Dans un ouvrage qui n’est ni moralisateur à l’encontre des usagers de la montagne, ni trop glorifiant envers ses secouristes, Pascal Sancho raconte dans un nouveau livre son ancien métier. Un métier ou un sacerdoce d’ailleurs ?
Pas question de donner des leçons de montagne à ses pratiquants, ni de construire une statue à sa corporation pour Pascal Sancho. L’ex CRS des Hautes-Pyrénées raconte sa vie de secouriste dans un ouvrage alternant les chapitres haletants et ceux plus réflexifs.
"Je mesure à quel point la passion de sauver inflige un prix exorbitant à payer", assène sans détour Pascal Sancho. Les héros aussi sont fatigués parfois. Qu’est-ce qui peut faire ainsi tenir ceux pour qui l’imprévu, le risque, le destin viennent frapper à la porte chaque jour ? "Il y a la magie de ce que nous sommes et l’occasion qui nous est offerte, chaque jour, de se battre à nouveau, pour tous ceux qui ne sont plus là".
Mais que dire à une épouse et une mère qui a perdu les deux êtres les plus chers auxquels elle tenait ?
Je ne lui ai pas dit qu’une insignifiante couche de neige posée par un vent capricieux venu d’Espagne durant la nuit précédente leur avait tendu un piège mortel dans un couloir où la raideur interdit tout déséquilibre. Que le bas du couloir, cette triste sépulture de circonstance, avait témoigné de la violence de la chute. Qu’ils avaient souffert et qu’ils n’étaient pas morts tout de suite… Non, je ne lui ai pas dit tout cela ! Je lui ai simplement pris la main qui était moite, qui était froide comme son coeur qui battait à la peine. Et puis, je l’ai serrée fort dans mes bras tant que j’ai pu en lui disant tant de choses. Tant de choses auxquelles je ne croyais pas…
La montagne est ce théâtre de beauté devant lequel nous nous extasions, comme l’enfer dans lequel on peut se voir mourir ou voir disparaitre un être cher. Les secouristes de montagne ne le savent que trop. "Une partie de notre force disparaît avec l’ami qui s’en va", confie l’auteur.
Et pourtant, d’erreurs techniques en malchance ou actes d’inconscients purs et simples, Pascal Sancho ne jette la pierre à personne et se veut défenseur farouche du "libre accès" à la montagne.
Dans une société où beaucoup se veulent toujours plus assistés, je reste attaché à cette liberté d’action. Celle qui impose à chacun de répondre de ses actes. Pour soi-même et pour ceux que l’on emmène dans son sillage y compris devant la justice, si cela s’avère nécessaire. L’univers majestueux de la montagne n’est en aucun cas un espace de non-droit en marge des lois de notre République. Qu’on se le dise…
À cet alpiniste qui a laissé échapper sa corde et qui à bout de force va devoir être évacué, l’auteur-secouriste lâche même un "profite, tu vas te faire un bel hélitreuillage". Et Pascal Sancho sait pourtant ce que l'exercice revêt comme risque. Il y a même perdu des collègues à l'entraînement, "ces seigneurs de l’altitude".
Faire des reproches une fois le secours terminé ? "Cette part revient à la montagne, affirme Pascal Sancho. Elle sait rendre humble quiconque, en s’avérant parfois d’une extrême sévérité. Naïveté ? Peut-être, mais j’y crois…" développe l’ancien CRS.
La médicalisation de montagne née dans les Hautes-Pyrénées
Et puis il y a l’analyse plus technique, plus chirurgicale, celle qui refait l’histoire des secours en montagne et qui resitue nos pyrénéistes et pyrénéens dans l’évolution du sauvetage des cimes. Ainsi, le lecteur apprendra que c’est dans les Hautes-Pyrénées que "les bases de la médicalisation en montagne sont posées". Parmi ses fondateurs, les professeurs Lareng et Virenque du Samu de Toulouse. Durant l’été 1973 y dédiera une garde au poste CRS de Gavarnie.
« La ligne de crête » permet aussi de saisir à quel point cette spécialité est technique, tout autant que mal reconnue par l’institution au bout du compte. "La reconnaissance est une dette que mon administration devra accepter tôt ou tard à l’inventaire" se permet même le retraité de ce corps de police.
Une méthode adaptée et proportionnée de la part de la police
La police, Pascal Sancho, en a une vision claire. Elle se doit d’être dure si l’acte à l’encontre de la légalité l’est tout autant. En revanche "si être policier se résume à devenir le bras armé d’une politique gouvernementale, quelle qu’elle soit, ou son organe de renseignement à des fins partisanes, en substituant notamment un cadre juridique d’exception au détriment du droit commun, je ne serais jamais ce policier-là !", assure-t-il.
L’auteur ne souhaite pas plus imputer aux pratiquants irresponsables le coût de l’intervention en montagne : "certains symboles ont un sens qui parfois les dépasse. Restons attachés à la gratuité des services publics qui concourent à notre intérêt général en les respectant au plus haut point".
Dans une société où la vie est sacralisée dans une espérance de vie toujours plus longue, tentant à planifier notre futur dans une dimension prévisible, je comprends que l’alpinisme surprenne encore. Qu’il puisse conduire à l’incompréhension. Pourtant, nous sommes parmi les représentants les plus actifs du principe de précaution si cher à nos sociétés contemporaines. Dans quelques cas, cela ne suffira pas et la mort sera au bout du chemin. C’est certain et nous l’acceptons !
« Ligne de crête », un livre de Pascal Sancho, Mareuil éditions.