La grippe aviaire a encore frappé le Sud Ouest au printemps. L'expérimentation d'un vaccin a démarré en mai dernier dans le Gers (32) et dans les Landes (17), coordonée par l'Ecole nationale vétérinaire de Toulouse et l'ANSES. Les premiers éléments seraient plutôt prometteurs.
Les premiers tests ont été réalisés en mai dernier dans les Landes (17), et sur 2 000 canetons dans le Gers (32). Deux élevages de palmipèdes retenus par l'Ecole nationale vétérinaire de Toulouse, qui encadre la mise en œuvre de cette expérimentation avec l'ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail).
On suit des canetons du début jusqu'à la fin de leur vie. Ils reçoivent leurs deux administrations de vaccins aux dates prévues par les laboratoires fabricants et font l'objet d'un suivi toutes les semaines, où des équipes vétérinaires vérifient leur état de santé et réalisent les prélèvements qui permettent de faire un suivi biologique tout le long de l'essai.
Jean-Luc Guérin, professeur à l'école vétérinaire de Toulouse et dirigeant l'UMR IHAP, une unité de recherches associée à l'INRAE.
Les laboratoires français Ceva Santé Animale et allemand Boehringer Ingelheim fournissent les deux candidats-vaccins.
Lancer les essais a été décidé au cours de l'automne 2021, suite à l'épisode de 2020-2021. "On s'était rendu compte à ce moment-là qu'on se trouvait face à un risque biologique qu'il était de toute façon difficile de contrôler avec les outils classiques de lutte", raconte Jean-Luc Guérin. C'est ainsi que la mise en œuvre pratique de l'essai a pu être lancée à partir du printemps.
Le vaccin, une solution qui ne fait pas l'unanimité
Le principe de la vaccination n'a pas fait consensus au niveau international.
Jusqu'à très récemment, le principe-même de la vaccination n'était pas recevable au niveau de la communauté vétérinaire internationale et vis à vis de nos partenaires. Elle pose techniquement un certain nombre de challenges en particulier par rapport à la surveillance, car l'enjeu est d'avoir des solutions vaccinales qui permettent de protéger les animaux contre la maladie, contre la production de virus, et en même temps on doit être capable de les surveiller et de vérifier que les animaux vaccinés ne soient pas des porteurs sains de virus sauvages.
Jean-Luc Guérin, professeur à l'école vétérinaire de Toulouse
Même au sein des filières de la volaille, le vaccin fait débat, car il "pose des soucis sur la crédibilité de notre pays en matière sanitaire et en particulier sur notre capacité à exporter", explique le professeur.
Jean-Christophe Dardenne tient un élevage de 450 canards à la ferme Las Crabères dans le Gers. Pour lui, la grippe aviaire a eu pour conséquence la claustration de ses animaux, leur bloquant l'accès au parcours extérieur, avec tout ce que cela implique sur leur développement et leurs habitudes : "ils le vivent forcément mal", regrette l'éleveur, inquiet pour la suite de la saison.
Ce que j'attends, c'est de pouvoir élever mes canards en extérieur toute l'année comme on le faisait depuis quarante ans. Nous, l'exportation ne nous concerne pas, nos clients sont locaux. Donc si la vaccination est la solution, moi ça me va très bien. Je ne veux plus d'enfermement d'animaux.
Jean-Christophe Dardenne, éleveur gersois
La clientèle s'interroge
"J'ai pris un bloc de foie gras entier et un pâté au foie de canard en souvenir de mon passage dans le Gers !" s'exclame une touriste après son passage au point de vente de la ferme Las Crabères.
Mais achèterait-elle ces produits si les canards avaient été vaccinés ? "J'y réfléchirais à deux fois. Est-ce que le produit qu'on leur injecte agit sur la viande, sa conservation ?" s'interroge cette dernière avant que sa collègue n'ajoute : "Je serais sceptique, en tout cas au départ. Quand il y aura beaucoup de vaccinations de faites, peut-être moins... C'est comme notre vaccination à nous."
Les éleveurs locaux victimes des grands groupes industriels ?
Si Jean-Christophe Dardenne ne craint pas une baisse du nombre de ses clients, il s'inquiète en revanche quant à la temporalité de ce vaccin : "C'est beaucoup trop tard, à partir du moment où j'ai tout un lot de canards qui sera élevé en claustration totale. Les canards sont gavés au bout de 16-18 semaines. Pour moi, c'est une très mauvaise chose".
Certains groupes industriels refusent l'éventualité d'une vaccination, au regret d'autres éleveurs comme Jean-Christophe : "On est victime de sortes de lobby qui eux vendent, exportent, font de très grandes quantités et ne veulent pas vacciner car ils ne pourront plus exporter leurs produits. On a l'impression que l'on se moque un peu de l'élevage traditionnel, de plein air et plus respectueux des animaux".
Les canards vaccinés seront-ils consommables ?
"Les essais se déroulent pour le mieux, on va aussi vite que possible" déclare Jean-Luc Guérin.
Il n'y a aucun incident qui pourrait invalider les essais. Les premiers éléments, très préliminaires, sont favorables et prometteurs. C'est dans les semaines et mois qui viennent que tout cela sera consolidé.
Jean-Luc Guérin, professeur à l'école vétérinaire de Toulouse
Mais le professeur avertit : "il ne faut certainement pas voir le vaccin comme la solution miracle qui va permettre de s'affranchir de la biosécurité de la surveillance", mais plutôt comme un outil complémentaire. "On vaccine contre le Covid, cela n'exclue pas les gestes barrières et les tests; c'est complémentaire dans ce cas-là aussi."
Alors, les canards vaccinés seront-ils in fine consommables ? A priori, oui: "La plupart des animaux sont vaccinés avec d'autres vaccins extrêmement semblables à ceux qui sont testés aujourd'hui dans le cadre de l'influenza aviaire. Au cours de ces essais, nous avons fait des recherches particulières pour voir s'il y avait des résidus, des lésions au niveau des points d'injection et nous n'avons strictement rien trouvé. Nous sommes très sûrs de nous de ce point de vue-là", assure Jean-Luc Guérin.
D'après le ministère, l'expérimentation devrait durer entre six et neuf mois.
Si les résultats s'avèrent favorables, le gouvernement décidera de lancer la vaccination ou non, après concertation avec l'Union européenne.
Fin juillet, le ministre de l'agriculture Marc Fresnau dévoilait son plan d'action pour venir en aide à la filière avicole avec notamment 760 millions d'euros alloués.
Un espoir pour les éleveurs, touchés depuis des années par ce fléau.