Le musée de la résistance et de la déportation de Toulouse accueille pour la première fois une exposition d'art contemporain. Le peintre Emmanuel Bornstein propose "Three letters. Peinture. Écriture. Résistance", une histoire de résilience composée à partir de trois destins.
L’artiste Emmanuel Bornstein expose pour la première fois une série d'une centaine d'œuvres, des peintures sur papier, qu’il a créées à partir de lettres et de documents d’archives. C'est le musée départemental de la résistance et de la déportation de Toulouse qui accueille cette exposition intitulée "Three letters. Peinture. Écriture. Résistance.".
Les oeuvres sont réalisées à partir d'éléments, des traces liées à trois personnes : Carmen Siedlecki, la grand-mère du peintre, déportée-résistante survivante du camp d’extermination d’Auschwitz, l'écrivain Franz Kafka, le fils révolté auteur de "Lettre au père", et Éric, un ami de jeunesse qui a mis fin à ses jours.
"Ces trois personnes dialoguent entre elles à peu près sur 100 ans et les trois parlent de résilience, explique Emmanuel Bornstein, de la résilience soit de l'ordre de l'intime, soit de la résistance qui est un engagement... C'est comment ou par l'écriture ou par un engagement armé, finalement ces trois personnes se sont battues".
Les oeuvres sont réalisées à partir de collages et de gouaches sur des documents imprimés ou des lettres manuscrites. Une partie de ces documents est constituée d’écrits officiels du ministère des prisonniers, déportés et réfugiés ainsi que de la fédération nationale des déportés et internés patriotes.
Le peintre toulousain présente 94 peintures sur papier avec lesquelles il révèle ces êtres et leur combat pour la vie et la liberté. Dans les faits, l'histoire de ce travail "Three Letters" a commencé avec Kafka, une figure inspirante pour l'artiste. Le manuscrit de "Lettre au père" était partie intégrante de sa première exposition à Berlin. Il avait alors pour la première fois peint sur les mots de Kafka.
Quelques mois plus tard, en 2016, lors d'une conférence donnée par les époux Klarsfeld, une chercheuse d’un service d’archives militaires propose au père d’Emmanuel Bornstein de récupérer une copie d’un dossier qu’avait constitué sa grand-mère afin obtenir la reconnaissance de son statut de déporté-résistante ainsi que la légion d’honneur.
Harcelée au retour des camps
"Toute sa famille est décédée dans les camps, explique l'artiste. Elle a survécu. Donc, c'est toute la complexité de son parcours de résistante, venue de Pologne, ses parents étaient Polonais mais Française née en France, à qui on a retiré la nationalité en 1941 qui a été déporté, qui était juive, qui a été reconnue à la libération et à qui on a retiré sa carte de rappatriée politique et la pension qui allait avec en disant : "non, déportée raciale".
"Donc elle a entrepris un parcours kafkaïen jusqu'à son décès dans les années 60, poursuit Emmanuel Bornstein. Décès avant lequel elle a été finalement reconnue et décorée de la légion d'honneur en tant que gradée, lieutenant dans l'armée française. Et cette lutte pour moi était épouvantable. De découvrir ces documents, le sort, la double peine qu'elle a eu à son retour en France m'a bouleversé et choqué".
Emmanuel Bornstein ne savait rien de ces démarches. Il imprime ces documents. A partir des manuscrits, des photos, de son étoile de David, de courriers administratifs, il s'approprie lentement dans son atelier cette histoire jusque-là cachée.
"J'ai commencé à dialoguer pendant de longs mois et ça m'a pris trois ans à interroger, questionner et recouvrir, fragmenter, déchirer, cacher pour en fait révéler et donner à voir. Ce travail-là permet de redonner du sens et de l'altérité et de questionner ce qu'est la résilience (...). Pour moi, c'est important d'être actif par rapport à la mémoire. Je me vis comme un "chasseur de traces" comme dirait Imre Kertész".
Eric est un ami d'enfance qui lui avait adressé trois lettres après un accident qu'il avait eu en 2006. Il s'est plus tard suicidé. Quand il a appris sa mort, Emmanuel Bornstein a relu ces lettres qui l'avaient suivies partout. Il explique avoir tenter de faire le deuil de cet ami intime en imprimant ces lettres. Elles sont devenues partie intégrante d'oeuvres dans lesquelles l'artiste laisse apparaître des mots. Un lien subtil se tisse entre les trois destinées presque à l'insu de l'artiste...
"L'art, c'est une fiction"
"L'art, c'est une fiction. Le levier fictionnel peut et doit jouer un rôle dans ce questionnement-là qui nous permet d'être toujours agité et de garder de la vie et ne pas faire disparaître tout cela sous la poussière. Savoir que ça a existé mais aussi le ressentir avec son émotion et pas uniquement d'un point de vue intellectuel. L'art est à cet endroit-là et à la fois quelque chose de conceptuel qui questionne".
"Il y a parfois un message et en même temps quelque chose de très physique. C'est brutal une oeuvre d'art, un tableau c'est brutal tel que je le vis moi. Quelque chose qui vous saute dessus, qui ne nous laisse pas le choix, qui nous envahit. Et c'est ce que je cherche à faire".
L'exposition a lieu au musée départemental de la résistance et de la déportation de Toulouse jusqu'au 20 septembre.