Le général Franco, dictateur responsable de la mort de milliers de personnes, possède toujours la Légion d'honneur, que lui avait remis le maréchal Pétain en 1928 et 1930. Jean Ocana, fils d'un réfugié républicain espagnol, s'est battu pour tenter de lui retirer cette récompense... en vain.
C'était la dernière chance. Le verdict est tombé : la Légion d'honneur ne sera pas retirée au général Franco. Celui qu'on surnomme le "Caudillo" a sévi à la tête de l'état espagnol, en imposant un régime dictatorial, de 1936 à 1975. C'est le maréchal Pétain qui le décore officier de la Légion en 1928, puis le promeut au grade de commandant en 1930.
Jean Ocana, 84 ans, est fils d'un réfugié républicain espagnol et se bat depuis 2016 pour que Franco soit déchu de sa récompense. Il a longtemps mené son combat depuis Mazamet (Tarn) mais réside aujourd'hui à Marsillargues (Hérault). Le 29 janvier 2024, sa requête passait devant le Conseil d'Etat, qui refuse de retirer cette Légion d'honneur. La bataille juridique est alors perdue.
France 3 Occitaie : Comment réagissez-vous à la décision du Conseil d'État ?
Jean Ocana : c'est un coup de massue. Avec mon avocate, Maître Sophia Toloudi, nous étions persuadés d'avoir avancé un point juridique inattaquable, pour légitimer cette demande de retrait de la Légion d'honneur. Nous nous sommes appuyés sur une faille administrative : lorsque Franco a été décoré pour la seconde fois, deux ans après sa première récompense, il est passé directement du rang d'officier à celui de commandant. Or, avant 2010, la loi stipule l'obligation de passer par le grade intermédiaire de chevalier, et servir 10 ans avant d'accéder à un grade supérieur. Malheureusement, le Conseil n'a pas fait cas de cette entorse à la loi.
À cela s'ajoute un décret, signé par Emmanuel Macron en 2018 et par Benoît Puga, grand chancelier de l'ordre de la Légion d'Honneur, qui modifie le code de l'Ordre de la Légion d'honneur, et exclut "toute action disciplinaire contre une personne décédée". Ils ont donc changé les règles en cours de procédure.
Si la bataille juridique est finie, je vais maintenant essayer d'en parler le plus possible, dans les médias ou dans des conférences, pour que l'on connaisse cette histoire.
Quel lien a votre famille avec le régime dictatorial et les crimes de Franco ?
Jean Ocana : mon père, José Ocana, était un officier républicain. Il avait dû fuir l'Espagne pour la France en 1939, seul. Condamné à mort par les tribunaux fascistes de son pays, il s'engage cette année-là dans le 22ème régiment de marche des volontaires étrangers du Barcarès (Pyrénées-Orientale). Arrêté en 1940, il est déporté au camp de Mauthausen (Autriche). 7000 républicains espagnols connaîtront le même sort. Mon père en sortira vivant, et nous nous installerons à Mazamet (Tarn), après la guerre.
Lorsqu'en 2016, j'ai découvert dans un livre que le maréchal Pétain avait décoré Franco, j'ai appelé et envoyé une lettre au grand chancelier de la Légion d'honneur. On m'a assuré qu'il était impossible de retirer la récompense à titre posthume. Ce qui, à l'époque, pour les étrangers, était faux.
Quel message envoie l'Etat, selon vous, en refusant de retirer la légion d'honneur à un dictateur coupable de crimes contre l'humanité ?
Jean Ocana : je ne sais pas ce qu'il nous reste, car l'honneur et la morale sont bafoués. J'aurais souhaité que l'ordre et la distinction ne soient pas flétris. C'est un triste message que nous envoyons aux jeunes générations. J'en suis très amer.
Dans une interview de décembre 2023, au sujet de Gérard Depardieu, également décoré de la Légion, Emmanuel Macron a déclaré qu'il n'avait pas à s'occuper des questions morales Pourtant, la morale est inscrite dans le code de la Légion d'honneur.