"Un étranger au Panthéon, un acte fort" : Manouchian et Langer, l'histoire de résistants sacrifiés pour leur pays d'accueil, la France

L'entrée au Panthéon de Missak Manouchian, résistant arménien, au sein du groupe FTP Moi, ce mercredi 21 février 2024 est l'occasion d'évoquer l'importance de ces groupes qui ont résisté sous l'Occupation durant la Seconde guerre Mondiale. A Toulouse (Haute-Garonne), la 35e brigade FTP-MOI était dirigée par Marcel Langer.

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Missak Manouchian, résistant d'origine arménienne entrera au Panthéon à Paris ce mercredi 21 février 2024 avec son épouse. Il officiait dans les FTP-MOI (Francs-tireurs partisans- Main d'œuvre immigrée), groupe de résistance créé par le Parti communiste et la CGT. L'un de ces trois groupes nationaux existait à Toulouse (Haute-Garonne), baptisé la 35e brigade FTP-MOI, dirigé par Marcel Langer, un juif polonais, mort guillotiné le 23 juillet 1943 à la prison Saint-Michel. L'historienne Elérika Leroy, en charge de la mémoire, et des lieux de résistance au conseil départemental de la Haute-Garonne, en poste au musée de la résistance et Déportation, rappelle les actions déterminantes de ces groupes durant la Seconde Guerre mondiale.


France 3 Occitanie. Pouvez-vous rappeler comment Marcel Langer est arrivé à Toulouse ? 

Elérika Leroy : il est polonais et juif, d'une famille plutôt socialiste. Il fuit les pogroms pour rejoindre la Palestine où il milite au Parti communiste. Pourchassé par la police britannique, il part pour la France en 1929 et arrive à Toulouse en 1931. C'est un ouvrier spécialisé qui travaille aux ateliers de constructions mécaniques jusqu'à ce qu'éclate la Guerre d'espagne en 1936. Staline avait appelé à la constitution de brigade internationale. C'est comme ça que Marcel Langer les rejoint avec d'autres camarades de Palestine. C'est un combattant, il a combattu jusqu'à sa mort. Il revient dans le flot des réfugiés républicains espagnols en février 1939 enfermé au camp d'Argelès-sur-Mer puis de Gurs, d'où il est rapidement libéré par les autorités françaises pour retravailler comme ouvrier spécialisé à Toulouse. Il met sur pied la 35e brigade FTP-MOI dont il prend le commandement en octobre 1942.


France 3 Occitanie. Existait-il des liens entre le groupe Manouchian et le groupe fondé par Marcel Langer ?  

Elérika Leroy : à ma connaissance, il n'y a pas de lien. Mais il y en avait entre le groupe de Toulouse et Lyon-Grenoble, appelé "Carmagnol liberté". Ce sont les trois seules entités FTP-MOI en France, créée par le Parti communiste et la CGT avant la guerre. Elles sont composées d'étrangers majoritairement juifs qui vont mener la guérilla urbaine et des actions militaires contre l'occupant allemand et à Toulouse contre des miliciens. 

France 3 Occitanie : pouvez-vous rappeler l'importance de ces groupes dans la résistance notamment à Toulouse ? 

Elérika Leroy : il faut se remettre dans le contexte. Ils ont agi sans aucun moyen. Ils ont des liens avec l'état-major de la FTPF communiste, mais ne reçoivent pas de parachutage ni aucun équipement militaire. Et pourtant, ce sont eux qui vont mener des actions militaires des plus efficaces entre l'automne 1942 et avril 1944. Puisque le général de Gaulle avait donné pour consigne à l'armée secrète de ne pas mener d'actions qui auraient pu susciter des prises d'otages ou d'exécution de prisonnier. Ce sont les seuls quasiment à organiser à Toulouse des opérations militaires (qualifiées d'attentat par le régime de Vichy). La première opération d'envergure a lieu Place du Capitole, dans la nuit du 1er décembre 1942, les Allemands s'y trouvent depuis trois semaines. La brigade dirigée par Marcel Langer, un Polonais, juif qui a fait la Guerre d'Espagne, va faire exploser des camions allemands sur la place. Ces opérations vont se répéter régulièrement, contre les voies de chemins de fer, contre les pylônes télégraphiques, électriques. Les membres de cette brigade vont organiser des actions régulières pour bien faire comprendre aux Allemands, qu'une résistance est présente.

France 3 Occitanie. comment Marcel Langer a-t-il été arrêté ? 

Elérika Leroy : comme ils n'étaient pas très nombreux, trois mois après avoir fondé le groupe, Marcel Langer le chef part lui-même récupérer une valise remplie d'explosifs à la gare Saint-Agne livrée par une résistante de Lyon. Un policier observe la tractation. Et l'arrête. Il va être conduit au commissariat du rempart Saint-Etienne, frappé violemment, mais il n'avoue rien. Mais dans cette valise, il y avait 40 bâtons d'explosifs. Puis, il va être traduit devant la section spéciale de la Cour d'appel de Toulouse et condamné à mort. Le procureur Lespinasse va demander sa tête parce qu'il est "étranger, juif, et communiste". Marcel Langer est jugé comme un vulgaire criminel. C'est le même traitement que Missak Manouchian a subi à Paris. Marcel Langer va être guillotiné le 23 juillet 1943 dans la cour de la prison Saint-Michel. Ce jour-là, sa brigade va jurer de le venger. Trois mois plus tard, le procureur qui l'avait condamné est exécuté. À partir de là, sa brigade va non seulement réaliser des actions militaires de sabotage contre les forces de guerre allemande, mais elle va aussi se spécialiser dans l'exécution des miliciens et des collaborateurs zélés. Par exemple, un abbé proche du maréchal Pétain, qui officiait à la cathédrale Saint-Etienne. Ce sont les seuls à être actifs si tôt. L'armée secrète développera des actions bien plus tard, notamment après le débarquement en Normandie. 

France 3 Occitanie : jusqu'à quand le groupe existera-t-il ? 

Elérika Leroy : la 35e brigade va exister jusqu'en avril 1944. La police de Vichy mène plusieurs filatures et parvient à localiser une grande partie de la brigade. C'est le même procédé utilisé pour localiser Missak Manouchian. Ils vont être arrêtés le 4 avril 1944, et livrés aux Allemands, et envoyés dans un convoi dans ce que l'on a appelé le train fantôme. Ce qui est fabuleux dans l'histoire de ces résistants quasiment tous étrangers sauf quelques Français dont la famille de l'écrivain Marc Levy qui va parvenir à s'échapper du train juste avant de passer la frontière, c'est leur détermination. Jusqu'au bout, ces résistants restent déterminés. Certains seront fusillés par les cours spéciales du régime de Vichy. 

France 3 Occitanie : pourquoi l'entrée au Panthéon de Missak Manouchian est-elle importante ?  

Elérika Leroy : un étranger qui entre au Panthéon, c'est un acte fort. Ici, à Toulouse, la résistance a surtout été menée par les étrangers. Ce n'est pas parce que qu'on n'est pas né sur le sol français qu'on ne peut pas sacrifier sa vie à le défendre. Marcel Langer comme Missak Manouchian, lui aussi, a crié "vive la France" avant de mourir. Ils ont tout sacrifié pour cette patrie qui n'était pas la leur. Je trouve que c'est important de le rappeler à l'heure où on remet en cause le droit du sol. 

France 3 Occitanie : Marcel Langer mérite-t-il aussi d'entrer au Panthéon ? 

Elérika Leroy : pour moi, oui. Pour la mémoire de cet homme qui est un homme de conviction. Juste avant que la lame ne tombe sur son cou il y a 80 ans, ses pensées sont pour la France. Pourtant, le régime qui dirigeait la France était xénophobe et antisémite. À Toulouse, la station de métro de la prison Saint-Michel porte aujourd'hui son nom après un très long combat des habitants du quartier. Marcel Langer mériterait d'être plus connu. 

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