés par la préfecture. La lutte est pacifique et déterminée. Chacun la porte sur lui, par son attention aigüe à chaque point de la procédure. La juge est au centre des regards. "C'est important de montrer que les citoyens ne sont pas indifférents au sort des gens qui sont privés de liberté au simple motif qu'ils n'ont pas de papiers ou pas les bons papiers, poursuit Michel Plassat. Et le fait d'être dans la salle, nous pensons que ça peut avoir une incidence sur la justice".

En vidéo, l'interview de Michel Plassat par Christine Ravier et Ayham Khalaf
 

Ces retenus n'ont pas commis de délit. Ils sont tout au plus en infraction, ce qui ne justifie pas un emprisonnement aux yeux des membres de l'association. Or les conséquences de cette rétention sont lourdes.

Une privation de liberté, en plus sans en connaître la durée, c'est extrêmement dur à supporter, témoigne Michel. L'expérience que l'on a par rapport à la visite que l'on fait aux retenus, prouve que les gens, au bout de quelques jours, très rapidement, perdent pied, ne dorment plus, perdent l'appétit.

"C'est très difficile psychologiquement. Beaucoup sont détruits. Et ça peut durer jusqu'à 90 jours".

Aslan risque d'être renvoyé en Belgique. Un non sens pour ses défenseurs car il n'a pu là-bas demander l'asile. S'il débarque à Bruxelles, il risque donc réellement d'être reexpédié en Afghanistan. On lui reproche d'avoir donné deux dates de naissance différentes, à quelques jours près. "Ma mère ne sait pas quel jour exactement je suis né, c'était la guerre", m'explique-t-il. Je ne peux pas donner une date exacte".

Des coutumes qui prêtent ici à confusion

Quant à son nom, il m'explique qu'il a donné le nom de son père car il avait appris qu'on doit avoir un nom de famille pour les autorités occidentales. "Je savais qu'ici les coutumes ne sont pas les mêmes que chez nous. Après, on m'a dit qu'ici, il ne fallait donner que le nom qui m'identifie moi. Comme ma déclaration du début est différente, ils pensent que j'ai menti. C'est pas vrai ! s'exclame-t-il.

"On me dit que je vais m'enfuir. Mais je n'ai aucune raison de fuir et de ne pas me rendre aux rendez-vous que me donne la préfecture. J'ai ma vie ici maintenant
", ajoute-t-il, incrédule et désarmé.
 

Le sens de cet enfermement

Après trois quart d'heure d'échanges entre les parties, la juge annonce que la décision sera rendue à l'issue des débats. A près de 22 heures, les derniers membres du Cercle présents sont saisis : Aslan reste en détention. C'est l'incompréhension.

L'autre afghan présent est libéré ainsi que quatre Guinéen. Pour Aslan, une autre partie va se jouer le lendemain. Son avocat plaidera sur le fond du dossier, c'est-à-dire sur le sens de cet enfermement. 


 
C'est quoi la procédure Dublin ?
Le principe du règlement Dublin est qu'on dépose sa demande d'asile dans le premier pays européen où on pose le pied. En effet, un seul Etat européen est responsable de la demande d’asile d’une personne ressortissante d’un Etat tiers. Objectifs : interdire qu’un demandeur sollicite l’asile dans différents pays européens et ne lui donner pas le choix du pays qui examine sa demande.
Ce règlement est applicable aux 28 Etats membres de l’Union européenne, ainsi qu'à la Suisse, au Lichtenstein, à l’Islande et à la Norvège. 
En 2018, un peu plus de 45 358 personnes, mineurs compris, ont été des Dublinées pour un total de 122 743 demandes enregistrées par les préfectures, soit 30%. En 2016, leur nombre était d’environ 22 000 et en 2015 de 11 700. L’Italie et l'Allemagne sont les deux premiers pays saisis.
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